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Disques

Sun Kil Moon – Universal Themes

Sun Kil Moon - Universal Themes

Note préliminaire : cette chronique ne s’adresse pas aux fans hardcore de Kozelek. De toute façon, vous avez déjà la collec’ complèt’.

De même que je fais plutôt abstinence lors des festins de décembre, je refuse de me livrer à la sur-ingurgitation d’albums en fin d’année pour compléter un éventuel top et paraître plus malin que les autres. Je ne le suis pas, j’écoute peu d’albums et je suis en retard sur de nombreuses choses. En Kozelek, par exemple, je suis assez nul. Des addicts ont bien essayé de me refiler régulièrement du Red House Painters mais j’ai toujours décliné poliment et l’emballement de ces dernières années autour de Sun Kil Moon a plutôt eu tendance à me refroidir. Quelle erreur ! Si seulement j’avais écouté mon collègue Matthieu Chauveau en lisant sa chronique de « Benji«  ou celle de « Admiral Fell Promises« … Je découvre au passage que Laurent Vaissière, aka Paloma (dont l’excellent « A table at the pond«  ou encore son album de reprises « In My time of sorrow« font toujours partie de mes disques favoris) avait hanté lui aussi ces colonnes et écrit au sujet de « Ghosts of the Great Highway », album de la mue de Red House Painters en Sun Kil Moon . Ou encore JC Dufeu, le ponte de Microcultures, qui avait défendu le disque de reprises de Modest Mouse « Tiny Cities ».

Comme Molina nous a laissés seuls et que Jurado tarde à nous pondre le dernier volet de sa trilogie, « Visions of Us in the Land« , il fallait bien qu’on se mette un peu de folk rock sous notre dent creuse. Du folk il y a mais aussi du rock, du blues, des guitares stridentes. Quelques fois mélangés, souvent compartimentés. Et de la logorrhée partout. À en croire les collègues, Kozelek depuis « Benji« , a opté pour le journal intime en chansons, plus parlé que chanté, sprechengesang comme disent les teutons, un peu hargneux, rêche. Emploi du temps strict, voyages en avions, tournées, visites aux amis, malades ou pas, même cat sitting ! Des thèmes universaux donc. En lisant, en écoutant les paroles je suppose que Mark pond ses titres comme je vais à la selle. Pourtant en s’y plongeant attentivement, on remarque de nombreux ponts entre les titres. Comme le (les?) voyage(s) en Suisse, du côté de Flims, pour le tournage d’un film, « Youth«  de Paolo Sorrentino, qui entraîne rencontres, ennuis et joies simples comme d’entendre les ramages des oiseaux (« Birds Of Flims« ). La chanson finale lui permet de retomber sus ses pieds, et nous avec, faisant le lien entre l’amie Teresa, la famille Fonda et Flims. On n’est peut être pas dans une chronologie pure et un simple enregistrement de diariste. Au passage, et dans un habillage/éclairage très intime et factuel, on retrouve des thèmes récurrents : amour, amitié, mort, travail (le songwriter américain ne manque jamais de rappeler qu’il travaille lorsque l’Européen crée), vie de famille, souvenirs d’enfance et… boxe. La vie quoi qu’on en dise est plus complexe donc que la simple recette en ing : storytelling, name dropping et songwriting (on sait depuis Jeff Lewis que « songs about songwriting suck« ). De même, malgré le côté brut, voire grognon du chanteur et une certaine prose hachée presque combattive genre clash de rappeurs testéronisés, les textes sont toujours touchants, mélancoliques mais sans emphase et préférent se tourner vers le côté lumineux de la vie, refusant l’apitoiement facile des larmoyants folkeux, tendres ours mal léchés qui se reproduisent à la pelle dans les parcs protégés de Secretly Canadian à Kütü Folk.

J’aurais peut-être dû commencer par là puisque c’est la musique et les sons de la voix de Kozelek qui m’ont attiré dans le piège de ses textes mais les musiques de « Universal Themes«  sont géniales. Un tel flot pourrait noyer les plus courageux mais, à la manière des long dark blues de Molina, ses musiques sont plutôt de véritables navires, certains luxueux, d’autres de fortune mais toujours solides et souvent construits en forme d’arche (de Noé bien sûr mais aussi de type sonates genre ABA). On navigue, par exemple, entre les guitares charbonneuses et grungy, on pense au Neil Young de « Ragged Glory« , et un passage apaisé de guitares duettisant tranquillement sur « With A Sort of Grace I Walked To The Bathroom To Cry« . On a droit au blues, bien sûr, avec des jolis choeurs presque soul sur « Cry Me a River Williamsburg Tattoo Blues« , avec moult fuck et goddamn soit dit en passant, et à un merveilleux pont musical amorcé par un crépitement d’harmoniques en feux d’artifice.

« Little Rascals«  joue sur deux ambiances, entre folk rock tendu à la Swell ET folk lumineux et fouilleur à la Led Zep III (dont on trouve la trace dans d’autres chansons sous forme de citation musicale ou d’allusions).

« The Possum« , décidément un animal rock’n’roll puisqu’on le croisait déjà sur l’« Ecstasy«  de Lou Reed, auquel on pense évidemment tout le temps (la voix caverneuse, traînante et pourtant diablement chantante), n’a besoin que de quelques accords en boucle un poil mariachis et d’une chouette batterie en balais pour porter les neuf minutes de textes, chantés, hurlés, ralentis, accélérés, doublés.

Une des forces du disque provient des jeux sur la stéréo et des empilements de voix qui créent une spatialité et une dynamique. Des choeurs surgissent également pour souligner une phrase, ou un mot seul. Parfois le mix comporte aussi un peu plus de réverb. C’est simple, lu comme ça, mais c’est très efficace et les possibilités sont multiples.

Kozelek dissémine aussi quelques petits intermèdes musicaux charmants comme la ritournelle à la fin de « The Possum«  ou la pause musicale aiguë et dissonante par rapport au reste qui souligne le texte et fait référence à « une cacophonie de flûtes et de piccolo ». Balaise.

Une fois qu’on s’est promené avec plaisir dans toutes ces chansons, on peut donc y revenir et s’attacher aux textes qui redonnent un relief nouveau à l’appréciation. C’est l’avantage de n’être que médiocrement anglophone, sachons en profiter. Ainsi, l’évocation bucolique, Virgilienne presque, de « Gardens Of Lavender«  entre exaltation du foyer et de la nature alentour et souvenirs de tournée me touche alors que la chanson m’avait laissé froid par rapport aux « Possums«  et autres petits « Rascals« , immédiats. Idem pour le Sonic Youth stylee, toutes guitares lentes et stridentes dehors, « Ali/Spinks 2«  évoquant un jour de l’an à New Orleans et un étrange rêve : le texte me donne à nouveau accès à la musique qui me retenait un peu dehors.

Comme il décrit tout (ou presque), Kozelek parle de ses collaborateurs, soit ici sur ce disque, Steve Shelley (« always good to see« ) mais aussi le pote, sur les traces de Johnny Cash (« Little Rascals« ), Will Oldham (« smart as fuck« ). Je vous laisse découvrir ce qu’il dit de Ben de The Postal Service, de Johnny Cash et des Fonda père et fille, Ravel, The Doors ou encore…Emerson Lake & Palmer.

Je retourne à mes écoutes tout surpris qu’on puisse retenir des pans de textes entiers sans rimes ou presque de chansons aux mélodies répétitives et dites sur un timbre nonchalant. La marque des grands.

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