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Interviews

John Campbell (It’s Immaterial) : « On a fini par y arriver ! »

Jamais deux sans trois… Il suffisait d’attendre. Trente ans après son deuxième album, It’s Immaterial sort enfin son troisième, “House for Sale”, enregistré entre l’Ecosse et Liverpool. Une arlésienne pop qui a longtemps pris la poussière sur l’étagère d’un studio avant que ses créateurs, John Campbell et Jarvis Whitehead, ne se décident à terminer le travail. Le premier, voix et cerveau d’It’s Immaterial depuis quarante ans, nous raconte la longue gestation de ce disque miraculeux – dans tous les sens du terme – et revient sur l’histoire d’un groupe unique en son genre, qui a su si bien traduire en musique la beauté mélancolique des paysages post-industriels du nord de l’Angleterre.
John, qu’est-ce que cela te fait de sortir enfin ce troisième album ?
John Campbell : Je suis vraiment très heureux ! Les démos des morceaux avaient été enregistrées il y a une trentaine d’années. Nous étions allés dans la campagne écossaise, aux studios Castlesound situés près d’Edimbourg, à l’invitation de Calum Malcolm [producteur notamment de The Blue Nile, NDLR] qui avait déjà enregistré et produit l’album précédent, “Song”. Comme on avait tous eu beaucoup de plaisir à travailler ensemble sur ce disque, il nous avait proposé de faire de nouveau équipe pour le troisième. Nous avons donc enregistré ces démos… et juste après, j’ai appris que ma compagne avait un cancer du sein. Elle est morte moins dix-huit mois plus tard et bien sûr, tout a été remis en cause. Il nous était très difficile de rester créatifs dans ces circonstances, il y avait des choses tellement plus importantes… Calum nous a renvoyé les bandes, et Jarvis [Whitehead] les a rangées sur une étagère dans notre petit studio 16-pistes à Liverpool. Nous avons fini par oublier ce projet d’album et nous nous sommes mis à travailler sur d’autres choses. Et puis, il y a environ six ans, nous avons dû déménager notre studio, et nous avons alors retrouvé les bandes là où nous les avions laissées. Nous avons eu envie d’en faire quelque chose. A l’époque, Calum travaillait sur un magnétophone Tascam DA66, qui était alors une machine très moderne. Bien sûr, aujourd’hui, plus personne ne l’utilise ! (rires) Il fallait donc transférer les enregistrements et j’en ai parlé à un ami qui a un studio à Liverpool. Par chance, il avait justement un Tascam DA66 dans sa réserve, qu’il a ressorti, et nous avons donc pu reformater les démos pour ProTools. Ensuite, Jarvis et moi avons passé beaucoup de temps à les retravailler car les enregistrements digitaux étaient corrompus par endroits. Il a fallu faire des collages, terminer des refrains laissés en plan, écrire des paroles pour des parties instrumentales. Ça nous a donc pris trente ans… mais on a fini par y arriver, c’est extraordinaire !

C’est un financement participatif qui a permis au disque de voir enfin le jour. Es-tu particulièrement reconnaissant à vos fans ?
Bien sûr, c’est formidable qu’ils aient gardé leur enthousiasme pendant toutes ces années. Au départ, nous devions publier l’album via PledgeMusic. Beaucoup de fans avaient participé au financement. Et malheureusement, Pledge a fait faillite juste au moment où “House for Sale” devait sortir. Nous avions proposé aux donateurs de venir en studio pour écouter les morceaux, et ce même jour Pledge s’est écroulé ! Nous avons donc dû trouver un autre moyen pour financer l’opération… Et bien sûr, nous tenions à ce que les fans qui avaient participé au départ reçoivent l’album, c’était une dette d’honneur. Nous avons finalement réussi via Internet à impliquer d’autres financeurs pour payer le studio, l’ingénieur du son, et presser suffisamment de disques pour l’envoyer à tous ceux qui avaient donné sur Pledge et aussi pour en vendre un peu à ceux qui veulent l’acheter. Il se sera donc écoulé à peu près quatre ans à partir de la campagne sur Pledge : là encore, une route longue et avec beaucoup de nids-de-poule !

Avec le recul, trouves-tu que le nouvel album sonne comme un disque du début des années 90, ou simplement comme un disque d’It’s Immaterial ?
Je pense que c’est une continuation des deux premiers albums. Ceci dit, ils étaient assez différents l’un de l’autre, n’avaient pas vraiment le même caractère. “Song” est plus mélancolique. Il se base davantage sur des petites histoires, des chansons, avec une certaine unité d’ensemble, alors que “Life’s Hard and Then You Die” est plus enlevé et optimiste, avec des morceaux qui se distinguent davantage les uns des autres. L’idée de départ du troisième, quand nous avons commencé à travailler sur les démos, était d’être un peu à mi-chemin des deux.
Etiez-vous influencés par la pop électronique de l’époque ? Sur certains morceaux de “House for Sale”, les beats rappellent un peu peu des groupes comme les Pet Shop Boys, The Beloved ou Electronic.
Nous avons toujours été éclectiques, fascinés par différents types de rythmes venus du monde entier. Cela transparaît sans doute sur le disque. Par exemple, le deuxième morceau, “Kind Words”, est basé sur un rythme cubain, le merengue. Je pense qu’on ne retrouve pas ça chez beaucoup de groupes pop ! (rires) Le plus souvent, Jarvis et moi travaillions avec des boîtes à rythmes où des samples de batterie que nous collections et assemblions. Le champ de nos influences rythmiques est donc très étendu. On peut voir ça comme de la dance music, d’une certaine manière ! (sourire)

Que peux-tu nous dire sur le titre de l’album, “House for Sale”, et le tableau qui orne la pochette ?
L’explication du titre est assez curieuse. Elle remonte au tout début du projet, l’enregistrement des démos en Ecosse. A cette époque, nous avions été invités à jouer dans un centre d’art contemporain de Liverpool, le Bluecoat Chambers. Nous nous produisions dans les jardins, qui sont très agréables. Alors que nous installions notre matériel, quelqu’un est venu nous voir et nous a dit « Il paraît que vous enregistrez un nouvel album. Comment allez vous l’appeler ? » Je n’en avais aucune idée, et la première idée de titre qui m’est alors venue, c’est “House for Sale”. Ce titre a circulé dans les années qui ont suivi, chez les fans, sur Internet, alors que l’album n’existait toujours pas. Ça aurait paru bizarre d’en changer, donc en a gardé ce nom qui m’est venu comme ça, un soir, sans raison particulière.
Quand à l’image de la pochette, c’est une peinture de Nicholas Horsfield. Je suis arrivé à Liverpool en 1975 pour étudier à l’école d’art, et c’était l’un de mes professeurs. J’ai retrouvé ce tableau que j’aime beaucoup et qui représente Stockport, une ville au sud de Manchester, dans le Lancshire. C’est là que Jarvis [Whitehead] a grandi. Cette vue de la ville représente donc quelque chose d’important pour l’un comme pour l’autre.

Revenons à vos débuts. Le groupe s’est formé à l’aube des années 80, a sorti plusieurs singles et enregistré des Peel Sessions, mais il a a fallu attendre 1986 pour qu’apparaisse le premier album, “Life’s Hard and Then You Die”. Pourquoi cela vous a-t-il pris autant de temps ?
En effet, nous avons d’abord publié une série de singles sur des labels indépendants. Puis nous avons été signés par WEA pour faire un album. Nous sommes alors allés dans un studio en Ecosse – il semblerait que nous avons une attirance pour les studios écossais ! – où nous avons dû enregistrer une demi-douzaine de morceaux, mais ça n’a pas marché, notre relation avec WEA s’est détériorée à tel point que nous n’avions plus vraiment de contact. Le label voulait nous emmener dans une direction qui n’était pas la nôtre. Notre management est finalement parvenu à un accord nous permettant de quitter WEA, et nous avons alors signé chez Virgin, plus précisément sur leur sous-label Siren Records. Nous avons alors travaillé avec un certain Ross Stapleton, qui s’occupait également de groupes à succès comme Simple Minds ou Human League. C’était une chance, car lui nous a donné toute la liberté que nous pouvions désirer : « Vous ne voulez pas de producteur ? D’accord, alors choisissez un ingénieur du son. » Il nous a laissé mettre en œuvre nos idées, comme nous voulions le faire depuis le début. Pour répondre à ta question, on a l’impression qu’il s’est en effet écoulé beaucoup de temps entre les premiers singles et la parution de ce premier album… mais en fait, il y a eu plus ou moins un album entre-temps qui n’a jamais vu le jour ! (sourire)

Même si It’s Immaterial reste un groupe à part dans la production musicale des années 80, on vous a souvent comparés à The Blue Nile, en raison d’une inspiration assez similaire et de la production de Colum Malcolm. Y a-t-il d’autres artistes dont tu te sens proche ?

Je connaissais très bien Colin Vearncombe, originaire de Liverpool, qui a sorti des disques sous le nom de Black, dont le tube “Wonderful Life”. Nous avions le même manager et nous nous retrouvions souvent dans son bureau, à échanger des idées autour de la musique, à se demander l’un l’autre ce que nous faisions. A cette époque-là, nous étions très proches, et sa mort a été une tragédie pour moi, une expérience horrible [victime d’un très grave accident de voiture en Irlande, il est mort seize jours plus tard, en janvier 2016, à 53 ans, NDLR]. Notre société de management commune possédait un studio où les groupes pouvaient enregistrer des démos, nous y croisions donc Colin, Pete Wylie et son groupe Wah! Heat ou The Christians [dont le clavier Henry Priestman avait fait partie d’It’s Immaterial aux débuts du groupe, NDLR]… L’atmosphère était très amicale et créative.

Peut-on dire qu’il y avait parfois une dimension conceptuelle dans vos chansons ? Dans “Space”, par exemple, sur le premier album, tu parles du rapport entre l’homme et son espace domestique de façon purement descriptive, un peu à la façon de David Byrne dans certaines chansons des Talking Heads.
Comme je le disais, j’ai fait une école d’art et cela a sans douté influé sur ma conception du songwriting. Cela transparaît aussi dans nos pochettes, nos clips. Avant It’s Immaterial, j’étais le chanteur d’un groupe qui s’appelait Yachts, signés chez Stiff. Nous étions déjà un pur “art school band” de Liverpool, et j’ai toujours voulu conserver cette approche.

Musicalement, vous aviez semble-t-il des influences extra-européennes.
En effet. “Festival Time”, par exemple, sur le premier album, était basé sur un rythme chilien. Nous nous intéressions beaucoup à la musique et aux instruments du continent sud-américain. Je me souviens que nous avions utilisé une petite guitare au son très spécifique. Un charango, peut-être ? L’idée était de recréer l’atmosphère d’une chaude nuit de carnaval au Brésil. A l’époque, nous avions une idée bien distincte pour chaque chanson et je pense que nous ne cherchions pas avoir un style proprement dit. Un jour, c’était : « je m’intéresse à telle chose, voyons ce que ça pourrait donner ». Le lendemain, c’était autre chose : un tempo de valse, un rythme de rumba… Notre musique est un mélange de modernité et de nostalgie, en quelque sorte. Nous utilisions beaucoup de matériel numérique, des boîtes à rythme, les possibilités offertes par la technologique nous intéressaient énormément. Mais à la base, c’était juste Jarvis Whitehead avec sa guitare et moi qui essayais de trouver des textes qui collent à la musique.

Vous avez eu un petit tube assez inattendu avec “Driving Away from Home”. Avez-vous alors subi des pressions de votre maison de disques pour enregistrer d’autres morceaux dans ce style-là ?
Oh oui… Heureusement, notre manager Pete Fulwell était là pour nous permettre de faire ce que nous voulions. En fait, c’est lui que le directeur de la maison de disques mettait sous pression : « Allez, refaisons-en un dans le même genre, et puis encore un autre… » Mais je pense que nous en étions de toute façon incapables. Si une quelconque routine commence à s’installer, Jarvis et moi allons voir ailleurs pour trouver une nouvelle inspiration. Si nous refaisons sans arrêt la même chose, nous perdons notre enthousiasme. Après, même si les rythmiques et couleurs sonores sont variées, je reconnais que c’est toujours le même genre de thèmes qui reviennent dans mes chansons : conduire une voiture, le temps qu’il fait, etc. (sourire) Cela m’évoque des émotions, tout simplement.
Dirais-tu que votre musique est la bande-son poétique du nord de l’Angleterre post-industrielle ?
(Rires) Oui, on y retrouve sans doute quelque chose de typique du nord de l’Angleterre ! Et c’est normal car c’est là que j’ai grandi, dans ces paysages industriels. Je peux y voir de la romance et de la beauté, plutôt que la saleté et la décrépitude. Je les trouve même magnifiques sous une certaine lumière. C’est sous-jacent dans tout ce que nous avons fait, simplement parce que nous venons de là.

Et être de Liverpool, c’était important pour toi ?
Dans un sens oui, parce qu’il y avait une scène importante dans les années 80 et que nous nous voyions souvent. Je connaissais très bien tous les membres d’Echo and the Bunnymen, des Teardrop Explodes, tous ces groupes de l’époque. Liverpool n’est pas une ville si grande que ça, ce n’est pas Paris, donc quand tu te promenais dans le centre, tu voyais souvent des musiciens marcher sur le trottoir d’en face.
« Oh, salut, Ian McCulloch! » On se croisait sans arrêt dans les deux ou trois rues principales. Il était facile d’identifier les gens qui faisaient de la musique à Liverpool, ça ne devait représenter qu’une vingtaine de personnes. Ceci dit, It’s Immaterial n’a jamais trop eu l’étiquette « groupe de Liverpool ». Peut-être parce que nous n’en sommes pas originaires. Moi, je viens d’une petite ville dans les Pennines, et Jarvis de la région de Stockport. La plupart des autres musiciens étaient nés et avaient grandi à Liverpool, et ça faisait quand même une petite différence, on nous appelait “wooly backs”. Mais ça ne nous empêchait pas d’être amis !
Pensez-vous sortir encore des disques sous le nom de It’s Immaterial ?
Peut-être. En tout cas, nous n’avons jamais arrêté. Ces trente dernières années, Jarvis et moi avons travaillé sur divers projets : de la musique pour des pièces radiophoniques, des productions théâtrales… Parallèlement, nous avons continué à écrire des chansons ensemble. Jarvis dirige une petite école de musique à Liverpool, et je donne de mon côté des cours à l’école d’art. Nous avions convenu que tous les jeudis, nous nous réserverions du temps pour faire de la musique dans notre studio. Nous avons donc écrit beaucoup de chansons ces dernières années. C’est amusant car nous avons mis énormément de temps pour sortir “House for Sale”, mais nous aurions déjà de quoi réaliser son successeur. Je m’interroge toutefois sur la façon de présenter ces chansons. Devrions-nous les rassembler pour en faire un album, ce qui est un processus long et fastidieux, ou plutôt les sortir les unes après les autres ? Un titre à la fois, puis, quand on en a dix, les compiler ? Sinon, l’attente d’un album peut être interminable, genre trente ans… (rires)

Et des concerts ?
Ce serait bien, mais c’est encore une autre difficulté. Jarvis et moi connaissons trois musiciens qui ont déjà joué dans It’s Immaterial et qui pourraient se joindre à nous sur scène. Mais ça demande un financement, de la préparation, des répétitions, tout ça… Donc à moins que les choses décollent suite à la sortie de l’album et qu’on nous propose de faire beaucoup de dates, ça me semble difficilement envisageable. Si c’est juste pour un ou deux concerts, ça n’en vaut pas trop la peine.
Avez-vous joué en France dans les années 80 ?
Absolument ! A Paris, Toulouse, et dans d’autres villes sans doute même si je ne rappelle plus lesquelles. C’était pour le premier album, on avait fait une tournée européenne : l’Espagne, les Pays-Bas… Mais se retrouver avec beaucoup de gens dans un petit van, ce n’est pas vraiment une vie normale ! (rires) Je me souviens qu’à Toulouse, le lendemain du concert, nous avons quitté l’hôtel, sommes montés dans le van, sommes partis… et, au bout d’un moment, nous nous sommes rendus compte que le batteur n’était pas avec nous ! Nous avons donc dû faire demi-tour et nous avons fini par le voir, marchant sur le trottoir et mangeant une baguette ou un truc de ce genre. « Mais qu’est-ce que tu fabriques ? Tu quittes la ville par tes propres moyens ? » Voilà, c’était le genre de péripéties amusantes qui pouvaient arriver en tournée, où la cohésion d’un groupe est toujours mise à l’épreuve !
Aviez-vous rencontrés des fans français ? En Grande-Bretagne, vous étiez assez populaires grâce à “Driving Away from Home”, alors que chez nous vous n’étiez appréciés que d’un petit public.
Nous avions quand même joué deux soirées de suite à Paris – je ne me souviens plus de la salle –, et les deux étaient complètes. Le public était très réceptif. Donc on peut dire que nous avions des fans en France !

Le premier album a été réédité il y a quelques années dans une version double CD très augmentée. Est-il prévu de ressortir aussi “Song”, ou de compiler vos premiers singles ?
Pour le premier album, nous avions pu récupérer les droits, mais c’est toujours Virgin qui détient ceux du deuxième et je doute qu’ils prévoient de le rééditer. C’est bien dommage, d’autant que c’est le trentième anniversaire du disque et que le nouvel album et la réédition du premier sont disponibles sur le site Burning Shed. C’est la pièce manquante de notre maigre discographie… Concernant les premiers singles, ils sont parus sur divers labels indépendants comme Eternal, dont s’occupait notre manager Pete Fulwell et qui a été distribué par WEA puis Virgin, ou Situation Two pour le EP “Fish Waltz”. Donc c’est un peu compliqué. Nous avons apprécié d’être signés ensuite sur un label plus important qui nous offrait plus de moyens pour être créatifs. Mais ça ne nous a pas empêchés de rester des esprits indépendants !
“House for Sale” et la réédition 2 CD de “Life’s Hard and Then You Die” peuvent être commandés ici.

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