Avouons-le tout de suite, nous sommes très, très fans du retour de Dinosaur Jr aux affaires. Loin d’être réservé aux pleureuses ex-fans des nineties en manque de grungeries et de chemises à carreaux portées sous le cuir, « Beyond » était un sacré retour en grâce pour ceux qui aiment le gros rock solide (sans porter au pinacle les descendants qui jouent au plus vintage que Jack White), les envolées de soli (sans forcément regarder Mark Knopfler avec des yeux de chatte humides), et le métal gras plein de pellicules et de sébum (il faut bien l’avouer, mais c’est ça qui est bon aussi). Et si vous avez loupé des épisodes, tant pis et même tant mieux.
Rien de (très) nouveau sous les amplis Marshall mais quand même. De bonnes chansons, une évidente envie de jouer et de faire plaisir. Que demande le peuple ? Bah, tout autre chose en fait : Dinosaur Jr reste calibré pour les stades, les radios classic rock, indie. Et c’est tant mieux pour nous parce que Jay, Lou et Murph nous régalent en mode power trio jamais léger sur les pédales, les potards à fond et avec cette voix traînante, limite geignarde mais ô combien sympathique.
Si « Beyond » nous avait donné envie, à nous aussi, de pogoter à retourner le canapé (cf la pochette), « Farm » nous avait laissés de marbre, congelés dans le permafrost mais à la réécoute, il n’est pas si mauvais et ne souffrait, peut-être, que de la promiscuité avec le divin album du retour. Bref, « I Bet On Sky » lorgne plutôt sur les deux dernières productions de Super J : « Several Shades of Why« , album semi acoustique qui nous livrait un Jay Mascis abandonnant sa planque d’amplis, presque à nu, caché tel une Marie Madeleine grunge sous sa touffe de cheveux filasses (j’espère qu’il me sera beaucoup pardonné pour cette comparaison douteuse parce que j’ai beaucoup aimé Dinosaur Jr) et « The Electronic Anthology of Dinosaur Jr« .
Dès la première face de la belle galette violette marbrée, un premier constat : Dinosaur Jr a considérablement ralenti le tempo et troqué les guitares au premier plan pour des claviers ! Les cordes synthétiques sur l’ouverture de « Don’t Pretend You Didn’t Know », ça vous secoue son petit lecteur des inrocks mensuel ! Voilà de quoi remettre les pendules à l’heure, gentiment quand même (Jay Mascis c’est un peu notre grand-mère à moustache à tous) et montrer que Jay Mascis, c’est aussi le chantre du changement dans la continuité. Si tout change, c’est pour que tout reste pareil (c’est la leçon du « Guépard » de Lampedusa et de Visconti) : le cœur de Dinosaur Jr n’en reste que plus accessible. Exemple avec cet « Almost Fare », presque mou du genou, comme si on avait coupé la chique aux guitares de Jay en douce (un coup de ce jaloux de Lou B. sans doute) : on en apprécie d’autant mieux les empilements de guitares et de claviers, le refrain toutes guitares dehors et… ce petit solo des familles qui vient couronner la dernière minute.
Lou Barlow a même les honneurs de la fin de la première face avec un « Rude » qui semble rescapé des sessions de « Ragged Glory » (hommage à une autre grand-mère à moustache). Dinosaur Jr, en route pour la démocratie ?
A défaut, on peut presque parler de parité (une chanson par face pour Loulou donc) avec « Recognition » et son riff entre cascade et hachage menu d’oreilles. Sans oublier son intermède bucolique et sentant son collage, témoignage d’ambiance de studio. Il a la forme Lou ! Et les deux bûcherons, chacun dans leur discipline, lui font honneur. Bien, tout cela est bel et bon.
Les affaires sérieuses reprennent avec la face B et « I Know It So Well » : wah wah et batterie qui claque. Les Dinosaur Jr montrent qu’ils sont toujours les patrons du riff qui tue et pour un peu, on aurait presque envie de remonter sur une planche à roulettes. « Pierce the morning rain » enfonce le clou dans le genre Chevauchée des Walkyries, option Fender Jazzmaster et promet de grands moments épiques en concert. Comment se fait-il (se peut-il ?) que ce gros pépère de Jay Mascis qu’on dit feignant, autiste, balourd soit toujours aussi rapide, prolixe et prodigue ? À l’image du verso de la pochette : on s’en prend plein la tronche… « What Was That », bon dieu, ça tient sacrément la route dans le genre tranquille mais qui t’éclate en pleine tronche (cf le détail qui tue en forme de percussion) !
« See It on Your Side » penche aussi du côté de la frontière canadienne et de l’omniprésent grand-père tutélaire et permet d’engranger tout son saoûl, soient six minutes trente, une lente coulée incandescente qui nous laisse les oreilles rouges en choux-fleurs à la Reiser. Bienheureux.
Heureux les simples d’esprits qui s’en mettront plein les esgourdes : ce Dinosaur Jr est une petite merveille.