Même si j’ai un immense respect pour Neil Young, je croyais que j’en avais fini avec ses nouveaux disques. Plutôt chérir les vieux vinyles chinés pendant des années (comme ce « Times Fade Away », inusable et pourtant usé jusqu’à la corde sur ma platine), que de se taper les nouvelles pilules psychédéliques de notre jeune Learyste.
Mais voilà, alors qu’il prépare la révolution numérique (le Pono pour ceux qui suivent), Neil Young s’est fait kidnapper par les néo-vieux cons de Third Man Records, Jack White et consorts, pour enregistrer un disque de reprises avec un vieux procédé de gravure à la minute, sur demande, dans une cabine, et le résultat est disponible uniquement sur vinyle. Faire du neuf avec du vieux ou plutôt du vieux avec du vieux pour le vendre aux jeunes qui ne payent plus leur musique : bien vu, l’aveugle ! Évidemment c’est pour toutes ces mauvaises raisons que j’ai plongé mais surtout à cause de « Masculin/Féminin » de Godard et de la scène dans laquelle Léaud enregistre pour Chantal Goya, l’idole des jeunes, un poème-lettre d’amour sur un disque-minute avec plus ou moins le même procédé Voice-o-Graph utilisé ici.
Au rang des raisons justifiant l’achat et l’écoute de ce produit à pognon se trouve peut être aussi l’écoute d’un des premiers enregistrements de lieder de Schumann et Schubert enregistrés par Naval et Cups dans un magasin de Bruxelles, ainsi que les rouleaux de chansons folkloriques enregistrées sur rouleaux de cire par Bartók vus et entendus à Budapest.
L’objet est assez laid : vieillissement au numérique moche de la pochette, enveloppe protectrice en papier jaunâtre avec faux coins cornés et tout le toutim. On a même droit à de la fausse moisissure mais heureusement pas en Odorama.
Dans les moyennes bonnes idées, Neil Young ouvre chacune des faces par un petit discours introductif à sa mère rappelant les bonnes chansons qu’ils chantaient ensemble et qui suivent. Ok, c’est touchant : le Voice-o-Graph comme machine spatio-temporelle, c’est mieux qu’un message dans la bouteille.
La suite est bien meilleure : rien que des morceaux de choix, du hors-la-loi Willie Nelson au petit « neveu » Bruce Springsteen, en passant par Tim Hardin et le compatriote Gordon Lightfoot. La magie réside peut-être aussi dans les craquements, le spectre réduit, le côté enregistré dans la cabine mais certainement plus dans l’aspect, qu’on imagine (souhaite ?) spontané de l’enregistrement. Neil Young chantant la porte de la cabine ouverte, un pas dedans, un pas dehors pour jouer avec les différentes hauteurs de son, guitare, harmonica, voix voire piano (où ont-ils mis le piano ?). Tout ça donne un côté joyeux bordel très vivifiant à des reprises qui auraient peut-être semblé un peu convenues, voire fastoches sur un enregistrement propret. Par exemple « On the road again » avec l’appui de Jack White au piano bastringue et qui s’égosille derrière Neil est très sympathique, « My Hometown » de Springsteen version chèvre bêlante déchirante est impeccable aussi.
Toutes les vieilleries sont excellentes (Lightfoot et Nelson par deux fois, « Reason to believe » de Hardin, « Needle of death » de Jansch) plus dans l’ordre de la reprise sympathique que de la transcendance/réappropriation et c’est ce qui rend l’objet attachant. Neil Young fait du Neil Young quoi qu’il arrive. Même lorsqu’il se lance dans la gageure de reprendre Bob Dylan.
Ah, et il y a aussi les paroles recopiées sur la pochette par l’ami Neil avec cette écriture très caractéristique qu’on connaît si bien (vous en connaissez d’autres, vous, des écritures de musiciens ?).
Bref, faut-il offrir « A Letter Home » pour le Noël de votre Tonton ? Non, gardez-le au chaud pour vous. De toute façon, il y a bien longtemps que Tonton écoute des mp3 comme tout le monde. Quelle connerie ces vieux vinyles qui craquent !