Pile aux antipodes de lʼeffrayante laideur dʼun lycanthrope, lʼaspect actuel dʼhomme-chien- loup souriant du chanteur-guitariste gallois Gruff Rhys apparaît comme plutôt rassurant et ne constitue en rien un frein à lʼenvie de continuer à suivre ses pérégrinations en solo, amorcées dix ans plus tôt en marge des époustouflants et mésestimés Super Furry Animals. Alors quʼil nous invitait en 2011 à prendre connaissance du résumé de quinze années de coulisses de son quotidien de musicien à lʼaide du très ensoleillé « Hotel Shampoo », nous voici désormais conviés, après un virage thématique à cent-quatre-vingt degrés, à suivre sa vision toute personnelle du parcours dʼun certain John Evans, explorateur Gallois du XVIIIème Siècle qui décida dès 1792 de se lancer sur les traces du dénommé Madog (considéré par la plupart des historiens comme un personnage de légende) dans lʼespoir dʼétablir un contact avec des descendants dʼAmérindiens parlant le gallois (sic). On aurait pu soupçonner lʼanimal très poilu dʼavoir pris cette histoire comme simple prétexte fantaisiste à lʼélaboration de ce quatrième opus mais il nʼen est rien, tant ce sujet présente un réel intérêt, donnant corps à un ensemble par ailleurs admirablement bien conçu. Ce quatrième long format est en effet accompagné dʼun E.P., dʼun livre, dʼun film et même dʼune application iPhone pour qui souhaitera aller plus loin dans cette aventure, à noter que des détails sont présents sur le website dédié à ce gargantuesque projet quʼon aurait sans doute affublé du qualificatif « multimédia » quinze ans auparavant.
Comme à son habitude, lʼhurluberlu a apporté un soin particulier à son art du songwriting, notamment sur « 100 Unread Messages », captivante pièce de storytelling à lʼhabillage moderne mais dont le fond évoque une Amérique Éternelle habituellement vue par Johnny Cash, Woody Guthrie et Hank Williams. Soucieux dʼarticuler au mieux les diverses facettes de cette épopée, Rhys nʼa pas davantage négligé la dimension catchy, comme le prouvent les évidents « American Interior » et « Liberty (Is Where Weʼll Be) », sans oublier les deux morceaux en gallois : lʼépique et pétaradant « Iolo » aux arrangements de cordes délestés de tout pompiérisme, ainsi que le ludique et presque funky « Allweddellau Allweddol » dont le refrain est campé par un chant mutin dʼenfants mutants. Au rayon des ballades, « The Last Conquistador » est portée par une fraîcheur très pop tandis que lʼintroduction de « The Swamp » fait immédiatement penser à Gorillaz. Quant au triptyque crépusculaire final, composé de « Walk Into the Wilderness », « Year Of The Dog » et « Tigerʼs Tale », il renoue avec les plus belles heures de Super Furry Animals sans verser pour autant dans la redite vainement nostalgique.
Sans grande surprise, « American Interior » se montre globalement à la hauteur des ambitions de son auteur et consolide avec facilité son œuvre solo entamée à la faveur de « Yr Atal Genhedlaeth » (2004) et poursuivie avec « Candylion » (2007), son coup de maître.