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Disques

Raretés confinées (5) : “Tell Me Now” d’Archer Prewitt

Ce confinement est pour beaucoup d’entre nous l’occasion de nous replonger dans quelques disques obscurs et oubliés. Et, parfois, d’y retrouver des chansons qui ont compté, et qui nous évoquent des souvenirs. Aujourd’hui, “Tell Me Now” d’Archer Prewitt (2001).

J’ai découvert “Gerroa Songs” au moment de sa sortie, en 2001. J’étais intrigué par l’histoire de cet album, son enregistrement dans un couvent prétendument hanté accroché à une falaise proche de Gerroa, un endroit assez paradisiaque de la Nouvelle-Galles du Sud, en Australie. C’est là, dans ce vaste bâtiment, qu’à l’invitation de l’ingénieur du son Tony Dupre, Archer Prewitt, accompagné de quelques musiciens locaux, a séjourné le temps d’enregistrer en live les huit titres de ce mini-album de 27 minutes. Selon les moments de la journée, entre baignades, observation des dauphins et soirées en terrasse, toutes les chansons ont été composées en cherchant à capter l’atmosphère, tantôt diurne, tantôt nocturne, du moment. Si, sur certains titres, on peut entendre des voix spectrales, la petite équipe de musiciens ne croisera cependant jamais la femme fantôme qui apparaîtrait parfois, assise sur une chaise, au bout d’un des longs couloirs sombres de la bâtisse.

Archer Prewitt (g.) et Sam Prekop (d.), le 2 juin 2018 (photo : A. Hertay)

Bien évidemment, le fait que l’album soit signé par Archer Prewitt en accentuait l’intérêt. En effet, cela fait aujourd’hui plus de vingt-cinq ans que Prewitt (né en 1963) est, avec Sam Prekop (né en 1964), l’autre moitié de The Sea And Cake. Tous deux pratiquent une pop teintée d’électronique, libre et solaire, développant depuis Chicago un travail consciencieux d’orfèvres discrets, loin du tapage médiatique. La beauté d’un album comme “The Fawn” (1997) en témoigne. Indépendamment de The Sea And Cake, ils poursuivent l’un et l’autre une carrière solo encore plus secrète que leur travail en commun : le premier album éponyme de Sam Prekop ou “White Sky” d’Archer Prewitt, tous deux sortis en 1999, sont des petites merveilles qui méritent amplement le temps pris pour les rechercher sur YouTube ou ailleurs.
Ajoutons enfin qu’Archer Prewitt est également un créateur de comics reconnu, salué notamment par le grand Chris Ware, pour sa série “Sof’ Boy and Friends”, les aventures d’un petit personnage ectoplasmique blanc, toujours joyeux, bien qu’il subisse constamment les avanies d’un milieu urbain sale et violent. Auteur aux talents multiples, Archer Prewitt est donc un artiste aussi prolifique que volontairement effacé.

 “Sof’ Boy and Friends”, n° 1, Drawn and Quarterly, 1997

Mais venons-en maintenant à la chanson extraite de “Gerroa Songs” qui nous occupe. Il aurait pu paraître évident de choisir “Another Peace of Mind”, somptueux morceau pop qui constitue le punctum de l’album. C’est pourtant plutôt au titre “Tell Me Now” que nous nous attacherons. Peut-être d’abord par choix personnel : celui-ci m’a arrêté à l’époque au point de le passer et repasser en boucle. Sa structure en deux temps, sa musicalité folk, sa seconde partie hypnotique me séduisaient et me séduisent encore aujourd’hui tout autant. D’emblée le fingerpicking évoque celui de Nick Drake, tout comme cette très belle mélodie faussement simple sur laquelle se superpose une voix élégante aux inflexions mélancoliques. S’enchaîne ensuite, en milieu de morceau, une transition oblique vers un finale instrumental rêveur, presque ambient. On pense alors aux compositions de Pullman, l’un des autres groupes de la constellation chicagoane, et à leurs albums instrumentaux pastoraux parus à la même période, “Turnstyles & Junkpiles” (1998) et “Viewfinder” (2001).

L’ombre de Nick Drake n’est pas ici fortuite. Archer Prewitt a toujours témoigné de son admiration pour l’auteur de “Five Leaves Left”.  Cette reconnaissance va au-delà des simples emprunts musicaux. Elle renvoie pour Prewitt a une posture et une attitude artistiques : ne pas chercher la sympathie et l’attention de l’auditeur en larmoyant ou en criant comme beaucoup le font, mais plutôt se tenir dans un juste retrait, une humilité et une distance qui laissent venir celui-ci à la chanson sans le forcer. « This distance is the place I want to be lyrically. I’m not about revealing too much. I’m more about offering up », a pu dire Prewitt en évoquant ce que son travail devait à Nick Drake. Et ce dernier est peut-être finalement le véritable fantôme des “Gerroa Songs”, celui qui apparaît ici et là dans ce bel album dont il inspire l’une des plus belles chansons.

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