Ce confinement est pour beaucoup d’entre nous l’occasion de nous replonger dans quelques disques obscurs et oubliés. Et, parfois, d’y retrouver des chansons qui ont compté, et qui nous évoquent des souvenirs. Aujourd’hui, “100 Ways to Kill a Love” de Power of Dreams (1990).
Chez nous, pour ceux qui lisent les crédits sur les pochettes, Craig Walker est l’ancien chanteur d’Archive, qui apparaît sur plusieurs de leurs disques sortis dans la première moitié des années 2000. Et particulièrement sur “You All Look the Same to Me” (2001), qui voyait les Anglais trip hop prendre un virage plus rock (voire prog rock) et entamer une belle love story avec le public français alors qu’ils étaient boudés sur leurs terres. En Irlande, en revanche, Craig Walker fut surtout le chanteur de Power of Dreams dans la première moitié des années 90. Un trio puis quartette de Clondalkin près de Dublin, célébré dans son pays mais aussi, plus curieusement, au Japon, où il servit même brièvement de backing band à un artiste local.
Après un premier EP sorti chez Setanta en 1989 alors que les musiciens sont encore au lycée, Power of Dreams suscite la convoitise des majors (oui, c’était il y a trente ans…) et finit par signer chez Polydor. Le premier album, “Immigrants, Emigrants and Me”, paraît l’année suivante et est bien accueilli un peu partout. Il est produit par Ray Shulman, comme un autre “debut album” de 1990, encore supérieur, le merveilleux “Reading, Writing and Arithmetic” des Sundays. Musicalement, la formule des Irlandais est simple, et déclinée avec peu de variations sur les quatorze morceaux du disque, écrits par Walker, qui tournent tous autour des trois minutes. Du classique, couplet-refrain, trio guitare acoustique ou électrique-basse-batterie, mélodies hyper efficaces, textes pleins de frustrations adolescentes mais plutôt bien tournés. Le groupe décélère juste de temps en temps pour une ballade mélancolique du plus bel effet (“Had You Listened?”). On a l’impression, fort agréable, d’écouter les premiers singles de House of Love (la voix de Craig évoque souvent celle de Guy Chadwick, pourtant nettement plus âgé) joués avec la fougue des Undertones (Sean O’Neill était aux manettes du EP inaugural).
Cet album, je n’en ai longtemps eu qu’une copie sur cassette bleu ciel antédiluvienne, que l’oxydation progressive de la bande avait fini par rendre inaudible. J’avais aussi acheté le EP “Stay” (sixième morceau de “Immigrants…”, le plus tubesque peut-être), aux faces B solides mais déviant peu de la recette habituelle du groupe, quand beaucoup d’autres en faisaient un espace de liberté pour expérimenter d’autres voies. Impossible de remettre la main dessus, malheureusement, mais j’ai bien l’album : des années après sa sortie, j’avais eu la surprise de le trouver dans un bac de CD à 20 francs, entre deux rayons de mon Leclerc local. J’aime tellement la pochette – une photo de Bill Doyle, sorte de Doisneau dublinois, “courtesy of Irish society for the prevention of cruelty to children” –, aussi belle que son titre, que je le rachèterais bien en vinyle.
Avec un son sans adjuvants, “Immigrants…” s’inscrivait plus ou moins en réaction à la tendance baggy qui dominait alors en Grande-Bretagne. « Never been to Manchester/(…)/Never got to join in the big rave/I don’t want to wear some flares/(…)/I don’t want to glorify the E », chantait d’ailleurs Walker sur “Never Been to Texas”. Une simplicité dans la production qui l’apparente à un autre grand album de 1990, celui (unique) des La’s. Distinguer un morceau dans un ensemble aussi homogène paraît difficile, mais je choisis sans hésiter “100 Ways to Kill a Love”, sorti en single et que Lenoir devait passer souvent à l’époque. Sur la deuxième face, il succède à “Where Is the Love” et “Máire I Don’t Love You” – le sujet devait les travailler. Rien que dans son refrain (“Don’t you know that I loved you”), il y a plus de passion que dans bien des disques entiers qui sortent aujourd’hui. Un souffle typiquement irlandais, qui vire parfois à l’emphase (coucou Bono) ou à la gueulante avinée (salut Shane… bon, en vrai, j’adore les Pogues), mais qui, quand il évite les excès, peut tout emporter sur son passage. Comme c’est le cas ici.
Curieusement, je n’avais jamais écouté les albums suivants, pressentant que je n’y retrouverais pas ce qui me touchait tant dans le premier. Je vérifie aujourd’hui que mon intuition était bonne : les chansons sont moins inspirées, le son plus épais. Trois décennies après ce coup d’essai qui a tout d’un coup de maître, Craig Walker fait toujours de la musique, pour lui et pour d’autres. Installé à Berlin (il me semble qu’il a aussi passé quelque temps à Paris), il devrait bientôt sortir son deuxième album solo, onze ans après le premier. J’espère y retrouver au moins des bribes de sa flamme d’antan.
Une version live chez Tower Records en 2010, pour le vingtième anniversaire du disque.
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