Quand je pense à Merzbow, je pense à mon ami Jérôme qui bavait, en son temps, devant la Merzbox (50 enregistrements). Il faut dire que Jérôme bavait un peu trop souvent, devant les filles aussi et que je l’ai, à ce propos, entendu faire la déclaration d’amour la plus saugrenue, mais aussi sans doute la plus courageuse à une jeune fille en fleur. Outre les pléthoriques enregistrements de Merzbow, il avait aussi une collection de l’intégrale des écrits de Lénine et questionnait très sérieusement son rapport à la m… qui collait assez bien à une autre de ses passions pour KK Null. Et pour Anne Laplantine, allez comprendre pourquoi. C’est aussi à lui, fan d’entre les fans de Sister Iodine, qu’on doit d’avoir organisé, da Rouen, un concert furieux de Antilles, groupe composé de Minkinen, de Fernandez et de Jérome Berg aux toms basses (d’ailleurs on est toujours sans nouvelles de Berg Sans Nipple depuis « Build with Erosion », et c’est cruel).
Si je parle autant de Jérôme, vous m’excuserez, c’est parce que quand on parle de Merzbow, on parle passion et sacerdoce. Et de cette communauté soudée de doux dingues, fréquenteurs de feu Bimbo Tower, des Instants Chavirés et de feu les E.P.E. Profitons-en pour encourager nos lecteurs à essayer de (re ?)voir les documentaires de Yves-Marie (liens plus haut) Mahé sur ces lieux fondateurs et désormais cultes qui dépassent de beaucoup la simple rétrospective : liens entre lieux et faunes, art institutionnel et underground, villes et banlieues et rapports étroits qui unissent arts de la marge, public et artistes.
J’imagine que Jérôme, perdu de vue hélas depuis de nombreuses années, fera partie des 300 heureux possesseurs de ce très beau vinyle, témoin de la rencontre de Merzbow et Kaoru Sato, deux cinglés comme on en fait peu (voire plus). Kaoru Sato a ainsi, apprend-on, œuvré dans la contestation et la provocation, tout comme Tori Kudo de la même génération, attaquant le pouvoir japonais en place par des performances et des disques aux titres jetant l’anathème (disque de Lingua Franca -1 : « Death to the Emperor Showa »). On n’attaque pas l’empereur du soleil levant impunément… Au passage, on s’étonnera, ou pas, de la violence et de la virulence des artistes japonais sur leur sol (de gauche, comme de droite, comme Mishima, cf la chronique de « Gala-kei »).
Pour mieux apprécier leur collaboration, on se jettera d’abord sur leurs contributions personnelles. Merzbow sonne (comme c’est étrange !) comme du Merzbow : des cris réverbérés dans le numérique sur un beat modulaire, avec du brouillard dans le fond. Une véritable esthétique du hurlement des machines. Kaoru sato propose des balayages d’irisations numériques suraiguës, presque cristallines sur frottements et souffles analogiques.
Leur duo est composé de grignotements utilisés comme beats avec les balayages de Kaoru Sato. On entend quelque chose comme un field recording de cris chamaniques et de rythmes tribaux loin dans le mix, ainsi que des modulations typiques de Merzbow.
Rien de très surprenant, si ce n’est une rencontre historique de durs-dingues à Kyoto le 21 octobre 2018. Pour notre part, on préfère la rencontre Boris/Merzbow (« Rock Dream », autre édition limitée) lors de laquelle Merzbow déchirait véritablement le son de ses compatriotes.
Ce LP restera donc pour afficionados only. Dont mon Jérôme que j’ai essayé de repérer dans les vidéos camescope d’archives du doc sur les E.P.E. Jérôme, si tu lis ces lignes, quand nous rendras-tu notre Buddha Machine ?