The Necks au sommet de son art : du jazz pour tous, sans compromissions.
Le trio jazz The Necks est fascinant, capable de fédérer un public varié, d’afficionados d’impro aux jazzeux stricts, en passant par les plus curieux des popeux. Lors du dernier concert de The Necks à Stockholm, on était surpris de retrouver présentes des bandes diverses, d’être tous ressortis enthousiastes et pourtant, détail extrêmement amusant, à se refourguer des conseils très différents sur leur discographie. Finalement, pour choisir ses amis, on pourrait simplement leurs demander quels sont leurs disques préférés issus de la vingtaine d’albums de The Necks.
Pour nous, ce 21e fait partie des très bons (avec “Open”). Une forme d’arche, avec deux morceaux-piliers au groove très solide en base et, entre (ou au-dessus) une échappée plus atmosphérique, puisque céleste hommage au musicien Damien Lovelock du groupe de punk rock australien The Celibate Rifles, décédé en août 2019.
Tout le monde devrait donc y trouver son compte.
“Three” est un disque piégeux, qui a l’air d’une improvisation, issue d’un de leur concerts (l’importance de la structure de base, les improvisation sur thème…) mais gorgée de pistes annexes et sans doute d’overdubs. L’écoute prend d’ailleurs un autre envol lorsque l’on se demande, au fil de l’écoute, si ajouts il y a et d’où ils viennent.
“Bloom” fleurit sur la construction d’un groove implacable, avec les percussions à la fois emballées et free de Tony Buck et la contrebasse lourde qui claque de Loyd Swanton. Le motif, sur lequel Chris Abrahams plaque ses accords de piano (mon oreillette m’indique qu’il joue aussi sur le dernier The Apartments), demeure quasi invariant. On en restera là… pour une écoute distraite et déjà hautement satisfaite. Le voyage se fait dans les prolifiques et minuscules détails, et les légers écarts : les ajouts de claviers qui viennent zébrer çà et là le discours (une touche Ethiopiques à la Hailu Mergia), les cingleries d’effets de percussions (qu’est-ce que ces craquements qui constituent l’armature rythmique du titre ? Contrebasse ? Basse ? Percussions ?), de prises (cymbales frappées frénétiquement dans le lointain du studio et du mix), de guitares maltraitées. C’est un épais millefeuille plein de touches improvisées et pourtant le titre le plus rock dans son allure générale, hyper structurée.
“Lovelock” ,au contraire, échappe à toute structure rythmique qui semble être laissée au piano, lequel se fait régulièrement la malle. Productions d’atmosphères, avec beaucoup d’échos et donc d’espace sur la capture de certains instruments. On est dans de l’ambiant acoustique avec un joli catalogue de sons de cymbales et d’instruments percussifs frottés à l’archet, brouillard de caisses claires, cliquetis de résonances métalliques. On se perd dans cet espace acoustique à la fois nébuleux et minéral pour mieux retomber sur du solide avec “Further”.
Groove toujours impeccable avec la contrebasse de Swanton ici sur le devant et avec cet ensemble de percussions hyper présent, quasi parasite, tout en craquements, grésillements, frottements. Le piano lyrique d’Abrahams tient le chant mais comme sur le premier titre, ce qui fait la force du trio ce sont tous les chuchotements musicaux qui accompagnent groove et mélodie. Plus que jamais on prendra garde à ne pas se laisser distraire par les très belles évidences mises en relief (claviers ondoyants, guitares à la Chris Isaak et/ou Badalamenti) pour aller fouiller les recoins, car toute la richesse est dans les copieuses notes de bas de page et autres multiples parenthèses.
Disque d’apparence immobile aux miroitements infinis, “Three” est un magnifique album de The Necks.
Avec l’aide de Johanna D, Buckienne.
Bloom
Lovelock
Further
“Three” est sorti le 27 mars 2020 en CD et téléchargement chez ReR MEGACORP.