Si le lumineux « Set the Twilight Reeling » évoque pour moi les années d’étude, « Ecstasy » me renvoie à mon entrée catastrophique dans le monde du travail (voire aux nuits de prise de substances du même nom) sauvée par les nombreuses discussions passionnées entre Lou Reedophiles qui peupl(ai)ent le bureau. On l’a écouté en boucle cet « Ecstasy », cradingue, rouge et noir comme la pochette. Rouge comme les coulées de lave infinie de « Like A Possum » (18’03. Oui, c’est un peu exagéré), noire comme les descentes dans les bas-fonds des rue(lle)s de « New York » (« Ecstasy »). On rigole plus trop avec ce Loulou-là. La lune de miel avec Laurie, « Set The Twilight Reeling » laisse un goût amer dans la bouche, un peu de parano de la part de Mme (« Paranoïa Key of E »), un peu d’engueulades devant la vaisselle (« Mad »), on évoque même le divorce avec « Baton Rouge ». Ça chauffe. Et c’est torride en studio. Un peu comme sur « New York », Lou Reed partage les tâches et les voies, toi le sérieux (Mike Rathke), tu te mets à droite, moi, à gauche, je gratouille un peu en roue libre et puis, on met la voix, la basse fretless et la batterie un peu partout. Comme pour « The Gift » sur « White Light, White Heat », l’écoute d’ »Ecstasy » permet de jouer avec les enceintes et les sorties droite et gauche. Un charme que les téléchargeurs de mp3 ne peuvent plus connaître. Et ça marche à fond. Surtout sur « Paranoïa Key of E », qu’on croirait avoir été enregistré en une seule (mais excellente) prise. Lou Reed laid back, basse hyper présente, ronde à souhait, riff à se damner, très acide. Loulou est à l’aise, signe d’excellents textes, « Ecstasy » ou encore le brûlot « Tatters », qui souffle le chaud et le froid comme le répétait Lenoir, recourt aux cuivres et lacère à coup de cutter électrique sa bluette qui tourne mal avec un solo killer qui tue. D’ailleurs, ça pète un peu de partout, du presque hardos « White Prism » à « Future Farmers of America » qui fait la nique à NiNeil.
Il fait quand même l’amoureux (un peu revenu de tout, certes) aux yeux noirs de khôl et guitares charbonneuses de sa petite Laurie chérie avec « Modern Dance ». Dans l’ensemble, « Ecstasy » est l’envers brûlant de « Set the Twilight Reeling » : tout d’une pièce, moins fait de bric et de broc avec ses guitares blues sales, son chant habité, ses soli comme on les aime (pas trop démonstratifs mais colorés) et des riffs comme des éruptions brûlantes qui piquent les yeux (« Big Sky »). Un grand Lou Reed, d’ailleurs le dernier album qui ne soit pas une collaboration, un peu méprisé, très Velvetien, mais qui tenait la route sur scène et supporte encore très bien la réduction en mp3.