FLORENT MARCHET & ARNAUD CATHRINE – Frère Animal
A priori leur rencontre n’était pas prédestinée. Pourtant le musicien Florent Marchet (auteur de "Gargilesse" et de "Rio Baril") et l’écrivain Arnaud Cathrine (huit romans au compteur), tous deux trentenaires, forment aujourd’hui un tandem artistique fécond qui trouve son expression la plus aboutie dans le projet "Frère animal" qu’ils défendent actuellement sur scène. "Frère animal", c’est quoi ? Un roman musical ou un disque écrit comme un livre, une histoire de famille ou un conte cruel sur le travail ? Un peu de tout ça en fait et c’est surtout une alchimie entre deux garçons inspirés qui ont trouvé leur âme soeur…
Comment avez-vous forgé votre regard sur le monde de l’entreprise ?
Arnaud : J’ai presque exclusivement travaillé dans le service public, entre Beaubourg et France Culture. Ce n’est pas vraiment l’entreprise libérale mais au contraire des abris assez salutaires. L’entreprise, je l’ai davantage découverte par mon entourage.
Florent : La particularité de nos métiers, c’est d’observer la société, ce serait très prétentieux de dire qu’on fait un travail de sociologue. Nos chansons ne parlent pas que de nous mais aussi des autres et on a tendance à puiser dans les films, les journaux, les livres comme dans la vie avec nos proches. Que ce soit pour Arnaud ou moi, on a dans nos familles des gens qui ont travaillé dans des usines ou des entreprises.
Arnaud : Je suis pas mal entouré d’un point de vue familial de gens qui sont entrés dans ce système et qui jouent à fond la carte de la jungle. Je ne les juge pas en disant ça parce que parfois on n’a pas le choix. Cette espèce d’individualisme forcené… Récemment, on a regardé un documentaire extrêmement passionnant, "Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient touchés", où l’on voyait que le système était à ce point opératoire qu’il isolait les ouvriers sur leur machine. Tout ça pour dire que l’individualisme forcené a réussi à casser la solidarité de catégories professionnelles historiquement soudées.
Finalement quel est le thème central de cette oeuvre, l’aliénation, la perte de repères ou d’identité plutôt qu’une critique du travail et de son système économique ?
Arnaud : C’est la comparaison entre le travail et la famille. Le travail devient une seconde famille. Comment et pourquoi l’entreprise tend à se substituer à cette institution qu’est la famille. Ado, j’avais été vachement frappé par le modèle japonais de l’entreprise qui régit tout comme une mère castratrice. Et donc, partant de ce postulat, on s’est dit qu’on allait raconter une histoire d’entreprise en filant une métaphore jusqu’au bout : le DRH serait le père, l’usine serait la mère, les salariés seraient les enfants. Il y aurait des bons et des mauvais fils, des traîtrises, etc. Le but étant de voir jusqu’où la métaphore pouvait fonctionner.
Florent : Ce qui nous intéresse aussi c’est de voir la disparité des parcours au cours d’une vie entre deux amis d’enfance qui ont fréquenté les mêmes bancs d’école. L’un devenant directeur marketing et l’autre simple ouvrier.
Avez-vous eu recours à une documentation particulière ? Je trouve qu’il y a un paradoxe dans votre métaphore filée car elle dénonce des choses très actuelles en utilisant une vision bourgeoise de l’entreprise maintenant dépassée (le paternalisme)…
Arnaud : C’est parce que la métaphore du père et de la mère tient. On ne s’est pas documenté particulièrement. Quand on se met à l’écriture, c’est que ça a déjà travaillé avant, que ça s’est sédimenté. Le travail de maturation et de documentation s’est fait de manière inconsciente.
Florent : Je vais peut-être dire une énormité mais je n’ai pas peur de la contradiction historique dans une histoire. Ce n’est pas un problème comme la présence de Converse dans le film "Marie-Antoinette" de Coppola. On a fait un collage entre nos histoires personnelles et ce qu’on entend.
Arnaud : Cela dit le discours paternaliste de l’entreprise à la Krupp qui paie des jolies petites maisons à ses employés a été récupéré par des cyniques libéraux. Les mecs te prennent par la main, t’emmènent à Disney et en vacances. Ils arrivent à te faire croire qu’ils veulent ton bien alors qu’évidemment ils t’exploitent et t’instrumentalisent. Cet univers de l’entreprise paternaliste qui appartient un peu au passé, on est d’accord, perdure comme une forme vide, comme le chant du cygne. On l’entend encore…