Réédition d’un album culte/séminal/fondateur (rayez les mentions inutiles) du couple Tori et Reiko Kudo. Une poétique du bruit dans le Japon des années 80 du siècle dernier.
Moone Records continue son compagnonnage avec Tori Kudo. Au programme cette fois-ci, ce n’est ni un live, ni un split, mais une réédition, en vinyle, comme toujours extra limitée (500 copies), d’un album culte de la bande à Kudo.
Depuis plus de quarante ans, Tori et Reiko œuvrent de concert en véritables punks anarchistes, aux confins du jazz, de l’activisme, des expériences d’orchestres amateurs. En 1980 (je n’y étais pas), c’est la noise, choisie alors par nos deux idoles en rupture de ban, qui était la voie la plus hardcore.
Redirai-je ma passion pour la musique de Tori et de Reiko ? L’édition “Light” (bois et papier collé) est toujours sur l’étagère derrière moi, à côté des chawans de Tori et de son père. “Rice Field Silently Riping in the Night” est toujours mon album préféré de Reiko. Et je guette toujours la prochaine sortie du silence de Mme Kudo. Enfin, ce “Tenno” culte de Noise ressort au format vinyle… avec aux crédits, une certaine Reiko… Omura (nom de jeune fille).
Évidemment, “Tenno” n’est pas à mettre entre toutes les oreilles (lapalissade kudienne). À côté, Nico, c’est Jean-Sébastien Bach, propret, classique, carré. Un orgue acide free, monsieur, une chanteuse en transe qui poétise tranquillement dans son coin, presque contre la musique, quelques coups de trique (une batterie ?), une guitare maltraitée en contrepoint. C’est un objet malade, vicieux car terriblement entêtant. La voix de Reiko, brumeuse, surgit et s’évanouit, tout glisse et se perd dans des échos. On ne sait si c’est du japonais ou du français. Ça nous parle en tout cas. Ça a presque notre âge (canonique) et ça pourrait avoir été enregistré hier.
Reiko est décidément éternelle, immuable. L’entendre lutter de concert avec les traficotages de son futur mari, décidée, sûre d’elle-même, dans ce nuage vibrionnant de bruits et se rappeler qu’elle poursuit toujours sa route, avec ses mélodies et arrangements de peu est étonnant. Elle chante et c’est une flamme, un vent frais, ou une plante qui se nourrit de son environnement. On l’imagine faire ça de manière totalement instinctive, essentielle et sans pour autant que ce soit indispensable. Aujourd’hui, elle s’occupe sans doute de ses chats, de ses plantes (de ses évangiles aussi). Pas sûr qu’elle chante, pas même dans sa cuisine. Mais si la fantaisie lui prenait, ça ressortirait tout seul comme au jour de ce “Tenno”. Et on serait tout aussi enthousiaste.
On reste en tout cas, comme toujours, soufflé par l’importance et l’étendue des savoir-faire des Kudos. Ces déraillements sur les fins des 2e et 4e pistes (“Water” et “Emperor”), ces guitares noise, velvetiennes, perdues comme pouvaient l’être certainement ces enfants contestataires dans un Tokyo policé. “Tenno” est un chant de liberté, de foi dans la musique, dans la poésie de l’instant pour tous ceux qui ont eu la chance un jour d’être oints par la noise. Plus que le témoignage d’une époque et d’un parcours, c’est une pierre milliaire, une oasis de bruits blanc et gris cassé.
Avec l’aide de Johanna D., évangélisée de longue date.
“Tenno” de Noise est (res)sorti le 9 mars 2021 chez Moone Records.
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