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Disques

The Apartments – In and Out of the Light

Il y a cinq ans, “No Song, No Spell, No Madrigal” marquait le retour inespéré des Apartments sur nos platines, après quelques concerts en France et en Australie les années précédentes. Magnifique, ce disque cathartique plongeait par moments dans de tels abîmes de douleur (“Twenty One”, “The House That We Once Lived In”, “Swap Places”), terribles bien que jamais impudiques, qu’on pouvait se demander s’il y aurait une suite. Si Peter Milton Walsh, cet homme qui a toujours mis toute son âme dans ses chansons, n’avait pas soldé ses derniers comptes, s’il ressentirait toujours le besoin d’écrire et de chanter. “In and Out of the Light” nous apporte la réponse en huit morceaux présentés comme nouveaux, quoique rien ne dise qu’ils n’ont pas déjà existé il y a très longtemps, sous une forme ou sous une autre, dans la tête de leur auteur.

Plus encore que “No Song…”, ce nouveau disque concrétise la dimension (modestement) internationale de ce qui ne sera jamais un véritable groupe, mais qui a toujours été davantage qu’une expression solitaire. L’enregistrement s’est déroulé entre Sydney, pour Peter Walsh et le bassiste et fidèle compagnon de route Eliot Fish, la France et plus particulièrement Tours (Antoine Chaperon et Natasha Penot, qui forment avec l’Australien un trio scénique touchant régulièrement au sublime), et Londres où réside le batteur Nick Allum. Une façon pas si anecdotique de relier trois points cardinaux – le quatrième serait New York – de l’histoire des Apartments, longtemps soumis à la bougeotte du maître de maison. Tous ces éléments épars ont ensuite été méticuleusement assemblés pour créer un ensemble sans coutures apparentes, particulièrement homogène.

Si les chansons de Walsh ont pu naguère évoquer des torrents impétueux, “In and Out of the Light” semble s’écouler comme un fleuve faussement tranquille. On ne retrouvera pas ici les attaques franches de guitare de “The Black Road Shines” ou “The Goodbye Train”, cette impression d’un orage prêt à éclater – ce qui s’en rapprocherait le plus est sans doute “What’s Beauty to Do?”, seul titre à la rythmique un peu appuyée (et avec un fade in rappelant “Nothing Stops It”), qui néanmoins ne détonne pas complètement dans l’apparente douceur de l’ensemble. Ailleurs, la trompette, le piano, les cordes, la voix de Natasha, voire un synthétiseur (sur la clôture “The Fading Light”) composent un nimbe sonore déjà esquissé par le passé, mais jamais dessiné avec une telle perfection.

Cet aspect flottant, accentué par une écriture qui oublie le plus souvent l’alternance couplet-refrain, peut surprendre au premier abord même s’il transparaissait occasionnellement sur les disques précédents. Rétrospectivement, “Attention to Life”, la contribution de Peter Walsh à l’album “Closure” de Piano Magic (2017), annonçait aussi cette évolution mais le son est ici plus chaleureux, plus plein. Sa voix, qui ne nous avait jamais paru aussi proche, invite à une écoute solitaire et recueillie, de celle qu’on réserve aux grands anciens, Dylan ou Cohen, où la moindre inflexion, le moindre souffle semblent contenir une vie entière.

S’il se dégage de “In and Out of the Light” une sérénité presque zen à laquelle ce maître du ressassement ne nous avait guère habitués, Walsh creuse encore et toujours les mêmes thématiques, regrets éternels, poison du souvenir, cigales fort dépourvues quand la bise fut venue (“I went singing through the summer, then the winter set in” sur “Butterfly Kiss”). Pourtant, comme le titre de l’album le suggère, la clarté perce par intermittence (“Pocketful of Sunshine”), et l’espoir n’est jamais totalement mort – de toute façon, que reste-t-il d’autre ? Bien sûr, “I Don’t Give a Fuck About You Anymore” est un titre de chanson encore plus brutal et cruel que “Not Every Clown Can Be in the Circus”, mais on peut aussi se dire que le “I” est toujours un autre, et le “you”, tout le monde et personne. Et qu’abandonner le sentiment pour l’assentiment n’est pas forcément une défaite, plutôt une prise de conscience bienvenue : les personnes qui comptaient tant pour nous sont devenues des ombres, les villes aimées sont perdues dans les brumes de l’oubli, nous avons changé, sommes allés de l’avant. Après tout, “It won’t be so bad anymore, you won’t be so sad anymore”.

Il faut laisser à ces chansons le temps de nous imprégner, de s’inviter dans notre quotidien. Les écouter jusqu’à ce qu’elles deviennent non pas un vulgaire papier peint musical, mais une histoire intime, seule façon d’aimer The Apartments. En ces temps si sombres, leur lumière, même si elle ressemble plus à la flamme vacillante d’une bougie qu’à un rayon de soleil éblouissant, ne peut être qu’infiniment précieuse.

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