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Disques

Jeff Tweedy – Warm

 Jeff Tweedy - Warm

Ne vous laissez pas, comme moi, prendre au danger d’une écoute à la légère ! On se dit d’abord que Jeff Tweedy, en vacances de Wilco, a choisi de revoir ses ambitions à la baisse et d’enregistrer un petit album de folk rock loin des grosses structures habituelles du groupe (mais hyprafines, pour qui prend le temps d’ouvrir ses oreilles aux récentes productions de Wilco, cf le récent et apaisé « Shmilco »ou le bruitiste « Star Wars »,vers lequel on revient décidemment souvent). Encore une fois, c’est un Tweedy recentré sur la famille, avec son batteur de fils Spencer (même si Kotche vient tâter de la peau sur « How Will I Find You ») et l’autre fiston, Sammy, aux photos de pochette. On était très loin (des années-lumière ?) du fond de tiroir avec le double LP familial « Sukierae » et « Warm »au premier abord, nous semble moins luxuriant, plus dépouillé, plus folk, moins pop (Bob Dylan moins les Beatles mais toujours et encore Neil Young). On se souvient du demi-mensonge de Jeff Tweedy concernant les arrangements du « Sukierae » : un album peu travaillé (avec, même, des bouts de démo tels quels) et qui l’aurait été bien plus dans les pattes de Wilco, tout en gardant son goût sympathique d’incomplétude. Qu’il ait sonné différemment, c’est sûr, mais je crois qu’il y a une bonne dose de roublardise et un peu de tyrannie là-dedans. Tweedy nous montre son talent écrasant et, une fois de plus avec ce « Warm », qu’il est le centre, la périphérie, la matière et l’énergie (sombres forcément) de Wilco, les autres membres étant relégués au 5% de matière baryonique. 

Alors poker pour poker, il étale ses onze cartes folk, hyper classiques, jouées sur sa Martin des années 30, avec une voix plus éraillée que jamais, presque débraillée, le tout dans des circonstances de décès familiaux lourds et sans trop toucher à cette matière à haut potentiel pathétique. On est très loin de la mythique trilogie « Yankee Hotel Foxtrot »/ »Ghost is Born »/ »Sky Blue Sky » (j’écarte volontairement « Summerteeth », disque sommet et fin d’une autre époque Wilcoesque), tripes et compositions sur la table de dissection et pourtant au plus près de l’essence de Tweedy avec des textes très personnels mais sans nombrilisme (pour cela, on lira certainement sa biographie sortie au même moment et pour laquelle on pourrait bien se laisser tout de même tenter…). 

Est-ce que la carte classique et le dépouillement rendent l’album un peu poussif ? Non, parce que Jeff Tweedy est un coloriste de grand talent et, si ça a toujours été évident pour nous, cela se remarquait d’autant plus facilement sur le foisonnant « Sukierae »avec Tweedy en homme à tout faire. Sur « Warm », ce sont de plus petites toiles, quasi des esquisses, très concentrées mais avec toujours des petites merveilles de tons, une infinité de gris sombres, qui emmènent vraiment loin. C’est de la chirurgie de pointe, de la broderie de luxe, et toujours au service du titre, jamais pour faire de la déco.

Et puis il se permet tout, comme de jouer avec ses idoles (« Some Birds »lui permet de pousser Bob Dylan dans les orties dans le fond du jardin, une fois de plus) ou encore, et c’est plus fou, de se rejouer (déjouer ?) « Out on the week end »de Neil Young en mode post-junky (il y a des restes d’opiacés là-dedans), métaphysique, déconstruit (il y a des restes du hanté « Yankee Hotel Foxtrot »aussi) : « How I will find you »est une étoile naine qui s’effondre en son centre et nous attire irrémédiablement. C’est le final de l’album et c’est magistral.

Entre temps on sera passé par la case « The Red Brick », et là encore, c’est la devise plus que jamais vérifiée « I’m trying to break your heart »(si ce n’est tout l’album dont elle est issue) qu’on retrouve, avec ce folk bruitiste grondant et tonnant dont il a le secret et qu’on pensait que seul Nels Cline pouvait déclencher dans Wilco.

Et puis, dans l’aridité vivifiante, on errera dans « How Hard is it for a desert to die », « I know what it’s like »ou « Warm », chansons-briques, objets inanimés et pourtant calorifères, réconfortants puisque c’est le rôle du poète et de ses adjuvants.

Jeff Tweedy nous parle d’autant mieux que plus le temps passe, plus nos amis lui ressemblent physiquement (ou réciproquement ?). 

En bon middle class hero, il vient de nous laisser non pas une collection de perles (trop luxe) aussi précieuses que nos copains, ni même une nouvelle brique prolo (Jeff n’est pas Bruce) dans l’abri atomique protecteur de ses disques mais une nouvelle étoile, pour reprendre une métaphore filée Tweedesque, qu’il vient d’ajouter à sa galaxie de chefs d’œuvres et qui continuera de nous éclairer et de nous réchauffer bien longtemps après sa mort.

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