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Disques

Mauro Sambo – 5 clocks, 5 musical pieces, 1 museum

Mauro Sambo - 5 clocks, 5 musical pieces, 1 museum

La première fois que j’ai entendu la musique de Mauro Sambo, c’était, il y a quelques années, pendant la sieste des enfants, un après-midi à Venise, en plein cagnard, sur une terrasse, sous les raisins de la treille. Dieu sait qu’on entend toutes sortes d’horreurs dans les rues de Venise, et là, subitement, des sons de gongs, des résonnances diverses et variées, jouées avec parcimonie et art nous parvenaient. C’était tellement irréel qu’il a fallu attendre le deuxième jour pour oser en parler entre nous et s’avouer qu’on avait pris ces sons pour une bande-son intime échappée de nos cerveaux en surchauffe et toujours aux prises avec des remix (de malades) mentaux. Il y avait donc des vrais Vénitiens, qui écoutaient ÇA aussi. Mieux, qui le faisait puisqu’il s’agissait en fait, d’enregistrer des échantillons pour les retravailler. Un musicien expérimental à Venise ? Bien sûr ! Comment avons-nous pu en douter : La Serenessima est immortelle… 

Au moment décisif de l’humanité où des chercheurs en physique (ça se passera sans doute du côté non pas de chez Swann mais de la géométrie) sont peut-être sur le point de trouver, paraît-il, le moteur du Temps, Mauro Sambo lui se penche sur la mécanique des horloges de la Fondation Querini Stampalia pour créer une bien belle musique et illustrer un certain espace-temps car, depuis Einstein, on sait (ou du moins on devrait savoir) que les deux sont liés.

Mauro Sambo a donc travaillé avec les objets physiques marquant le temps mais aussi avec la musique du temps de fabrication de ces horloges en utilisant des enregistrements de compositions ayant été écrites au moment de leur assemblage. On retrouvera ici Cimarosa, Charpentier, Corette, Cherubini et Paisiello.

En bon Vénitien et Proustien (qui n’a pas tenté de retrouver le Temps Perdu de Proust dans le baptistère de San Marco en faisant semblant de prier pour tâter de la dalle déchaussée ?), Mauro Sambo sait qu’il n’y a pas de création sans re-création et pas de temps sans temps subjectif. Il retravaille donc la matière même des enregistrements pour tenter de redonner la couleur du temps -la patine- de Venise propre à l’époque de la création de ces œuvres. 

Agrégat de temps, suspension, étirements, coexistence forment la matière de ces cinq pistes sonores.

« Diana »:

Des tintements suraigus résonnant, en nous, comme des cymbales de batterie rock mais aussi comme un glas funèbre sur un frottis de delay, pendant que surgissent par moment des cordes en boucles tout aussi funestes, tout comme la voix d’outre-tombe, précieuse et fantomatique et dont l’intervention courte produit un fort effet.

« Lyre »:

Un certain usage des delay rappelant un certain Fennesz, lui aussi ayant un fort lien avec la ville et ayant publié un album idéal, traduisant en sons les images et les bruits, réels, imaginés, rêvés, de la Cité sur la lagune, Venice. On y retrouve les mêmes irisations des cordes en ondes rappelant les vagues ponctuées par une rythmique créée par les cliquetis et autres tintinnabulements. D’autres ondes, d’autres formes.

« Putto »:

Solo de basson sur orgues (mais est-ce bien sûr ?), les deux re-traités évidemment pendant que la machine horlogère se remonte et que les clochettes sont disséquées, allongées et balancées dans la stéréo. Le tout se dissolvant finalement dans les basses.

« Well »:

Là encore le temps suspendu. La mécanique et le chant sur un sample de cordes répété. Des modulations de fréquences et des clochettes, voilà qui nous rappelle ce qu’ont pu faire les Viennois (effectivement Venise et Vienne sont toujours plus que liées) de Radian dans un champ plus pop (Juxtaposition). Encore une période sombre de l’histoire, avec des cordes graves (r ?)appelant le meilleur de Bach ou de Wagner. Superbes instants que cette voix (sur ? méta ?)humaine ondoyante qui émerge par moment dans le mix.

« Boulle »:

On joue plus sur le field recording, on retrouve le delay et le morceau oppose les brillances des cordes aux résonnances des cloches et clochettes. Le lissé du traitement se frotte aux accidents numériques, aux craquements du micro et aux résonnances des déplacements dans l’espace du lieu. L’espace reprend sa place dans le temps. On pense, mais à l’envers, à I am sitting in the room d’Alvin Lucier qui jouait aussi à capter l’essence de l’espace dans la durée du temps de l’enregistrement.

Encore un album de musique expérimentale contemporaine s’inscrivant dans l’histoire de la musique tout en la revisitant, qui nous fait penser, malgré des différences évidentes, à la démarche de Sylvain Chauveau et du Chant 1450 Renaissance Ensemble.

En tout cas, voilà un court album extrêmement visuel (Mauro Sambo est aussi plasticien) et qui tire même son origine d’une réminiscence de Jack Nicholson jouant du piano à l’arrière d’un camion à ciel ouvert dans le film « Five Easy Piece » de Bob Rafaelson (même si pour nous, plus jeunes et plus stupides, c’est plutôt à Vanessa Carlton qu’à Chopin que cela nous fait penser). Quoi qu’il en soit, des points, des droites, des courbes, des traits frottés, brossés, des ondes de différentes fréquences, de l’humain et de la mécanique mais aussi de nombreux fantômes, c’est ce qu’on trouve dans ce bien beau disque habité de l’esprit des lieux de la Fondation Querini Stampalia et dans laquelle on allait jusqu’à présent pour voir et revoir la superbe Présentation au Temple de Bellini, feat. lui-même et le beauf Mantegna. On regrette juste que la diffusion des pièces dans les salles de la galerie l’ait été sur un temps trop court (du 23 mars au 3 mai 2015) pour qu’on puisse en profiter. Il nous restera les horloges, les souvenirs des écoutes et leur enregistrement sur Plustimbre. La fuite du temps… en mode repeat.

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