Étalon or de la disto et de la fuzz, punk rock à skater de qualité depuis 1985, Dinosaur Jr. rempile une fois de plus pour notre plus grand bonheur. Et s’adjoint pour la forme et le fun le Kurt Vile, sur sa planche à roulettes violette.
Un nouvel album de Dinosaur Jr. ? À quoi bon ? À se faire plaisir, tout simplement. On glosera à longueur de chronique sur le charme de l’époque bénie des glorieuses années 90, du siècle dernier. La réussite, sinon le succès de “It’s OK” des frenchies Fantomes est dans cette veine-là. Reste qu’on n’est jamais aussi bien servi que par les maîtres du genre. En prise directe avec la mélancolie des années collège, la rage du métal comme seul exutoire (avec peut-être la planche à roulettes, Jay est straight edge), la pop ensoleillée des années insouciantes encore dégagées des contingences. C’est ce mélange-là qu’a osé Dinosaur Jr… et qui n’a pas varié au fil des années. Et de fait, depuis la surexposition médiatique d’une certaine jeunesse sonique il y a plus de… quarante ans, nos petits dinosaures parmi cette espèce en voie de disparition restent le garant de l’esprit noise pop bien mieux que d’autres, noyés dans leur grandeur passée (Sonic Youth, pour ne pas les nommer, qui réussissent finalement à retrouver l’esprit punk de leurs débuts dans leurs à-côtés en solo, une fois débarrassés de leur vieil oripeau, alors qu’un certain public continuait de les adorer plus pour l’enveloppe que pour le contenu. Belle fin de « carrière » somme toute). Les Dinosaur Jr., eux, restent dans une constante qui ne cesse de nous confondre. Le robinet à tubes semble continuer à couler, sans heurts, sans lassitude depuis “Beyond”. On s’amusera comme toujours à chercher les petits raffinements, perturbations dans le trio, qui pimentent le jeu.
Joker de cet album : Kurt Vile, à la douze cordes sur “I Ran Away” et à la production de l’album. L’atout Kurt Vile est de se la jouer à la Thin Lizzy (décidément référence ultime des groupes survivants à guitare. Qui a dit Wilco ?), double lead, concours de b… tranquillou bilou. On reste tout de même dans la bonne entente, Kurt se plaçant très ostensiblement derrière notre roi grognon. C’est ça la légende, ça fout les foies (Kurt dans le rôle de James Stewart face à Jay-Liberty Valance). “I Ran Away“ bénéficie donc de quelques éclats bayou bienvenus, point trop n’en faut. C’est suffisant et respectueux. Attendons la suite du “Bottle It In” pour plus d’expression personnelle.
Plus étonnant, “Take It back” avec des claviers dans la plus grande tradition lo-fi, au premier plan, sur fond de fuzz (tout de même). Un pont prend du champ pour regarder vers les étoiles. C’est assez surprenant.
Selon les nouvelles tables de la loi de l’équilibre thermodynamique de Dino Jr., Lou Barlow a droit syndicalement à ses deux chansons, dont la finale, “You Wonder”. Un peu laidback, sensible et irrésistiblement accrocheuse, que Jay vient saloper (ou enrichir, c’est au choix) d’un solo bien charbonneux. On ne résiste pas à la centrale “Garden”, jardin des délices sur laquelle même Murph semble en forme, loin de ses bûcheronnades habituelles, du moins sur ce titre. On n’échappe pas aux coups de cognée, de moins en moins supportables, alors, lorsqu’un break survient ou qu’un grondement de grosse caisse sourd un peu (“To Be Waiting”), on respire enfin.
On ne peut s’empêcher de comparer ce nouvel album à ceux d’autres papys du rock, sortis récemment (mettons à part Arab Strap, loin des préoccupations familiales), Teenage Fanclub (qui a redit Wilco ?), genre. Comme pour ces derniers, l’épanouissement familial et amoureux de la fleur de l’âge, qui caractérisent les albums des dix dernières années, fait ici place à une certaine inquiétude.
“I Met the Stones”, toujours dans la poésie cryptique de Jay (on ne sait s’il parle des Pirates des Caraïbes, des minéraux inertes ou de la pierre tombale), révèle une certaine angoisse métaphysique, une mélancolie impossible à décoller (“I Ain’t”), un détachement misanthropique ou autistique.
« Believe the others just not me
Explain away the other three
Not that it matters I agree »
Avec Jay, on est toujours dans un trio dysfonctionnel (le groupe, la famille) pourtant magnifiquement béton. Comme avec Teenage Fanclub, sans vouloir spécialement remuer le marigot des malheurs qu’on ne souhaite à personne, on remarque que les aléas de la vie donnent un relief certain aux albums de nos pré-seniors.
« Sweep It into Space » ne restera pas dans les annales de Dinosaur Jr comme un de leurs grands albums mais c’est un très honnête produit, garant de la qualité d’une marque de fabrique artisanale impérissable.
Avec l’aide de Johanna D., pas encore émascisée.
« Sweep It into Space » est sorti le 23 avril 2021 chez Jagjaguwar.