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Disques

Maher Shalal Hash Baz- Je est un autre

Le plus francophile des Japonais en Belgique avec un big band élargi d’autochtones : blues du jour, faux départs et autres caps.

Les disques de Maher Maher Shalal Hash Baz se suivent, se ressemblent et… ne se ressemblent pas.
Cette nouvelle publication chez Okraïna Records confirme tous les liens tissés avec la Belgique et avec son exilé de cœur, McCloud Zicmuse. En 2018, McCloud Zicmuse fête les 20 ans de son projet Le Ton Mité et invite pour cela le Maher Maher Shalal Hash Baz de Tori Kudo dont il est un des membres variables les plus tenaces. Le groupe se réunit en Belgique pour un enregistrement marathon de 20h, assure la légende et, notamment, un concert aux Ateliers Claus. Les deux versants, sur quatre faces, de ce moment privilégié sont documentés sur le disque.

Comme sur Gala-Kei, chaque piste est composé de deux états du titre : l’un en version « orchestre », l’autre joué sur un clavier par Tori Kudo. Est-ce une lecture-déchiffrage collectif de partition suivi de sa version par l’auteur, telle qu’elle devrait sonner (ou plutôt pourrait aussi sonner ?) ? Les notes de pochettes (doit-on les croire ?) nous apprennent que c’est l’inverse : que Tori jouait au clavier une mélodie que les autres devaient ensuite réinterpréter. Dans tous les cas, il y a la composition pensée, celle écrite et jouée en solo par l’auteur, et son interprétation/réappropriation par le collectif. Je est un autre, écrivait Rimbaud. Quelle belle façon de l’appréhender en jouant à Je est des Autres !

Tori Kudo ne choisit pas entre son rêve et la réalité et livre les différents états, laissant tout de même la proéminence au jeu commun. Sans la priorité bien occidentale accordée à la compétence et à l’excellence.
Qu’en ressort-il ? Des monstres musicaux tordus qu’on cherchera, ou pas, à redresser mentalement, à comparer avec la version clavier, pour autant pas « au propre » de Tori. On pense, comme souvent, au Scratch Orchestra de Cornelius Cardew et à ces déformations du son orchestral de For Samuel Beckett de Morton Feldman, ou à ces harmonies municipales qui n’étaient déjà plus du temps de notre enfance. Au plaisir de jouer ensemble surtout.
On retrouve ces bribes de pop, de jazz, de scies cinématographiques qu’il faut appréhender pour ce qu’elles sont : de courts instants de jeux collectifs. Ce n’est donc pas encore le moment de se réjouir totalement : on attend toujours le successeur de <em>C’est la Dernière Chanson,de L’autre Cap ou de Blues du Jour (et je crois pour longtemps : Tori est toujours ailleurs et jamais là où on l’attend).

Pour l’instant, on s’amuse de retrouver un autre philosophe français dans les titres de sa discographie pléthorique : après « Deleuze 77 », voici « Lacan 16-7-2017 » !
Dans la seconde série de titres, documentant le concert, à partir de « Route 5-2003 » donc, on retrouve une certaine évocation du parcours croisé Zicmuse/Kudo. « Route 5 » est tiré du Faux Départ, pochette dudit McCloud, alors au basson, et le disque se conclut sur une version live de « McCloud », le titre, composé en 2007 et figurant sur C’est la Dernière Chanson, célébration de leur long compagnonnage de concert. C’est un bien beau cadeau.

Plus étonnant, on trouvera des relectures des « Barricades mystérieuses » de Couperin (1717) et de Ortiz (« Seis Recercadas sobre el canto llana La Spagna », 1553), perdues entre des Bdj (Blues Du Jour) et des notations de dates. Les temps et les goûts de Tori Kudo sont élastiques mais dénotent, comme toujours, un sérieux sens esthétique et une véritable réflexion sur la musique, savante et populaire, son sens, sa métaphysique et son jeu à travers les âges.

Avec l’aide de Johanna D, Tanuki Nordique.

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