Mon cher Neil, tu sais, je dois te l’avouer : je n’attendais plus forcément grand-chose de toi. Non pas que tu m’aies déçu, non (tu te faisais rare, cependant). Mais va savoir pourquoi, je m’étais mis en tête que tu t’étais mis en quelque sorte en retrait. Il faut dire que tu en rajoutais, dans le genre caricature de folkeux limite misanthrope : et que je me laisse pousser la barbe, et que je me fais prendre en photo sur mon vélo à la campagne, libre comme dans « roue libre ». Pour conserver ma considération et mon affection (avec quelque part l’impression que ma foi, tu avais déjà bien donné), il t’aurait largement suffi de sortir de temps à autres quelques albums juste sympathiques, aux senteurs de flambée, de paille, de chemins creux entre pâturages et moissons.
Bien sûr, il y a un peu de tout ça dans ce « Palindrome Hunches », enregistré comme il se doit en quasi live, à l’arrache dans la salle de musique de l’école communale, avec quelques musiciens du bled. Toujours des clichés, mais dès qu’on se penche sur la musique, tu plaisantes moins… A tous les sens du terme, parfois, comme sur « Wittgenstein’s Arm », triste histoire vraie d’un pianiste amputé de son bras durant la première guerre mondiale, ou la sombre « Tied to You », relatant subtilement la déconfiture d’une relation sentimentale. Il y a aussi des couleurs plus enjouées, voire un peu de malice, sur la tendre « Palindrome Hunches », ou l’irrésistible et addictive « Bad Drugs and Minor Chords » (« I’m not your rollercoaster, girl, I’m just a boy and I got no style », je ne m’en lasse pas). Bien sûr, tu sais aussi nous retourner à coup de crève-cœur aussi contemplatifs qu’éternels : « Spin the Bottle » et son refrain joliment mélancolique, « Full Moon Rising » et « Digging Shelters », pures merveilles de classicisme, « Loose Change » en émouvante conclusion.
Mais quelle que soit l’humeur, ce qui marque et transpire dans cet album, c’est ce talent et cet art toujours intacts et uniques pour habiller de peu ces moments d’intimité délicate, et leur conférer ainsi une élégance sans faille, quand ce n’est pas en faire des instants de grâce et de bonheur. Quelques notes de piano, un brin de violon, cette voix chaude et attachante, des mots justes, bref une écriture hors classe. Et pour quelqu’un qui aime ne pas montrer le « work behind the song », c’est en tout point réussi.
Neil, le site Allmusic te décrit comme un des songwriters les plus respectés d’Angleterre. Encore une banalité… mais te concernant, crois-moi, c’est aussi une stricte vérité.