Électroacoustique pure et dure qui lorgne par moments vers le post-rock. Des sentiers parallèles qui avancent de concert dans le nord de l’Italie confinée.
Père et fille. Venise et Milan. Deux générations et deux villes différentes réunies par le même goût de l’improvisation, le même geste de touches-à-tout, curieux de sons et d’images. Que la musique contemporaine expérimentale est avant tout fabrique de temps pur est une lapalissade, surtout chez Mauro Sambo, dont on avait beaucoup aimé l’enregistrement “5 Clocks, 5 Musical Pieces, 1 Museum”.
On n’échappera donc pas à la coulée musicale de temps de cette composition électro-acoustique faite de micro-moments agencés poétiquement par le montage sonore. Accentuation d’instants par le volume, dilatations/contractions par le traitement, glissements et collages qui superposent les temps enregistrés : ces “Sentieri Paralleli” sont éminemment proustiens.
On retrouve toute la palette sonore de la famille Sambo : cuivres post-jazz (clarinette contre-alto), cithare, gongs et percussions pour Mauro ; pour Matilde, électronique, guitares et field recordings, toujours retravaillés et agencés avec soin par le père.
On aime se perdre dans ces volumes sonores, ces percussions qui éclatent (c’est un véritable… arsenal), sur ces stries lissées ou non qui zèbrent la composition.
Ce qui surprend peut-être, c’est un côté post-rock auquel on n’est peu habitué dans ce champ-là. Que Labradford lorgne volontiers vers la musique électroacoustique, c’est entendu. On a affaire ici au mouvement inverse. Vers 13’ on trouve des percussions mates très Labradford justement (ce côté presque dub) et vers 31’ une échappée de guitare qui pourrait rappeler le jeu présent-absent de Mark Nelson (qui, le saviez-vous ?, sort toujours des albums sous l’alias Pan.American… et toujours chez Kranky !).
Ce qui touche également, c’est la récurrence de la présence humaine qui inonde l’enregistrement. Chants, chœurs, rumeurs, captations radiophoniques, télévisuelles ou, plus contemporaines… sur YouTube. L’humanité, captée, enregistrée à son insu ou non, irrigue le continuum musical. On pense à ces rumeurs de la rue qui s’insinuent longuement dans les pages de “La Prisonnière”, ou à ces bribes de musiques, ces images volées aux tableaux qui surnagent et informent “La Recherche”. Tout est musique, tout est art, tout est vivant.
Cette présence humaine touche évidemment parce qu’elle nous renvoie à ce besoin de contact, d’individualités hautement nécessaires (la voix qui s’élève sur des cordes pincées vers 2’, les chœurs), mais aussi la foule qui bruit. On ne sait pas si elle a été « volée » avant, pendant ou après le premier confinement mais son irruption est émotivement puissante (vers 15’ avec des percussions très sèches). Des voix d’anonymes qui se mélangent et bruissent comme des insectes ou des oiseaux (ceux de Saint François d’Assise et/ou de Messiaen), des chœurs ordonnés, une voix soliste singulière, une lecture de “Bartleby” de Melville. Les voix et les voies sont multiples dans l’ordonnancement du monde des Sambo, qui fait toujours place à la spontanéité, aux dissonances, aux grincements. “Sentieri Paralleli” est un monde sinon total, du moins dialectique. Les Sambo sont des révolutionnaires, discrets sans doute, en tout cas bien décidés à exercer leur droit au pas de côté musical.
Avec l’aide de Johanna D., je préférerais ne pas ne pas être à Venise.
“Sentieri Paralleli” est sorti le 20 novembre chez Plustimbre. Il est à prix libre, fait suffisamment rare pour être souligné. Quelques exemplaires en CD ont été produits et peuvent être commandés directement auprès des artistes.
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