Découverts à l’occasion d’un live intense à l’ouverture de The Great Escape en mai dernier, les Suisses un peu déglingués de Puts Marie nous ont donné l’envie de les revoir en concert le plus vite possible. Si le festival ne leur a pas ouvert les portes du marché anglais, les Transmusicales de Rennes 2014 leur ont assuré une année de concerts et de louanges dans la presse française pour leur album Masoch I-II. Rencontre avec le groupe à l’occasion de leur concert nantais à Stereolux.
POPnews a eu l’occasion de vous voir en concert pour la première fois à l’occasion de The Great Escape à Brighton, un festival réputé pour ses découvertes de groupes émergents. En faisant le live-report, je me suis rendu compte que le groupe s’est formé il y a 15 ans, mais que vous avez arrêté de jouer ensemble pendant environ six ans avant de vous réunir à nouveau. C’est peut-être la raison pour laquelle on vous considère comme un groupe « débutant », mais cela n’est-il pas embêtant de toujours participer à ces festivals de groupes « émergents » après tant d’années ?
(Rires)
Sirup Gagavil (guitare) : On a ré-émergé (sourire).
Nick Porsche (batterie) : Oui, on fait ce que l’on appelle des « showcase » (rires). C’est nouveau pour nous, on n’a jamais fait de trucs comme ça avant donc ça va. Bien sûr ce n’est pas ce qu’on aime faire le plus. Mais par exemple les Transmusicales, ça nous a bien aidés. The Great Escape, il n’y a malheureusement pas eu vraiment d’effets ensuite. Sur six ou sept tremplins que tu fais, il y en a peut-être un ou deux qui marchent.
Durant ce hiatus, les membres du groupe ont voyagé : à New-York pour Max, à Mexico pour Igor…et ont mené des projets parallèles : en quoi ces projets vous ont-ils nourris?
Max Usata (chant, batterie) : Moi je pense que cela nous a apporté quelque chose. Cette pause réelle de trois ans a permis à chacun de faire ses propres trucs, que ce soit en Suisse, aux Etats-Unis ou au Mexique, et de les ramener ensuite dans la musique. Cela a sûrement permis de donner un nouvel élan au groupe.
Comment l’identité et le son peuvent perdurer sur une si longue période sans activité « de groupe » ? Vous n’aviez pas peur de vous perdre en route?
Sirup : La pause m’a permis de jouer d’autres musiques avec d’autres influences que j’ai développées dans l’instant. Notre musique a pas mal changé : avant on jouait de tous les styles, on avait de la peine à trouver un fil rouge, ce qui s’est beaucoup amélioré. Il y a toujours des restes, dans la structure des morceaux par exemple. Aussi parce que l’on se connaît tellement bien musicalement, on sait comment les autres fonctionnent.
Nick : Certains ont continué à travailler ensemble, à enregistrer des parties de morceaux… En fait on ne s’est jamais arrêtés de faire des trucs.
J’ai pensé à dEUS en vous voyant mélanger les styles joyeusement, ou en entendant la voix de Max. Qu’en pensez-vous ? Vous les connaissez ou vous les écoutez ?
Sirup : Tu n’es pas la première qui dit ça mais moi je ne connais pas. Je suis allé écouter deux-trois trucs et je ne vois pas trop le lien (rires).
Nick : Moi c’est pareil je ne connaissais pas.
Beni 06 (orgues Farfisa) : Moi j’écoutais mais il y a 20 ans!
Moi aussi, je pensais d’ailleurs à une filiation avec leur album de 1996, « In A Bar Under The Sea » où ils mêlent jazz, punk, ballades, rock indé…
J’ai vraiment été impressionnée par votre live au Great Escape en mai dernier, et pourtant je ne vous ai jamais vus déguisés en femmes comme vous le faisiez très souvent auparavant sur scène. Vous vous êtes assagis, c’est l’âge ?
Max : C’est vrai que c’est devenu un peu plus rare que l’on se déguise. Avant c’était toujours, maintenant c’est presque jamais.
Sirup : En fait, on se déguisait souvent en femmes avant, et la dernière fois que l’on a eu l’occasion de le faire, c’est lors de notre passage à la télé suisse. Beni avait proposé cela, car c’était un format assez mainstream et on ne savait pas vraiment pourquoi ils nous avaient choisi et ce que l’on faisait là. C’était l’occasion de faire quelque chose de spécial : on passait déjà à la télé, alors là on voulait encore plus faire parler de nous.
Sur scène, Max a une véritable présence : tu vas dans la fosse, tu joues avec le micro, tu tapes sur des fûts…Et on se demande notamment ce qui te passe par la tête quand tu fixes un point au loin…
Max : A ce concert, il y avait la mer au loin, on était dans le sous-sol de cet hôtel et on voyait la mer…(rires) (ndlr : sur le coup, je prends Max pour un illuminé car le concert au Great Escape se déroulait au Komedia, bien en retrait du front de mer ; après l’interview, lors d’une conversation avec Max, je me rends compte que lui faisait référence à l’autre showcase qu’ils ont réalisé à Brighton, au bord de la mer. Toutes les pièces du puzzle s’imbriquent alors !). Non mais je ne pense à rien, c’est la musique qui fait ça ! Parfois je regarde les gens et ils sont dans le même délire.
Nick : Souvent les gens me demandent s’il prend des trucs, mais non, il ne prend rien ! (rires)
Quel est votre objectif en montant sur scène ?
Beni : Fun ! (ils éclatent tous de rire)
Max : C’est vrai, chaque fois je me réjouis, ça me fait tellement plaisir de monter sur scène et de jouer avec eux. C’est quelque chose que j’essaie de retrouver à chaque fois.
Sirup : Une autre chose, c’est que l’on essaie d’être le plus calme et relax possible, de monter sur scène sans nervosité, pour pouvoir faire le concert le plus simple possible.
Et ça marche…
Certains morceaux du groupe s’étirent dans des parties bien déjantées : y a-t-il une place laissée à l’improvisation sur scène ?
Sirup : Le set est assez cadré maintenant, mais c’est vrai que des morceaux peuvent durer un peu plus longtemps.
Nick : On a des petites portes que l’on peut ouvrir si l’on veut.
Il y a eu Masoch I et maintenant Masoch II : pourquoi une histoire en deux chapitres ? Hasard ou volonté ?
Nick : Au début l’idée était de faire un album, mais on a fini avec seulement six titres qui nous convenaient (sourire).
Sirup : On a donc réarrangé des morceaux qui n’étaient pas dans le premier choix, on les a retravaillés pour le live, et puis on a enregistré à nouveau et ça a donné Masoch II.
Vous êtes distribués par le label français Yotanka, label d’origine angevine maintenant installé à Nantes. Vous connaissez un peu la ville, vous avez eu le temps d’y faire un tour?
Tous : « Nantes », « nantes » (ndlr : jeu de mots avec Nantes qui ressemble dans sa prononciation à « not », donc « non ») (rires).
Vous jouez ce soir à Stereolux dans le cadre d’une soirée suisse, intitulée « l’Helvète Underground » : quelle place occupez-vous dans cette scène ? Connaissez-vous les deux autres groupes qui jouent ce soir avec vous (Verveine et Hyperculte) ?
Sirup : On a déjà joué avec Verveine, mais on ne connaît pas Hyperculte.
Nick : Bien sûr, on côtoie beaucoup de musiciens suisses, mais surtout dans la scène alternative. On avait par exemple fait une tournée avec Peter Kernel qui avait bien marché.
Sirup : En Suisse, la radio ou la télé se focalisent sur ce qui est très commercial. Il y a aussi des groupes alternatifs qui tournent, mais il n’y a pas vraiment de réseau comme en France pour que les petits groupes puissent jouer. C’est assez difficile pour nous en Suisse, on tourne beaucoup plus en France pour l’instant : c’est un pays plus grand évidemment, et puis il y a vraiment un public pour les groupes alternatifs.
Igor Stepniewski (basse) : Et puis nous on a toujours eu cette volonté de jouer en-dehors de la Suisse.
Sirup : On ne s’est jamais vraiment identifiés à la scène suisse, on avait envie de voir ce qu’il se passait ailleurs.
Pensez-vous parfois à vous installer en-dehors de la Suisse ?
Nick : Non, pas vraiment, parce que l’on habite dans une ville (ndlr : Bienne) qui est comme une île, qui est différente, parce qu’il y a beaucoup d’artistes et de musique, et où on a un réseau.
Sirup : Et puis c’est une ville ouvrière, qui n’est pas dans l’industrie du luxe, où les loyers ne sont pas très chers.
Le hasard fait que lorsque je vous ai vus en Angleterre, c’était déjà dans le cadre d’une carte blanche à la Suisse. A une période où la culture française est menacée et où les appels pour la maintenir en vie coûte que coûte se multiplient (ndlr: l’interview s’est tenue une semaine après les attentats du 13 novembre à Paris), vous vous situez comment ? Vous avez eu peur de jouer ces derniers jours ?
Sirup : On a appris la nouvelle des attentats quand on est descendus de scène après un super concert au Fuzz’yon, à La Roche-sur-Yon, et ça a évidemment changé l’atmosphère. Urbain, notre technicien, connaît des gens qui y sont restés, qui sont décédés, et on se rend compte que le monde est petit. Ca nous rend tous plus proches. En même temps, il y a des endroits sur Terre où il y a des attentats tout le temps…
Max : Nous on va continuer à jouer : c’est notre travail et on aime bien notre travail. Ce serait horrible si on ne pouvait plus le faire, il faut continuer.
Quel est le programme de Puts Marie pour les mois à venir ?
Sirup : On va faire quelques dates en Suisse en décembre, puis tourner en Allemagne. On sera de retour en concert en France en avril. On va aussi prendre le temps de composer parce qu’on a beaucoup tourné cette année, et on n’est pas vraiment du genre à écrire des chansons dans le camion (rires).
Vous êtes beaucoup encensés, comment avez-vous reçu ces bonnes critiques ? Cela vous stimule ?
Nick : C’est cool !
Max : Ca motive c’est sûr ! Comme je le disais au chef (ndlr : Eric Boistard, le directeur de Stereolux, qui était passé les voir dans les loges juste avant l’interview), j’espère que ça va rester, que ce n’est pas juste une hype vite fait et « pouf, on n’est plus là ». Il faut que l’on continue à travailler, à susciter l’intérêt, que l’on aille plus loin dans l’écriture, que l’on s’aventure sur d’autres terrains.
Sirup : En tout cas moi ce qui me fait plaisir, c’est que l’on n’a jamais vraiment fait de calculs : comment et pourquoi on fait de la musique en fonction de tel ou tel public ; on a toujours fait ce que l’on voulait. Là c’est un peu le hasard qui fait que le marché a envie de ce qu’on fait en ce moment. On n’est pas obligés de se plier à une volonté et de faire un disque que l’on n’a pas envie d’écouter à la fin. Je crois que cela renforce aussi l’esprit de groupe, d’autant plus que l’on joue depuis longtemps ensemble. On connaît plein de musiciens pour qui ça a marché, et ça a cassé quelque chose au sein du groupe.
Max : On n’est pas un produit qui a été formé pour un certain public. On est honnêtes envers nous-mêmes.
Nick : On a appris aussi ce que l’on voulait faire ou pas, grâce à des expériences passées avec les labels. Maintenant, c’est « take it or leave it ! » (rires)