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Interviews

Florent Marchet – Interview (1re partie)

Jusqu’ici, on avait toujours trouvé Florent Marchet un peu perché. Pas étonnant, donc, que sur son nouvel album, « Bambi Galaxy« , il quitte carrément notre bonne vieille Terre. En douze morceaux, l’auteur de « Rio Baril« , aussi brillant mélodiste que raconteur d’histoires, livre un space opera pour temps de crise. Mariant efficacité pop et explorations sonores héritées de François de Roubaix ou Alain Goraguer, il traite sur le registre de l’anticipation et de la science-fiction ses thèmes habituels : le sens de la vie, la famille, la place de l’homme dans la société. L’entretien avec le musicien fut suffisamment long et dense pour être publié en deux parties. Dans ce premier volet, Florent Marchet évoque son processus créatif, l’inspiration et le son de ce nouvel album, et ses échanges avec un fameux écrivain français.

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Quand on interroge les artistes sur leur inspiration, ils répondent souvent que ça leur vient comme ça, dans un processus assez inconscient. On a l’impression que chez toi c’est plus réfléchi, que tu cherches un thème pour chaque album et que tu creuses.

Florent Marchet : C’est en partie vrai, mais après il y a des fulgurances, des flashs. L’origine des titres d’albums, des débuts des textes, ça reste assez mystérieux. Pour moi, l’écriture de chansons, c’est toujours lié à une histoire intime, à un travail quasi introspectif. Ça part très souvent de questions existentielles, des interrogations sur nos rapports avec la société, ce qui nous entoure. J’ai besoin, comme un écrivain ou un réalisateur, d’avoir un minimum de cadre, à l’intérieur duquel je peux trouver une liberté.

Comment t’est venue l’idée de cet album plus ou moins concept autour de l’espace ? Le thème ne te semble pas un peu désuet ?

Désuet ? Non, pas vraiment. Ce qui peut l’être – et encore –, c’est la conquête spatiale, qui reste très liée à la guerre froide. On en parlait beaucoup à cette période-là, pour de mauvaises raisons, à la fois économiques, militaires… L’homme était suffisamment autocentré et narcissique pour aller dans l’espace non pas dans l’optique de comprendre le monde qui l’entoure, mais pour faire chier le voisin ! (rires) En fait, plus que l’espace, ce qui m’intéresse, c’est la place de l’homme dans l’univers. L’être humain devrait passer beaucoup moins de temps sur la Terre que les dinosaures : cela devrait nous rendre humbles, or on est toujours en train de penser ou d’agir comme si on était le centre de l’univers. On parle non pas de protéger l’homme mais de protéger la planète alors qu’elle ne nous appartient pas, elle vivait très bien avant nous et vivra très bien après. Le fonctionnement de notre société arrive peut-être à la fin d’un cycle ; l’homme ne me semble pas très épanoui dans ce monde ultralibéral poussé à son paroxysme… Il est peut-être temps de voir le monde autrement. S’il y a un personnage dans l’album, c’est quelqu’un qui n’est pas heureux, qui cherche sa place, et qui, pour tenter de la trouver, va essayer des alternatives de vie. Pas toujours les meilleures, d’ailleurs, mais au moins elles lui proposent d’autres rapports humains.

L’utilisation de synthétiseurs sur l’album te semblait-il une évidence vu son thème futuriste ? Voulais-tu aussi retrouver des sonorités de ton enfance, liées aux années 80 ? Je pense notamment au morceau “Heliopolis”, qui sonne très new wave, électro-pop.

En réalité, il y a très peu d’instruments des années 80 sur l’album, et beaucoup des années 70. J’ai une passion pour les claviers électro-acoustiques et analogiques qui ont fait l’histoire et la couleur de la pop music. En fait, dire d’un son qu’il “fait années 80”, c’est aussi réducteur que de dire qu’un piano fait XIXe siècle. Comme on manque encore de recul, on a tendance à associer la date ou l’époque de fabrication d’un instrument à un style musical, mais c’est une erreur. Comme si on disait que le violon, c’était “classique”, alors qu’on le retrouve dans la musique tzigane, que ça peut être jazz, pop… Après, c’est vrai que les orgues Rhodes ou Wurlitzer ont été inventés à une période d’industrialisation de la musique, et ne sont plus fabriqués. Ils sont donc liés à une époque, et n’ont jamais été vraiment remplacés. Les claviers numériques qui leur ont succédé, je les trouve froids, ils ne me conviennent absolument pas, et je pense qu’ils conviennent à peu de musiciens… Ce n’est pas un hasard si, dans l’électro ou la musique contemporaine, on préfère les sons analogiques. Pour moi, ces sons évoquent une certaine naïveté du monde rétrofuturiste et de certains films de SF, des années 50 à 70. Et puis aussi les années 80, quand on fantasmait un futur fantastique, rempli de robots, en pensant que l’an 2000 allait forcément être quelque chose de magique. Alors qu’aujourd’hui, quand on se projette en 2050 ou 2060, on a plutôt peur. Les ados sont même effrayés par le futur, ce qui pose la question de la transmission. Il me semble que dans les années 80, lorsqu’on était enfants, on n’avait pas cette frayeur-là. Alors, qu’est-ce qui s’est passé pour qu’on pense aujourd’hui que l’homme est une menace pour l’homme ? L’album pose clairement la question, et son personnage refuse ce monde-là, il cherche autre chose. Pour en revenir à l’esthétique sonore de l’album, il y avait au départ l’idée de l’aborder de la même manière qu’on aurait pu travailler sur un film. Je ne raisonnais pas vraiment en termes de chansons, j’étais plus en train de me faire… un film. (sourire)

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Jusqu’ici, il y avait beaucoup de détails réalistes dans tes textes. Sur “Bambi Galaxy”, on est plus dans l’anticipation, dans l’imaginaire. Pourquoi cette évolution ? Cela t’a-t-il demandé plus d’efforts ?

A la fin de la tournée de “Courchevel”, j’avais très envie de partir dans des paysages plus oniriques, des atmosphères plus étranges. Je voulais fonctionner davantage par flashs : dans les textes du nouvel album, il n’y a pas forcément de verbes dans les phrases, par exemple. Je sentais que c’était quelque chose d’important dans ma vie à ce moment-là, que ça allait aussi me permettre de faire une musique plus ludique. Ça ne m’a donc pas vraiment demandé plus d’efforts, c’était plutôt une nécessité. Après, écrire un texte demande toujours un minimum de travail, bien sûr. (sourire)

Ce titre, “Bambi Galaxy”, c’est une référence au surnom de Michael Jackson, au fameux film d’animation de Disney ?

Il y a évidemment l’histoire pour enfants, qui est assez cruelle, mais qui décrit sans doute bien la cruauté dont peut faire preuve l’être humain, justement. Plutôt qu’à l’enfance, elle me renvoie plutôt à l’enfant : je trouve que dans notre société, les hommes, surtout peut-être les grands dirigeants qui sont censés gouverner le monde, se comportent comme des enfants, avec tout ce que ça comporte d’inconscience et d’irresponsabilité. Lors d’un voyage en Chine, je me suis rendu compte que les adultes se comportaient comme des enfants un peu muselés. D’ailleurs, aujourd’hui, il y a de plus en plus de “jouets pour adultes”, ce qui est quand même un concept étrange… “Bambi”, ça renvoie aussi à Michael Jackson en effet, et donc à l’idée de l’homme augmenté, l’homme 2.0. Le titre était là dès le départ. Je ne savais pas si j’allais le garder, et puis après avoir écrit toutes les chansons, je me suis aperçu qu’il résumait vraiment bien tout l’album. Dans les années 80, on racontait plein d’histoires sur Michael Jackson : il avait trouvé le moyen d’être immortel, vivait dans un caisson à oxygène, certains pensaient qu’il était un extraterrestre. Ça entrait en résonance avec la question de l’eugénisme, de la chirurgie esthétique, l’idée que l’homme aurait recours à la science et à la médecine non pour moins souffrir, mais par pur narcissisme. “Galaxy” renvoie aussi au narcissisme de l’homme. J’aurais pu appeler l’album “Bambi Planet”, la planète des grands enfants, des enfants tête-à-claques. Mais ils sont tellement tête-à-claques, justement, qu’ils ont l’impression d’être le centre de l’univers, de la galaxie… d’où “Bambi Galaxy”.

Le dernier titre de l’album, “Ma particule élémentaire”, renvoie bien sûr à Michel Houellebecq. A-t-il été une influence importante sur ce nouvel album, voire sur les précédents ?

C’est un auteur qui a compté et qui compte encore beaucoup pour moi. Il y a une dizaine d’années, je mettais en musique certains de ses poèmes…

Ce qu’il a d’ailleurs fait lui-même en 2000, avec Bertrand Burgalat.

Oui, c’est vrai. Par ailleurs, c’est sans doute le premier écrivain français à avoir fait entrer la physique quantique dans la littérature. Il a soulevé des questions sociétales assez nouvelles qui ont parfois fait polémique mais qui sont intéressantes… Il s’est aussi demandé quelle était la place de l’homme dans l’univers. Dans le cadre de mes recherches scientifiques pour l’album, je suis revenu vers certains de ses livres. Et puis, à un moment donné de l’élaboration du disque, j’ai ressenti le besoin d’entrer en contact avec lui, pour avoir un échange, et son ressenti sur ce que j’étais en train d’écrire. Le fait qu’il me renvoie un avis très positif et enthousiaste sur mes chansons m’a énormément rassuré, à un moment où je devais en avoir besoin. C’était une thématique qui me tenait énormément à cœur, avec laquelle j’avais un rapport intime, mais je n’étais pas sûr que ça puisse toucher les gens. Lors des soirées entre amis, quand je me mettais à aborder certains sujets, je prenais le risque de fatiguer mes interlocuteurs… Difficile de parler du boson de Higgs en soirée ! (sourire)

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Elodie Frégé, pour qui tu as écrit, te citait récemment à la radio parmi les artistes français qui mériteraient d’être plus exposés. Est-ce que le fait d’être soutenu depuis le début par France Inter ou Les Inrocks te suffit ? Tu ne regrettes pas de ne pas apparaître plus à la télé alors que tu développes tout un univers visuel, surtout avec le nouvel album ?

La télé, je ne suis pas sûr d’être vraiment fait pour ça, je crains de ne pas être le bon client… (rires) Mais c’est sûr que les artistes de ma génération y sont peu représentés, parce que les gens qui dirigent les grandes chaînes doivent considérer que ce n’est pas assez populaire, qu’on représente une niche. En gros, on devient du jazz… C’est-à-dire quelque chose qui n’a pas vraiment sa place. Du coup, quand un jazzman parvient à sortir de sa cave, on dit que c’est formidable ! Ce n’est sans doute pas la meilleure période pour la chanson française, et en même temps c’est une période de mixité, “transgenre”, extrêmement riche. Et rien que pour ça, je suis très heureux de la vivre. Sinon, je n’aurais rien contre le fait d’être davantage exposé, ne serait-ce que pour une seule raison : la certitude de pouvoir faire l’album suivant sereinement, et d’avoir plus de moyens pour développer des scénographies, de l’image… Aujourd’hui, on vend moins de disques, la musique rapporte moins au producteur, et il y a donc moins d’argent pour la création. Bien sûr que la question se pose, et si un jour on me dit qu’il serait bon pour moi que j’apparaisse dans les émissions de télé, pourquoi pas ? Mais j’ai l’impression que c’est un autre métier. Échanger sur la création comme on est en train de le faire, je considère que ça fait partie de mon travail ; aller sur un plateau de télé en prime-time, me retrouver assis autour d’une grande table où chacun sort des vannes, je n’ai rien contre, mais il faut être bon, savoir bien le faire, sinon il y a un côté “jeux du cirque”. Moi, c’est en studio ou sur une scène que je me sens vraiment à l’aise. Même si ça prend sans doute plus de temps de se faire connaître comme ça, plutôt que par ses talents d’orateur sur le petit écran… (Quelques jours après l’entretien, Florent sera invité dans l’émission de Laurent Ruquier, « On n’est pas couché », et s’en sortira très bien. – ndlr)

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