Chaque année c’est la même chose : on peste contre ce Record Store Day avec son mercantilisme de bas étage, ses attrapes nigauds mais il nous est impossible de résister aux sirènes de produits faits pour nous, gogos que nous sommes aussi. Après la box des singles de Songs:Ohia l’an passé, cette année l’objet de toutes les convoitises était le « Live in Chicago » de Bedhead. Après avoir chéri le coffret « Bedhead 1992-1998 » de Numero Group, comment résister à ce complément scénique ? Evidemment, on maudit Numero Group : qu’est ce que ce coffret « vendu » comme intégrale alors qu’on annonce quelques mois avant le dit RSD un bonus live ??! Si c’est pas retondre le mouton coup sur coup et hypothéquer les côtelettes… Sans compter sur le marketing approximatif, et toujours dégueulasse, d’une sortie qui vise en priorité le marché US (pas un exemplaire en Suède, mesdames et messieurs !). Heureusement, on peut compter sur la gentillesse de Numero Group qui nous aiguille sur un revendeur diligent et de bon goût de Poitiers et qui pratique l’envoi postal (amis provinciaux : avec un peu d’organisation et de volonté, on peut échapper à la centralisation Parisiano-parisiste du Record Store Day honni, usine à frustration s’il en est).
Quid de l’objet ? Design impeccable (gris sur noir) à l’image de la sobriété du groupe (informations légales, durées, titres, toi-même tu sais). L’objet est dans l’air du temps… Soit le vinyle de rigueur même si la durée totale du live excède les possibilités du disque ! On en est réduit à écouter la totalité du concert sur le mp3 à télécharger, notamment pour l’ouverture (un comble !), « Liferaft », et le titre tarabiscoté et indispensable comme Bubba Kadane les écrit si bien, « Half-Thought », est coupé entre les deux faces ! Sans compter « Bedside Table », tout simplement passé à la trappe. On attend un billet d’excuse…
A part ça, on est évidemment comblés au niveau du son et du témoignage : ce concert à Chicago a été enregistré par Bob Weston, comparse de Steve Albini du studio Electrical Audio et de Shellac. On pourrait s’arrêter là. La messe est dite et vous allez réécouter ou acheter, de suite, l’objet obscur de votre désir.
Quant on connaît, et apprécie, la façon de jouer directement leurs titres avec une courte balance et leur aversion pour les triturages de studio (consulter « 4- songCDEP19 :10 ») couplé à la méthode Albini/Weston, on a le meilleur alliage pour écouter aujourd’hui ce témoignage de ce que fut Bedhead sur scène à leur apogée.
On se calme et on boit frais quand même (on est à Chicago) : pas de surprise ici. Bedhead joue les titres de Bedhead à la scène comme à la ville. Pas de fioritures, ni de soli extravagants à coup d’archets. On vient entendre et vérifier, s’il était nécessaire, que Bedhead joue parfaitement ses titres sur scène.
Comme sur les, rares, versions démo du coffret, on vérifiera, avec plaisir, les minimes écarts entre la version écoutée et celle gravée sur le marbre des disques qu’on connaît par cœur et on jouera avec notre mémoire à redécouvrir le familier. Un chouia de guitare frottée un peu plus rapidement ici (la fin de « Wind Down »), un grésil de guitare un peu plus dense sur « The Dark Ages », des éclairs de guitare un peu plus aigus sur « Powder », un démarrage un peu lent au début de « Living Well » avec une basse un peu lourde et qui rattrape le groupe au fur et à mesure, la batterie à la prise de son toujours un peu lointaine…
Une part non négligeable du plaisir de ce disque réside peut-être aussi dans les explosions de joie (hurlements, applaudissements, tension du public audible) qu’on entend ça et là, lien entre le public privilégié et en sueur d’hier et l’auditeur avachi et confit d’aujourd’hui.
L’espace d’un moment (7’39 quand même), je suis l’enthousiaste de Chicago qui trépigne de joie et hurle régulièrement comme un perdu pendant « Powder ». Si Numero Group sort un DVD tiré d’une captation avec un camescope pourri, je replonge.
En attendant, comme le dit le Kadane de la fin : « Thanks. See you next time ».