Alors que se multiplient en France et ailleurs les festivals aux programmations largement interchangeables, le dernier-né proposé par le Lieu Unique à Nantes éveille forcément la curiosité de par son concept à la fois simplissime et totalement inédit (« Assis ! Debout ! Couché ! », tout est dans le titre) et, surtout, de par sa programmation très éclectique (de la chanson déconstruite de Arlt au krautrock électro de Zombie Zombie en passant par le folk intemporel de Neil Halstead ou les expérimentations psychotiques de Sonic Boom) mais tout à fait pertinente (que des artistes francs-tireurs, chacun dans leurs genres). Autant dire que l’on est ravi à l’idée de passer ce « week-end singulier » au LU.
L’aménagement de la salle pour la première soirée du festival est originale : pas de fauteuils classiques (rappelons-le, il s’agit de la soirée assise) mais de petites tables rondes entourées de chaises évoquant une ambiance plutôt estivale. De quoi nous faire oublier que la température avoisine les zéro degrés dehors.
Les festivités commencent avec le concert de Neil Halstead, qui se produit en solo. Une voix, une guitare, on est loin des orchestrations riches de Mojave 3 et du shoegaze planant de Slowdive. En apparence seulement. On retrouve dans chaque projet de Neil une atmosphère cotonneuse et une mélancolie douce toujours très accueillante. Le concert de ce soir ne fait pas exception à la règle. Voix immaculée mais affirmée, arpèges de guitares impressionnistes, mélodies divines, quelques frissons se font sentir dans le public dès l’attaque de la première chanson, le très beau « Tied to You ». Impossible de ne pas penser à Nick Drake en écoutant l’Anglais – même mélange d’émotivité à fleur de peau et de constante élégance.
Concert magnifique donc, si ce n’est qu’au bout de cinq ou six morceaux, on aurait peut-être aimé être surpris par l’arrivée d’un violon, d’une deuxième guitare, de quelque chose. Non que la formule guitare-voix ne suffise à rendre grâce aux belles compositions de Neil Halstead… On se dit simplement que les (sans doute nombreux) spectateurs dans la salle qui ne connaissent pas le brillant dernier album de l’Anglais ont probablement la vague impression d’entendre le même morceau décliné à l’infini en 45 minutes – phénomène pouvant s’expliquer par le jeu en open tuning d’Halstead (ndlr : guitare accordée d’une manière bien particulière) qui favorise l’utilisation des mêmes motifs harmoniques sur l’ensemble des chansons.
La surprise tant attendue – l’arrivée d’un autre musicien – n’aura pas lieu pour le concert de Neil Halstead mais pour celui de Arlt. Le duo parisien (Sing Sing : chant/guitare ; Eloïse Decaze : chant) est accompagné, comme sur disque, de leur fidèle guitariste, Mocke (lui-même moitié d’Holden et de Midget! – dans la bande, on aime les duos). A peine le premier morceau est-il commencé qu’on a un peu peur pour la prestation de Arlt. Le son n’est vraiment pas propre dans la salle et, surtout, la chanteuse, croisée plus tôt backstage et un peu malade, est effectivement pâlotte, emmitouflée dans son écharpe et sa grande veste. Par miracle, tout rentre dans l’ordre dès le deuxième morceau, le toujours très efficace « La Rouille » : l’ingé son se réveille et Eloïse tombe la veste et reprend des couleurs, comme décidée à prendre le dessus sur les méchantes bactéries qui tentent de l’assommer.
Si Neil Halstead, en troubadour céleste, semblait tout droit sorti des seventies, c’est carrément au Moyen-Âge que nous renvoie Arlt avec ses petites ritournelles ancestrales (le traditionnel « Je Voudrais Être Mariée ») en forme de bestiaire (« Tu m’as Encore Crevé un Cheval », « Rhinocéros ») jamais très loin du bestial (toujours un plaisir – coupable – d’entendre la voix rauque de Sing Sing et celle aérienne d’Eloïse s’entremêler sur ces mots : « tu as la bouche pleine / tu as les dents froides / tu m’aimes bien ça se voit / tu m’as pris pour un pistolet »). Pour ceux qui auraient les idées mal placées, Sing Sing nous met en garde avant d’entamer « Le Pistolet » : « ceci n’est pas une pipe » (Magritte), faisant d’une pierre deux coups en évoquant à la fois les métaphores sexuelles de Arlt et leurs inspirations surréalistes.
Rendons enfin grâce au jeu guitaristique du toujours inspiré Mocke qui confronte la musique ancestrale de Arlt à une texture sonore plus contemporaine, quelque part entre le noise et le jazz, jamais bien loin de la créativité sans cesse renouvelée d’un Nels Cline (Wilco) mais avec quelque chose d’éminemment personnel dans la manière de n’être jamais tout à fait propre, à l’instar d’une de ses grandes références musicales, le pianiste Thelonious Monk. Vous l’aurez compris, Arlt est un groupe qui n’aime pas les lignes droites, les facilités. Tout comme le public du LU, à en juger par les applaudissements enthousiastes à la fin de l’épique « Chien Mort, Mi Amor », point culminant de l’extraordinaire concert des Parisiens.
Changement radical d’ambiance avec le concert de Chassol, musicien d’exception au CV bien rempli (compositeur pour le cinéma, la pub, arrangeur pour Sébastien Tellier, claviériste de Phoenix) qui a sorti l’an dernier un bien intrigant – et passionnant – objet discographique, « X-Pianos », à la fois conceptuel et sensuel, évoquant autant la musique répétitive de Steve Reich que le jazz-rock ou la soul la plus smoothy.
Autant l’équipement scénique de Arlt était sommaire (deux guitares, plusieurs pédales d’effets pour Mocke) à l’image de leur musique (faussement) minimaliste, autant Chassol, pourtant simplement accompagné de son batteur, sort l’artillerie lourde. Le compositeur, entouré de plusieurs claviers dont un fameux synthé vintage Moog Voyager – rappelant immanquablement les Versaillais de Air (cf. le titre d’ouverture de « X-Pianos » : « Wersailles ») – fait face à la batterie de son acolyte et, surtout, à la grande toile étendue en fond de scène qui projette son film-journal rapporté d’Inde. Elément tout sauf décoratif.
La prestation de Chassol s’apparente plus à une performance transdisciplinaire qu’à un simple concert. Le musicien construit ses morceaux à partir de la vidéo, reprenant l’idée du sample mais en y ajoutant son pendant visuel. Image = son donc. Concept si évident qu’on se demande pourquoi personne n’y a pensé avant (à vérifier quand-même). Quand Chassol sample une voix de femme répétant sans cynisme aucun « music is my God, my love », on voit effectivement la femme répéter ces mots devant nos yeux. Le concept est très intelligent car il donne à voir ce que l’on entend (à l’instar de l’incroyable « Piano Phase/Video Phase » de Steve Reich, joué à quelques pas de là l’an dernier).
Encore plus fort, les samples ne viennent pas simplement se greffer à la musique de l’artiste comme dans la plupart des morceaux électro ou hip-hop. Ce sont les morceaux eux-mêmes qui sont construits autour du sample, Chassol harmonisant autour d’une petite phrase lancée par une fillette, d’un chant entonné par une vieille dame, de trois notes jouées sur un sitar, d’une danse effectuée par un groupe d’Indiens. Le miracle Chassol, c’est que le concept ne l’emporte jamais sur l’émotion. « Indiamore », le projet qu’il présente ce soir, est à appréhender avant tout comme un hommage poétique et candide à un peuple et à sa culture, mis en forme d’une manière très habile et jamais didactique. Un bien beau moment.
Direction maintenant le bar du LU, où Los Curators font déjà chauffer les platines. Une soirée qui se termine forcément debout, donc – comme un avant-goût de ce qui nous attend le lendemain.