Angel Del Villar II, alias Homeboy Sandman, est originaire de New-York, plus précisément du Queens. Il est diplômé en droit, mais a préféré s’engager dans une carrière de rappeur, où il s’est rapidement distingué par son habileté verbale, notamment sur la scène du légendaire Nuyorican Poets Café. Ses sorties autoproduites, par exemple Actual Factual Pterodactyl (2008) et The Good Sun (2010), ont bénéficié d’une cote substantielle, ce qui lui a permis, in fine, de signer chez Stones Throw, l’institution indé de la Côte Ouest où, après deux EPs, il sort un nouvel album moins confidentiel, First of a Living Breed.
Avec un tel pedigree, il est clair qu’Homeboy Sandman donne plutôt dans un hip-hop intello et propre sur lui, qu’il est à l’extrême opposé du gros trap rap qui tache, incurable et fier-à-bras, qui sévit ailleurs en Amérique. Cela est confirmé bien vite par cet album qui sent la nostalgie pour un temps où le rap était avant tout science du sample et des mots ou qui s’emploie à réinventer ses vieilles routines, comme avec le diss track « Eclipsed ». C’est un disque où le rappeur, posé, réfléchi, s’exprimant sur le mode de la conversation, donne des conseils aux enfants (« For the Kids »), exhorte les gens à la prise de conscience (« Illuminati ») ou, humble, fragile, MC normal comme d’autres se déclarent présidents normaux, affirme que le monde de la musique ne l’a pas vraiment changé (« Not Really »).
Cet adult rap pavé de bonnes intentions, on le sait, confine presque systématiquement à l’ennui. Ce risque, d’ailleurs, Homeboy Sandman s’y expose parfois, mais sans dégât. L’album, au final, est plutôt bon, et les beats y sont pour beaucoup. D’aucuns pourraient reprocher à First of a Living Breed une production déraisonnablement diverse et éclectique, un manque de cohérence dû au grand nombre de producteurs qui y ont été conviés (Oh No, Oddisee, Jonwayne, 6th Sense, Invisible Think, et d’autres encore). Toutefois, c’est exactement tout le contraire, les beats en sont même l’une des principales attractions.
D’emblée, « Rain » marque les esprits, avec son instru façon jeu vidéo, un exercice répété avec le titre final, « Let’s Get ‘Em’s ». Plus tard, « Illuminati » est porté à merveille par une musique très ambient, de même que cette réussite qu’est le titre éponyme de l’album. Une flûte paisible habille un portrait de New-York sur « 4 Corners ». On note également quelques curiosités assez inédites : « For the Kids », par exemple, est accompagné fort à propos par le sample d’un enfant que l’auditeur trouvera, au choix, malin ou irritant ; le faiblard « Cedar and Sedgwick » ressemble à un concerto pour couteaux et fourchettes ; et, plus convaincant, « The Ancient » allie quelque instrument à vent oriental à des « hou ha » de sauvages.
Ces variations incessantes sont, la plupart du temps, épousées avec facilité par Homeboy Sandman. Il sait y adapter son intonation, sa voix, son phrasé, par exemple quand il se lance dans un chanté / rappé léger pour accompagner les cuivres et le piano dégainés par Oddisee sur le charmant single « Watchu Want From Me? », ou plus tard quand le rappeur privilégie au contraire un débit robotique (« Sputnik », « Mine All Mine »). Et c’est sans doute cette élasticité, cette versatilité, autant que ses qualités purement « lyricales », qui confirment, avec l’ensemble de l’album, que les critiques élogieuses collectées par Homeboy Sandman au cours de ces dernières années n’étaient pas totalement imméritées.