C’est difficile de croire que le testament de Jason Molina réside dans cette collection de démo réunies pour accompagner l’ouvrage de Will Schaff « From Black Sheep Boys to Collectors ». Enregistrées pour la plupart à Londres avant le départ (retour) pour les USA et la fatale cure finale, ces chansons sentent un peu le sapin. Voix cassée (« Heart My Heart ») ou qualité très lo-fi pour certaines (« First Footing », « A Sad Hard Change » quasi éraillée), nous sommes dans le résiduel, l’enregistrement d’urgence ou de prise de notes. Rien à voir, tout de même, avec les fonds de tiroir (caisse) de la maman de Jeff Buckley. D’une part, parce que Jason était toujours vivant à l’époque et faisait cadeau, à un label ami pour un illustrateur ami, de sacrées chansons, non polies, telles quelles dans leurs gangues mais déjà diamants folk. D’autre part parce que les chansons présentes ici sont très belles et tiennent aisément la route dans leur chiche habillement. « Autumn Bird Songs » tient la dragée haute à « Pyramid Songs » ou « Let me go, let me go, let me go ». On y retrouve tout ce qui faisait le sel de Molina : les fantômes errants dans les plaines, les animaux totémiques (« Owl And Raven »), le blues comme véhicule (aux sens propre et figuré) et l’Etoile du Nord comme unique repère ((« First Footing »). Il est même difficile de croire que les chansons aient été enregistrées dans la mégalopole de Londres tant on a l’impression de voyager, à l’écoute de ces « Autumn Bird Songs », dans cette Amérique sauvage, éternelle et familière que l’on arpentait souvent en compagnie de Molina et de quelques rares autres grands. Les titres crépusculaires (« Shore To Shore », simple merveille, ou « The Harvest Law ») alternent avec les titres plus éclatants (« Enough Of A Stranger », héroïque, ou « No hand Was At The Wheel ») dans lesquels la voix-instrument touchante de Molina rivalise avec les accords résonants de cette guitare si particulière, confondante de simplicité et de puissance d’évocation (« Owl And Raven », ça ne rigole pas). On n’essuiera pas une petite larme parce que le disque ne se termine pas par un point final musical mais par la bien nommée « A Sad Hard Change ». Rien ne se perd, rien ne se crée, tout change. Putain, Jason Molina quoi.
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