Eddy Crampes ne ressemble à rien avec son nom d’artiste entre The Cramps et Eddy Mitchell. Il incarne même, a priori, jusqu’à la nausée le chanteur français dépressif vendant son malheur (il y est souvent question de n’avoir pas d’envie), voire celui des autres (« Anoucka »), sous forme de chansonnettes ficelées vite fait sur une boîte à rythmes ou avec un piano de récup de chez Emmaüs et enregistrées sur un quatre-pistes pourri vendu sur Le Bon Coin par Dominique A ou Katerine (« Du travail » et « L’Automne »).
Eddy Crampes – Automne from Marjorie Calle on Vimeo.
Oui mais voilà Eddy Crampes a la grâce, suffisante et nécessaire. Il peut reprendre Daniel Johnston sur « Viens me voir cette nuit », bluesy, psychédélique et rêveur (oui tout ça à la fois), ou Bacharach et David avec « T’en vas pas comme ça », en chanson cachée à la fin de l’album, à la mode hypnagogique minimaliste ; Eddy Crampes, malgré tout, est beaucoup plus que la somme de ses influences. Pour preuve, « Evidence » (comme disent les anglais), qui sonne comme le meilleur d’Etienne Charry, soit de la pop en français sucrée et acide, avec un texte laid back qui se termine comme « Le Sacrifice » de Tarkovski, ou « Tannhaüser », au choix. Eddy – vous permettez que je l’appelle Eddy ?-, nous pousse dans nos retranchements puisque la chanson en question est une reprise du chanteur contestataire François Béranger, à des annéeslumière du son néo-sixties et claviers ronflants qui habille l' »Évidence » présentée ici. Idem pour « Portbail », reprise de tonton Souchon, avec des notes de claviers qui tombent en pluie acide entre Beach House et Nico. Que c’est triste Tchernobyl, sans Trintignant. D’ailleurs on y pense un peu partout, à l’autre zigue de la nouvelle nouvelle chanson française et surtout à cause du piano de « Du Travail », même si la voix diaphane et vaguement éraillée s’envole plutôt dans des volutes tourbillonnantes à la Thom Yorke, enregistrée par John Darnielle. C’est dire l’urgence et la beauté.
De la beauté il y en a, et aussi des rencontres avinées et dépressives avec la mystérieuse « Anoucka », pop comptine russophile, et son final étrange près du… Shopi ! Eddy, si j’ai la chance et l’honneur que tu me lises, si tu chantes la prochaine fois, les Codec de mon enfance, tu seras à jamais mon Dieu.
Il est sûr, en tout cas, que j’aimerais passer aussi mes dimanches heureux, forcément heureux, avec monsieur Eddy pas spécialement pour mater des films porno mais surtout pour le voir faire décoller ses chansonnettes en mode motorik lysergique (quelles montées, mes aïeux!, sur « Sunday »).
Il y a aussi un côté Coutin chez Crampes, un reste de vieux rock, un peu garage mais avec un petit parfum de squatt crado-mais-pas-trop pour classe moyenne canaille (« Quelque chose à dire ») qui côtoie les merveilles ciselées idéales qui n’attendent plus que Fip (« Tu en as trop dit »).
Mais comme il s’en fout, qu’il nous dit tout et nous fait tout, il ne se prive pas de chanter son amour sur une espagnolade délicieuse, « Les plus beaux jours », et pour un peu, on dirait le sud, du moins celui au-delà du Rio Grande, et on imagine Eddy Crampes en Robert Mitchum dans « Out Of The Past » avec une Jane Greer, Toulousaine pourquoi pas, en fuite au Mexique.
Il se paie le luxe de nous resservir ses amours enfantines, katerinesques à souhait, la faute à la guitare sèche et au son pourri, aperçues sur son premier album, « Where The fuck is Eddy Crampes », daté d’il y a… presque dix ans.
Eddy, dont on adore « La Musique », finit sur un morceau de bravoure angoissé et paroxystique fait par un amoureux plein de désamour.
Sing Sing de Arlt déclare avec raisons qu’Eddy Crampes est LE grand chanteur français. On se permet d’ajouter qu’Eddy Crampes ne ressemble à rien et c’est tant mieux.