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Disques

David Watson & Tony Buck – Ask the Axes

Cornemuse et percussions déterritorialisées : drones, souffles et vibrations. Une transe étonnante.

La cornemuse… Folklore celtique, Bretagne bretonnante, bardes du Sinn Fein, Bagad de Lann Bihoué…. Instrument a priori honni, à ranger dans le sac de ceux qui portent sur les nerfs avec le clavecin, le banjo, le djembé, le hang (dont Four Tet fait grand usage en ce moment)…
Pourtant lorsque David Watson, cornemuse émérite, s’acoquine avec Tony Buck, le percussionniste de The Necks (dont le dernier album « Three » est sorti en février), on est curieux de jeter une oreille. Bien nous en a pris car l’animal n’est pas un total inconnu : il a collaboré à la bande son de Cremaster 3 de Matthew Barney et il est membre du trio Glacial en compagnie de Lee Ranaldo et… Tony Buck ! En plus des collaborations avec le gratin, si ce n’est la mafia mondiale, de l’impro : Otomo Yoshihide, Zeena Parkins, Ikue Mori, Rhys Chatham, John Zorn… Un pedigree sûr. Mais tout de même. La cornemuse ????

Oubliez les appréhensions, on en sort très vite, car, sans même parler de Tony Buck, raison évidente et suffisante pour écouter cet enregistrement, la cornemuse est un instrument divin pour produire des drones fascinants. Très rapidement, on est happé par ces sons organiques qui rappellent diverses manipulations sous contrôle de logiciels. Pourquoi utiliser des machines compliquées et froides lorsqu’une vieille panse de mouton et quelques tubes en bois font l’affaire ? D’autant que, et ça frappe d’emblée, l’impact sonore et émotionnel est plus intense dans l’enregistrement live d’instruments naturels. On s’amuse à retrouver ces sonorités de glitches ou d’accidents numériques, désormais dans la base-palette commune d’une musique populaire élargie, mais avec une patine et une identité totalement différente.
Dans “Beating”, ce sont des drones qui se côtoient, s’interpénètrent, créent des phases, des sons diaphoniques ou des vibrations gutturales. La batterie de Tony Buck est tout en frottements, grondements, avec des peaux vibrantes. Puis des cymbales, diversement martelées, créent des résonances. Le jeu est métronomique, presque mécanique, puis s’amuse à se déphaser progressivement, rappelant qu’ici c’est le feeling, l’humain qui prédomine. Free jazz spirituel, transe shamanique : barde peut-être, mais plus indo qu’européen.

Dans “Exhale”, la seconde et dernière piste, c’est la caisse claire qui lance le jeu mais son but est moins de rythmer que de lancer des feulements et des souffles. La cornemuse, elle, déploie des irisations et se fait corne de brume suraiguë. Le beat devient absent-présent. Ce « roulement de tambour », pourtant si caractéristique, devient tout autre. On est dans une transe moyen-orientale lorsqu’un toucher de cymbale, ou de woodblocks revient pour saccager le bourdon et recréer une autre dynamique en désaxant l’ensemble. La cornemuse devient free, tout en appels stridents, d’orgues, de cuivres, on ne sait plus. Des sinuosités sonores s’installent à la cornemuse, lorsqu’on sombre dans un charivari rituel assourdissant.
Vers la moitié du titre, on vire dans des sonorités aqueuses, des forêts amazoniennes (des percussions seules qui deviennent ménagerie fantôme), véritablement vrillées par une cornemuse inouïe dont les sons flirtent avec des cordes frottées avec archet, ou des bois diaboliques !!! La diversité sonore est ébouriffante ! Tandis que les percus défient les limites de l’agilité humaine dans une cavalcade afro : marimba, métallophone (ou apparentés) drums & basses enfin. Le tout sur des nappes quasi d’orgues, épaisses, ondulantes, créant des harmoniques dans les aigus. Un truc de fou qui s’évanouit et retombe comme un soufflé, suivi de près par un percussionniste sûr et, évidemment, extrêmement à l’écoute.

Allez, on n’avait pas entendu quelque chose d’aussi surprenant et prenant dans la performance depuis longtemps.

Avec l’aide de Johanna D. jouez hautbois, résonnez cornemusette.


beating
exhale

“Ask the Axes” est sorti sur Besom Presse le 30 juillet 2019.

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