Loading...
Interviews

Chevalrex : « Je me suis toujours senti hors sol »

Il y eut d’abord les Frères Nubuck, deux vrais frangins de la Drôme qui dégoupillèrent dans les années 2000 quelques disques autoproduits, bricolés et absurdes, à la fois pop et sauvages. Ces méfaits accomplis, le binôme se scinde : d’un côté, Nicolas alias Gontard !, de l’autre Rémy aka Chevalrex – qui nous occupe ici. Trois ans après le formidable “Anti Slogan” sort enfin son nouvel album, “Providence”, terminé depuis près d’un an mais mis en stand-by en attendant des jours meilleurs. Flirtant avec une variété-pop classieuse aux sonorités légèrement synthétiques, ses douze chansons confirment que leur auteur est bien l’un des meilleurs mélodistes et l’une des plus fines plumes de ce pays, œuvrant dans un registre doux-amer qu’il réussit à renouveler à chaque disque. Il sait en outre s’entourer : Mocke, Olivier Marguerit, Sylvain Joasson ou Stéphane Milochevitch (Thousand) pour un duo viril mais cordial. Etrangement, bien que nous le suivions depuis ses débuts, nous ne l’avions jamais rencontré pour POPnews, si ce n’est pour une session à l’époque de “Futurisme”. Pour nous rattraper, voici donc une longue interview réalisée dans des conditions fort confortables pour nous puisque c’est l’artiste qui a eu la gentillesse de venir prendre le café (et un croissant) à la maison.

Je crois que le nouvel album était à peu près terminé dès mars 2020 ?
Oui, on a dû finir de le mixer début mars, et le mastering a été fait la première semaine du confinement… ce qui signifie que je n’étais pas présent ! Chab a masterisé l’album tout seul, je crois même qu’il l’a fait chez lui. On ne savait pas encore à l’époque ce qui nous attendait…

Comme tu as dû repousser la sortie, tu n’as pas été tenté de retoucher des choses dans l’intervalle ?
Non, parce que j’y avais déjà passé beaucoup de temps. Il y avait eu une première session un an et demi avant la finalisation du disque, et il avait même été question qu’on sorte un EP en amont de l’album, avec quatre ou cinq titres qui étaient prêts. Mais je n’étais pas complètement satisfait de l’ensemble et j’ai préféré prendre mon temps. Donc ça a représenté à peu près un an et demi d’écriture, d’enregistrement, de mix en studio avec Angy Laperdrix… Au bout de tout ça, j’étais convaincu que l’album était bel et bien fini. Et au fond, j’aime l’idée qu’il n’entretient pas de rapport avec tout ce merdier qu’on a vécu et qu’on vit encore. Plusieurs artistes ont été inspirés par le confinement, certains comme Dominique A ont même mis cette période à profit pour écrire et enregistrer des chansons, puis ont sorti un disque dans la foulée. Le mien était enregistré avant le confinement et à l’heure où je te parle, il n’est pas encore paru ! (sourire) Il n’est absolument pas en réaction à cette situation, contrairement à d’autres, plus ou moins réussis. Je me suis toujours senti hors sol, hors temps, donc ça me va très bien.

Dans les réponses aux questions que nous t’avions envoyées pour notre rubrique “Un tour en ville”, tu te montrais relativement serein et optimiste. Face aux incertitudes quant aux réouvertures des salles et aux reprises des tournées, tu arrives à rester confiant ?
Les échéances se rapprochent : l’album sort, et on est censé commencer les concerts fin février. En temps normal, on aurait déjà commencé à communiquer sur les dates… Là, on ne peut pas trop les annoncer puisque les salles ne savent pas si elles auront rouvert. Je ressens donc de plus en plus concrètement cette situation particulière, d’autant qu’on a répété, que l’envie de refaire de la scène et de défendre de nouvelles chansons est évidemment de plus en plus forte… Ce sera problématique si les lieux de spectacle vivant ne rouvrent pas dans les prochains mois, c’est sûr. Ça mine le moral de beaucoup de mes potes, ce que je comprends. Moi, je ne sais pas comment je fais, mais ça ne m’atteint que moyennement. Le printemps a été très beau, et comme je me suis marié en février, en Guadeloupe – où a d’ailleurs été prise la photo de la pochette –, ça a été une sorte de lune de miel de deux mois et demi (sourire). Globalement, 2020 n’a pas été une bonne année, mais pour moi ça n’a pas été si catastrophique, au fond.

Tu as quand même pu jouer un concert en trio, sans public, filmé par Arte.
Oui, c’était dans ce lieu étonnant qui a ouvert récemment dans le XVIIIe arrondissement, le 360 Paris Music Factory. J’étais déjà passé devant mais je n’étais jamais rentrée, et l’intérieur est plutôt bien fichu. Bon, j’étais content de le faire, on avait essayé de trouver une forme à trois, avec Mocke et Olivier Marguerit, qui soit intéressante et stimulante. Mais j’ai quand même du mal à être excité par des concerts sans public ! Pour moi, c’est comme un disque sauf que je n’ai pas eu le plaisir de travailler dessus pendant des mois…

Tu as sorti plusieurs morceaux au fil des mois, en amont de l’album. C’était pour occuper le terrain en attendant sa sortie plus tardive que prévu, ou était-ce décidé dès le départ ?
Disons que c’était une “stratégie”. Je ne sais pas si elle est bonne ou mauvaise, je ne suis pas un fin stratège ! J’avais sorti les précédents disques peu après les avoir terminés. Là, il était donc prêt en mars, et en voyant ce qui s’annonçait, on s’est posé la question de le sortir à la rentrée de septembre ou d’attendre pour voir. Aussi bien du côté de la promo que du label ou du tourneur, les gens préféraient prendre leur temps, travailler sur la durée en sortant plusieurs singles, préparer la tournée… Je n’avais pas de contre-arguments à y opposer. Au contraire, prendre le temps de faire les choses bien, je suis tout à fait pour ! Après, même s’il me semble que ça fonctionne, je ne le referai pas pour autant car pour moi l’attente est quand même longue. Je suis vraiment content que l’album sorte enfin, que j’aie l’occasion d’en parler. Ce qui est intéressant, c’est que j’ai l’impression de mieux le comprendre maintenant, après être resté à distance des chansons pendant quelques mois. C’est en tout cas un état d’esprit très différent ce que j’avais connu jusque-là.

Trois clips ont accompagné ces morceaux envoyés en éclaireurs (et illustrent cette interview). Quel est ton degré d’intervention, d’implication dans ces réalisations ?
Il est assez important même si ce n’est pas forcément moi qui réalise. De manière générale, ce qui m’intéresse le plus, dans cette longue chaîne qui aboutit à la sortie d’un disque, c’est bien sûr la création, que ce soit l’écriture des chansons, l’enregistrement, le graphisme de la pochette… Idem pour les images. Les clips, soit je les ai faits moi-même, soit je les ai écrits avec Daniel Brereton, dont j’aime beaucoup le travail et avec qui j’avais déjà travaillé sur le clip de “L’Adversaire” il y a deux ou trois ans. Ma musique l’inspire beaucoup mais il tient avant tout qu’on discute tous les deux. Il préfère que les artistes avec qui il collabore apportent aussi des idées, sinon il craint de faire toujours un peu la même chose. Donc on coécrit, et ça se passe très bien. Le clip de “La Tombe de Jim” a été réalisé par Marc Cortès. Il était moins écrit mais j’ai quand même cherché avec lui le lieu où le tourner, j’étais là aussi très impliqué.

L’accueil médiatique avait été très bon pour l’album précédent, mais tu restes encore peu connu du public. Tu aimerais que ça change, ou la situation te convient-elle ?
On peut tout imaginer : ça pourrait être pire, ça pourrait être mieux… (sourire) C’est vrai qu’on me parle souvent de cette espèce de distorsion, mais je ne peux rien y faire. Je ne peux que me contenter de la réalité, qui est déjà très satisfaisante : je fais de la musique, j’en vis. (Il réfléchit) Je ne sais pas trop quoi répondre, en fait. Je sais juste qu’il y a beaucoup plus de personnes qui m’écoutent qu’il y a deux, trois ou quatre ans. Surtout je n’ai pas l’impression d’avoir refait à chaque fois le même disque, ce qui a pu à la fois m’amener de nouveaux auditeurs et m’en faire perdre. Les 200 personnes qui s’intéressaient à moi quand j’ai sorti “Catapulte” en 2014 étaient sans doute touchées par une esthétique un peu lo-fi, qu’elles ont dû retrouver ensuite sur “Futurisme”. Je pense que ce disque a fédéré un peu plus autour du même noyau, tout en étant déjà une bascule vers autre chose. Il n’est pas impossible en revanche que j’aie perdu certains de ces auditeurs avec “Anti Slogan”, tout en attirant un nouveau public. Enfin, ce sont juste des hypothèses, mais c’est vrai que les disques ne sonnent pas pareil. En tout cas, je fais ce dont j’ai envie, je suis en phase avec ce que je fais. Après, être plus connu, moins connu… Bon, ça me chatouille parfois quand on m’en parle, j’aimerais bien être un gros vendeur de disques et remplir des salles, évidemment. Mais ce qui m’arrive est déjà très cool.

Avec le succès viennent aussi des contraintes…
Bien sûr. En fait, je veux bien que les gens m’aiment bien, mais qu’ils m’aiment bien pour de bonnes raisons. Et l’histoire de la pop music est pleine de malentendus entre des artistes et leur public. Donc je sais me contenter de ce que j’ai.

Quand tu as commencé il y a une vingtaine d’années le duo Les Frères Nubuck avec ton frère aîné Nicolas, qu’on connaît aujourd’hui sous le nom de Gontard !, imaginiez-vous l’un et l’autre que vous feriez encore de la musique, chacun de son côté, des années après ?
Je ne saurais pas dire ce qu’on imaginait au tout début, mais je crois que ça s’est dessiné de plus en plus clairement au fil des années. Au départ, c’était très fusionnel. J’avais l’impression d’avoir besoin de mon frère pour faire de la musique, des chansons. Je faisais des instrumentaux de mon côté, mais sa validation m’était nécessaire, il fallait que j’aie un échange avec lui. Et inversement. Peu à peu, lui comme moi avons pris confiance en ce que nous faisions, et il était naturel qu’au bout d’un moment chacun aie envie de suivre son propre chemin. Je crois que ça s’entend au fil des disques des Frères Nubuck, une sorte de scission progressive entre son esthétique et la mienne. Ce n’était pas que c’était devenu difficile de travailler ensemble, c’est juste que le résultat était de moins en moins homogène, faisait moins corps. Pour notre dernier disque, un disque “fantôme” qui n’est jamais sorti, on avait sept ou huit chansons mais la fusion n’opérait plus vraiment. Je crois que tout en formant un duo soudé pour se donner plus de force, on espérait secrètement l’un et l’autre pouvoir s’exprimer en solitaire.

Est-ce que vous empruntez toujours beaucoup de disques dans les médiathèques ? Il me semble que c’était une grande source de samples pour les morceaux que vous faisiez ensemble.
Plus maintenant en ce qui me concerne, mais ça a été central en effet. Peut-être moins pour Nico : lui lisait la presse musicale et parlait beaucoup musique avec ses potes. Comme je l’avais lui comme premier « filtre », je n’échangeais pas beaucoup sur le sujet avec mes camarades, qui de toute façon ne s’intéressaient pas vraiment aux mêmes choses que moi. J’avais donc sans doute un rapport à la musique plus solitaire. Par ailleurs, lui achetait – et achète encore – énormément de disques, il en a des milliers, il est beaucoup plus collectionneur que moi. Moi, quand j’étais au lycée, j’allais beaucoup à la médiathèque à Valence, ensuite à Grenoble, et j’empruntais plein de CD dont certains que j’aurais peut-être pu aussi découvrir par mon frère, d’ailleurs. J’ai l’impression que c’est vraiment un truc des années 90, je ne sais pas si les gens de la génération suivante vont beaucoup dans les médiathèques aujourd’hui, s’ils se construisent une culture musicale de cette façon. Moi-même, aujourd’hui, j’ai un compte Spotify comme tout le monde ou presque, et je découvre plein de trucs par ce biais. Mais je ne pense pas que ce soit le même genre d’ouverture. Par exemple, j’empruntais beaucoup de classique alors que personne n’en écoutait dans ma famille ou mon entourage. Quand le dernier album de Mocke est sorti sur mon label Objet Disque, certains ont évoqué Janacek et j’en ai parlé avec lui. Il était un peu surpris que j’écoute ça depuis mes 17 ans ! Et ce ne sont pas mon Spotify et ses algorithmes qui m’ont amené vers ce compositeur… Les médiathèques me permettaient d’étancher ma grande curiosité.

Tu parlais d’Objet Disque. Comment t’est venue l’idée de lancer ce label en 2014 ?
C’était en fait la continuité du label artisanal que j’avais monté avec mon frère, Sorry But Home Recordings Records, pour sortir les disques des Frères Nubuck. Quand j’avais 15 ans, je dessinais déjà des faux logos de labels sur mes cassettes ! Ça m’a toujours intéressé. Quand l’aventure des Nubuck s’est terminée et que nos chemins se sont séparés, l’idée de remonter une structure dont je m’occuperais seul s’est tout de suite imposée à moi. Ça s’est fait très vite, le nom est le résultat d’un brainstorming avec moi-même dans un train entre Valence et Rennes. Je me suis demandé quel serait le but de ce label. Sortir des objets… des disques… C’était plié !
Même si l’objectif était de publier mes propres productions, j’ai très vite écrit à Mocke. J’aimais beaucoup Holden mais je ne le connaissais pas personnellement, on ne s’était encore jamais rencontrés. Je venais d’entendre ses morceaux instrumentaux et j’avais envie de les sortir. Donc, dès le départ, Objet Disque était destiné à accueillir des artistes que j’apprécie, et non à sortir uniquement mes disques. D’ailleurs, aujourd’hui je suis sur un autre label ! [Vietnam, NDLR]

Même si ce n’est pas le cas sur le nouvel album, il y a souvent quelques morceaux instrumentaux sur tes disques. Généralement, c’est la musique qui vient d’abord quand tu écris ?
En effet, j’écris d’abord des musiques, sur lesquelles je mets des textes. Je n’ai pas une façon d’écrire académique, où la chanson est composée au piano ou à la guitare, avec les paroles, et arrangée ensuite. Je ne sais pas vraiment le faire, même si ça a pu m’arriver une fois ou deux. Je pars d’un instru, qui va me stimuler, m’évoquer des choses d’où va découler le texte. Ou pas : les morceaux strictement instrumentaux sur mes disques sont souvent des chansons avortées. C’était un peu déjà le cas avec mon frère. J’écrivais plein d’instrus, certains devenaient des chansons de lui, d’autres des chansons de moi, et certains restaient tels quels, que je compilais ensuite. Je n’exclus d’ailleurs pas de refaire des disques de musique instrumentale. Ceci dit, le point de départ de Chevalrex, c’était de faire des disques de chansons. J’en avais envie mais j’y suis allé timidement avec “Catapulte” qui était moitié chansons, moitié instrus. Sur le nouvel album, tous les titres sont chantés, mais finalement la version que j’écoute le plus, c’est un mix sans les voix ! Pas impossible d’ailleurs que ça sorte un jour, retravaillé.
Il y a une culture de la chanson française qui ne m’est pas très familière, le côté chanson à texte où la musique sert juste d’accompagnement. Bon, je fais moi aussi de la chanson à texte dans le sens où j’estime que les mots que j’écris sont assez intéressants pour les chanter. Mais ils ne le sont pas plus que le carillon, le piano ou la batterie. L’idée que ça forme un tout est pour moi essentielle. Sinon, je ne ferais que de la musique instrumentale ou, à l’inverse, des chansons quasiment a capella.

Je sais que tu as une grande admiration pour les musiciens qui jouent avec toi : Mocke, Olivier Marguerit, Sylvain Joasson… En même temps, eux se mettent au service de ta vision, de tes chansons. Comment définirais-tu la relation que tu entretiens avec eux ?
Je suis relativement control freak. Pendant longtemps j’ai tout fait seul, par volonté de tout contrôler, maîtriser, de faire en sorte que rien ne m’échappe. Mais ce n’est pas viable, on peut vite devenir fou. Et puis ce qui m’intéresse c’est quand même les rencontres, je suis quelqu’un de curieux, d’ouvert. La logique était donc de m’entourer de gens de confiance, dont j’aime le travail. Je sais que s’ils dénaturent ma musique, ce sera dans un sens qui va m’interpeller, m’interroger. Je ne me suis pas retrouvé par hasard avec ces musiciens-là. On avait déjà enregistré “Anti Slogan” ensemble, et je voulais qu’ils aient cette fois-ci davantage de place, que ce soit un peu plus soutenu, intense au niveau du jeu. Finalement, ça ne s’est pas passé exactement comme ça. Je leur ai fait produire beaucoup de matière, dont j’ai fait ensuite ce que j’ai voulu, sans leur demander leur avis. J’ai pris beaucoup de libertés, et au fond, ça leur allait. Je leur fais confiance, ils peuvent se permettre tout ce qu’ils veulent, et de leur côté ils font confiance à mes choix, mon tri. Je me suis un peu servi d’eux, mais je n’ai les ai pas non plus trahis et ils sont très satisfaits du mix final. C’est une situation assez idéale. Mes derniers disques me ressemblent toujours, mais sans doute pas autant que les premiers où je faisais tout seul. Je compte quand même revenir à ce fonctionnement pour le prochain. Fort de l’expérience acquise sur les deux derniers, j’ai envie de me confronter de nouveau à cette expérience-là, jouer davantage. On verra bien comment ça se passera !

En novembre 2019, tu avais donné un concert unique en septette au Centquatre, à Paris. Tu étais satisfait du résultat ?
Oui, et pourtant, le matin du concert, j’étais vraiment angoissé car nous n’avions pas eu beaucoup de temps pour répéter, ça avait été trois jours très intenses… Finalement, ça s’est bien passé, et j’avais adoré cette formule. Pour la prochaine tournée, on s’en approchera puisqu’on sera cinq – sans le violon et le violoncelle, donc.

Quand il t’arrive de te produire seul comme à tes débuts, avec tes pédales et tes petits magnétos, as-tu l’impression qu’il te manque quelque chose, où apprécies-tu la liberté que cela procure ?
Ce n’est pas vraiment une question de liberté. Plus ça va, plus j’ai l’impression qu’il y a deux formes qui coexistent, se complètent et se nourrissent l’une l’autre : le concert solo et, à l’inverse, la formation orchestrale, ou en tout cas relativement large. Sur la tournée d’“Anti Slogan”, on était quatre et c’était un peu bâtard : il manquait des choses, on était obligés de se reposer sur des bandes, et ça n’avait pas le charme de la bidouille que je pratique quand je suis seul. Là, à cinq, ce devrait être plus riche. En même temps, je ne veux pas abandonner le performance solo, avec mon petit merdier… Je pense qu’à l’avenir, sur disque, ça va aussi osciller entre ces deux pôles.

Le nouvel album a des sonorités un peu plus synthétiques que les précédents. As-tu utilisé de nouveaux instruments ?
J’ai changé d’outils, oui. “Anti Slogan” était très acoustique, avec pas mal de cordes et un mix très naturel. Là, j’ai pas mal de temps en studio avec Angy, qui a mixé le disque. C’est un vrai geek, il a beaucoup de synthés qu’il m’a mis à disposition. Je n’avais jamais utilisé ce matériel, je n’ai pas trop cette culture high-tech : si tu me donnes un ukulélé, je me débrouille, j’ajoute des effets pour obtenir le son que je veux. J’avais comme souvent fait des démos très chargées, avec plein d’instruments, et j’ai eu envie de simplifier, et donc de travailler avec ces sons de synthèse que je ne connaissais pas trop et qui m’ont intéressé le temps de l’écriture de l’album. Ce n’est pas non plus de la musique purement synthétique, bien sûr, mais il y a quelques couleurs nouvelles, comme ces nappes sur le morceau d’ouverture.

Tu as encore travaillé avec l’Orchestre national de Macédoine. Tu es allé sur place, à Skopje ?
Je l’avais fait pour “Anti Slogan”, là ça n’a malheureusement pas été possible. Pourtant, c’était avant le confinement mais c’était trop compliqué d’un point de vue logistique. Ils calent des sessions quand ils peuvent, et cette fois-ci je n’ai eu les dates que deux jours avant et je n’ai pas trouvé d’aller-retour en avion qui collait. On a donc fait ça à distance, les techniques actuelles de livestream permettent d’assister à la séance et de communiquer avec le chef. C’était un peu plus froid, moins magique, mais ça a très bien marché. D’autant que les cordes avaient cette fois-ci un rôle moins central que sur “Anti Slogan”.

Tu chantes le morceau “Une rose est une rose” en duo avec Stéphane “Milo” Milosevic, alias Thousand. Tu as tout de suite pensé à lui ?
Oui… mais au terme d’un long processus ! Pour moi, les morceaux les plus pop sont souvent les plus difficiles à terminer, j’ai toujours tendance à m’y casser les dents. Pour celui-ci, j’avais essayé énormément de versions et ça ne prenait pas vraiment. Assez vite, en l’écrivant, j’avais senti que c’était un duo et je m’étais arrêté sur un duo homme-femme, qui est sans doute la formule la plus évidente. Mais même si je connais bien sûr des chanteuses, je me rendais compte que n’avais pas de désir particulier de chanter ce morceau avec l’une d’elles. Au moment où Angy et moi avons trouvé la bonne façon de faire sonner l’instru, avec cette partie de guitare assez simple, ça m’a redonné envie de faire quelque chose de ce morceau que j’étais prêt à abandonner. En écoutant la première phrase, ça a fait tilt : il fallait que ce soit un duo de mecs, et en me disant ça j’ai entendu la voix de Milo, que je connais depuis longtemps. Je lui ai tout de suite écrit, il m’a répondu dans le quart d’heure et le lendemain il était là pour enregistrer. Après une longue gestation, ça a finalement été plié très vite. Je suis très content de ce morceau qui apporte du contraste au disque.

Tu mènes en parallèle à ta carrière musicale une activité de graphiste, à la fois pour toi et pour d’autres artistes. Tu as toujours fait les deux ?
Oui, même si le graphisme est devenu un métier avant la musique parce que c’était plus facile. Ou du moins, c’est là où je recevais des propositions. Quand j’ai commencé à écrire des chansons, ce n’était pas pour les jouer devant mes copains mais pour les enregistrer dans mon coin et les mettre sur des cassettes. Et quand tu as fait ta cassette, tu fais une jaquette plus ou moins élaborée. Moi, j’aimais bien faire des collages, et cet esprit ne m’a jamais trop quitté. Il m’est même arrivé de concevoir des pochettes et d’enregistrer ensuite la musique qui allait avec.
Aujourd’hui, les deux activités se complètent assez bien. Je fais des visuels quand je consacre moins de temps à la musique. Ça m’occupe quand même pas mal, ces dernières semaines j’ai passé un temps fou à décliner des images pour accompagner la sortie de mon disque. En tout cas, les deux choses m’intéressent autant et je glisse facilement de l’un à l’autre. A des périodes, je vais faire deux mois de musique sans toucher un image, et à d’autres, sans vraiment m’en apercevoir, je ne vais faire que ça pendant un mois. Les deux restent pour moi très imbriqués.

2 comments
Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *