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En Attendant Ana : « Les contraintes de temps et d’argent peuvent avoir du bon »

Deux ans après un premier album prometteur, “Lost and Found”, En Attendant Ana revient avec “Juillet”, un disque tout aussi énergique et engageant mais à l’écriture plus solide, aux compositions plus contrastées et à la production plus affûtée. Si le quintette parisien pourra difficilement échapper à des comparaisons avec une flopée de groupes indie à guitares, anciens ou plus récents, il parvient sans peine à affirmer sa singularité, à travers notamment la voix à la fois puissante et agile de Margaux Bouchaudon et à la trompette virevoltante de Camille Fréchou. Quelques heures avant un concert complet et triomphal à la Boule noire, nous nous sommes enfermés dans une loge pour parler de ce deuxième album, de leurs souvenirs de tournée américaine et de leur sens de la débrouille. Conversation à plusieurs voix avec un groupe foncièrement attachant, qui ne se prend pas trop au sérieux mais qui a une idée bien précise de la musique qu’il veut faire.

Votre deuxième album “Juillet” est plus varié, personnel et abouti que le précédent. Cela vous semble une évolution logique du groupe ?
Adrien Pollin (batterie) : On n’a pas vraiment eu plus de temps pour le faire, mais c’est vrai qu’on a plus travaillé en amont de l’enregistrement.
Margaux Bouchaudon (chant, guitare, clavier) : Le principal changement qu’il y a eu dans le groupe, c’est l’arrivée de Maxence en novembre 2018. Au-delà de ça, on a fait en sorte que les morceaux soient assez différents les uns des autres, on a prêté beaucoup d’attention aux structures, à la place de chaque instrument…

Certains morceaux de l’album avaient déjà été beaucoup joués sur scène.
Margaux : Quelques-uns, oui. Le premier titre, “Down the Hill”, est sur nos setlists depuis la release party du premier album.
Camille Fréchou (trompette, guitare, chœurs) : Le dernier, “The Light That Slept Inside”, est un peu plus récent, mais ça fait quand même près d’un an qu’on le joue.
Margaux : Sans oublier “Rocky”… dont le vrai titre est “Somewhere and Somehow” et qui date de l’arrivée de Maxence.
Maxence Tomasso (guitare, chœurs) : On l’appelait comme ça parce qu’il y a de “gros” accords !

Sur “Down the Hill”, qui ouvre donc l’album, le chant arrive presque dès la première seconde, ce qui n’est pas forcément habituel. Il y avait une volonté d’entrer tout de suite dans le vif du sujet ?
Margaux : Ça vient de la tournée qu’on avait faite aux Etats-Unis. Normalement, ce titre était placé plus loin dans le set, et dès le premier concert, à Chicago, on a décidé de le jouer au tout début. Ça donnait l’impression d’arriver tous d’un coup, et donc plus d’impact. Au moment de faire le disque, on s’est dit qu’on allait aussi la placer en ouverture pour reproduire un peu cet effet.

Vous avez mis beaucoup de temps à élaborer le tracklisting ?
Tous : Oh oui ! (rires)
Margaux : Comme on le disait, “Down the Hill”, qui ouvre l’album, et “The Light That Slept Inside”, qui le referme, sont des morceaux parmi les plus anciens, qui partagent un état d’esprit similaire et qui se répondent. Et on voulait une évolution dans les textes au fil du disque. Donc on s’est bien pris la tête pour l’enchaînement des morceaux ! (les autres acquiescent) On a aussi fait attention à avoir deux faces de vinyle équilibrées. On y a beaucoup réfléchi et on les trouve très différentes, en définitive. On voulait aussi alterner un peu les morceaux où Camille joue de la trompette et ceux où elle est à la guitare pour qu’il y ait du contraste.

On vous a beaucoup comparés à des groupes indie pop récents ou plus anciens. A un moment, avez-vous craint que certains puissent vous réduire à une simple somme d’influences ?
Maxence : Ça dépend de quelles influences on parle, certaines sont plus flatteuses que d’autres ! En fait, on écoute tous des choses assez différentes. On s’était amusés à faire une compile sur Spotify avec des chansons qu’on aimait et c’était plutôt varié, même si on se retrouve bien sûr sur beaucoup d’artistes. Je ne pense pas qu’on ait jamais conçu un morceau en cherchant à ressembler à un autre groupe, bien que ça puisse évidemment être le cas à l’arrivée. En tout cas, ce n’est pas l’impression que j’ai avec cet album. On ne s’est pas dit : tiens, ce morceau sonne comme tel ou tel artiste, c’est cool.
Margaux : Bon, on a quand même une chanson qu’on appelle entre nous “The Organ”, et une autre “Electrelane” !
Maxence : C’est parce qu’il y a des timbres qui nous y ont fait penser après coup, mais c’est juste pour rire. A l’arrivée, ça n’a pas grand-chose à voir.
Adrien : Le morceau “Electrelane”, il sonnait plus comme Noir Désir au tout début ! (rires)
Maxence : C’est vrai, j’avais oublié…
Margaux : Au fond, ça ne me dérange pas qu’on nous rapproche d’autres groupes qu’on aime bien. Comme quand on me parle d’un artiste que je n’ai jamais écouté et qu’on le compare à un autre pour que je me fasse rapidement une idée.

C’est aussi une question de traitement médiatique. Un journaliste qui a peu de place aura tendance à donner quelques noms en référence pour que les lecteurs voient tout de suite de quoi il parle.
Margaux : Le Velvet Underground est parfois encore cité dans notre cas, par exemple, alors que ce qu’on fait ne ressemble pas vraiment à leur musique.
Maxence : Pareil avec les groupes type C86, ça revient à chaque fois alors que je n’en ai quasiment jamais écouté.
Margaux : Moi, je connais à travers les compiles, mais je ne me suis jamais dit qu’il fallait absolument qu’on s’inscrive dans cet héritage.

« Je ne pense pas qu’on ait jamais conçu un morceau en cherchant à ressembler à un autre groupe, bien que ça puisse évidemment être le cas à l’arrivée. » (Maxence)

Une question pour Camille à propos de la trompette. L’instrument peut justement faire penser à des groupes indie pop de cette époque comme les Pale Fountains, June Brides, Brilliant Corners, ou à d’autres plus récents comme Camera Obscura. Mais le traitement me semble assez différent sur ce nouvel album, notamment sur “Words” où la trompette se mélange à de l’électronique.
Camille :
Elle est plutôt pensée comme une seconde voix. Certaines idées sont venues lors de l’enregistrement, ce n’était pas vraiment réfléchi.
Margaux : Effectivement, les effets sur la trompette, comme sur les guitares, ont été surtout créés en studio, on n’avait pas trop la possibilité de travailler ça en amont. On a en tout cas essayé de ne pas la placer de la même manière que sur “Lost and Found”.
Camille : C’est vrai que je l’ai utilisée différemment, et qu’elle est plus présente. On la distingue mieux aussi, elle occupe plus de place. Tout en semblant par moments plus lointaine… On a joué avec ça.
Margaux : Camille et moi, on fait de la musique ensemble depuis longtemps. Parfois, la trompette arrive dans la composition d’un morceau avant même les autres instruments, avant que la structure définitive soit trouvée. La voix et la trompette peuvent se mélanger, mais on ne voulait pas que ce soit systématique, il y a des morceaux où elle est moins présente, voire absente. On ne voulait pas en mettre partout comme un simple arrangement, sinon ça aurait perdu de son intérêt. C’était pas : le morceau est terminé, hop la, on va foutre un petit coup de trompette…

L’album a été enregistré en une semaine, produit par Vincent Hivert et Alexis Fugain du groupe Biche. Aviez-vous la volonté de garder une certaine spontanéité, un côté live, ou est-ce simplement une question de budget ?
Adrien :
Ce sont des raisons classiques : en effet on n’avait pas beaucoup de thume pour enregistrer, et pas beaucoup de temps car on bossait à côté. Et troisièmement, pour le côté “live”, Antoine à la basse et moi n’avions pas les compétences pour enregistrer les rythmiques au kick… euh, pardon, au clic ! Donc on n’avait presque pas le choix, en fait. (rire général)
Maxence : Ces contraintes de temps et d’argent peuvent avoir du bon. Ça évite de vouloir tout refaire, de se dire qu’on pourrait encore ajouter un synthé ou je ne sais quoi au risque de perdre de vue l’intention de départ. Il vaut mieux avoir l’esprit hyper clair et aller à l’essentiel, sinon ça peut devenir une sorte de gloubi-boulga.
Adrien : On a tous eu droit à trois prises seulement, on gardait la meilleure.
Maxence : A un moment, il faut se dire que c’est terminé, et de toute façon c’est comme ça, on ne va pas revenir dessus. Je trouve ça intéressant.
Margaux : Moi aussi. Même le temps de composition a été limité car on travaillait tous à côté, on n’était pas toujours disponibles…
Maxence : Et on devait rendre l’album au label pour août.
Margaux : Oui, enfin c’est surtout nous qui nous sommes fixé une deadline. On avait commencé à travailler sur les compositions de l’album en janvier et on voulait que ce soit terminé en mai. Ça nous a laissé un mois, un mois et demi pour les roder à fond avant de les enregistrer.

Comme le précédent, l’album sort sur le label de Chicago Trouble in Mind. Comment s’est établi le contact avec eux ?
Camille : Alors qu’on venait de recevoir les masters du premier album, ils nous avaient envoyé un message sur Facebook pour nous dire qu’ils aimaient bien notre EP et nous demander si l’on travaillait sur autre chose. Ça s’est fait comme ça.
Margaux : Ça tombait bien ! Finalement, “Lost and Found” est sorti aux Etats-Unis quatre ou cinq mois après la France. Et on a tout de suite envisagé une collaboration sur le long terme.
Antoine Vaugelade (basse, remplacé par Vincent Hivert depuis) : Je crois que ça s’est fait via le label Nominal Records, dont s’occupe un Canadien qui vit en Suisse. Notre premier EP était d’abord sorti en cassette et il l’avait réédité en vinyle. Il avait des contacts avec les radios indépendantes américaines type WFMU, et je pense que c’est comme ça que Bill et Lisa Roe, le couple qui a fondé Trouble in Mind en 2009, nous ont découverts.
Margaux : Je ne sais plus si c’est par ce biais ou si c’est un type sur Twitter qui a parlé de nous.
Camille : En tout cas, Bill est toujours à l’affût de nouveautés, il écoute beaucoup de choses.

C’est ce qui vous a permis de tourner aux Etats-Unis ensuite ?
Margaux : Oui, c’est Lisa qui avait booké la tournée, elle l’a aussi fait pour l’Angleterre où on va bientôt. On partageait l’affiche avec le groupe Ethers, qui jouent avant nous pour la release party ce soir et qu’on est très heureux de retrouver.

Généralement, quelles sont les réactions quand vous tournez à l’étranger ?
Margaux :
On te dira ça quand on sera rentrés d’Angleterre, là-bas on va peut-être jouer devant des gens qui ne nous connaissent pas !
Camille : Aux Etats-Unis, deux fans nous suivaient. Enfin, ils étaient au concert de Boston et on les a revus à la date suivante…
Adrien : On a reçu un super accueil aux Etats-Unis. Ça faisait vraiment plaisir.
Antoine : Je trouve qu’il y a moins de distance entre le public et les artistes. Après le concert, les gens viennent te parler spontanément.
Adrien : Une ou deux fois, on a fait un appel au micro pour demander à être hébergés pour la nuit, et des spectateurs se sont tout de suite proposés.
Margaux : On se sentait plutôt bien même si on a parfois joué devant peu de monde.
Camille : Mais même s’il n’y avait que trois personnes, elles étaient toujours concentrées et respectueuses. Et l’ambiance était vraiment chaleureuse.

« Aux Etats-Unis, deux fans nous suivaient. Enfin, ils étaient au concert de Boston et on les a revus à la date suivante… » (Camille)

Le fait d’être un groupe français, ça avait un côté un peu exotique pour eux ?
Camille : Carrément !
Margaux : Les gens ne comprenaient pas trop qu’on chante en anglais…
Camille : Ils étaient étonnés : vous habitez Paris, qu’est-ce que vous faites dans l’Ohio ? (rire général)

C’est amusant de sortir en plein hiver un disque intitulé “Juillet”… Que vouliez-vous exprimer à travers ce titre et cette photo de pochette ?
Margaux :
Vas-y, Adrien, tu l’expliques super bien.
Adrien : Non, je l’ai explique une fois, bourré, c’est tout. (rires)
Margaux : Bon, alors essaie sobre, cette fois-ci.
Adrien : “Juillet”, c’est les vacances – du moins en France – et la nostalgie que ça peut inspirer. C’est aussi comme la fin d’un cycle et le début d’un autre : c’est le milieu de l’année, on est en haut de la boucle et on sait que les mois qui viennent vont être le négatif de ceux qui se sont écoulés. On s’achemine vers l’automne, puis l’hiver. Au-delà de ça, tout simplement, on a enregistré une semaine en juillet. Des moments très précieux, où on était toujours ensemble car on logeait au studio. Il y avait un petit côté magique, mais donc déjà teinté de nostalgie.
Maxence : Un mois, c’est très évocateur. On trouvait qu’un mot simple de la langue française comme ça était beaucoup plus marquant qu’une longue phrase ou même qu’un mot en anglais. Et on trouvait assez chic le fait que le nom du groupe et le titre de l’album soient en français alors que les textes sont en anglais. D’ailleurs, les Anglo-Saxons ont beaucoup de mal à prononcer ce titre !
Margaux : Et ils l’orthographient mal, ils l’écrivent “Juliet”, comme le prénom ! (rires) Pour ce qui est de la pochette, elle a été réalisée le dernier week-end de juillet alors qu’on avait enregistré la première semaine. Il faisait encore très beau et on voulait une lumière de fin de journée, un peu jaune. On a donc passé tout le week-end à construire une sorte de cabane, remplie d’objets qui nous appartiennent et qui signifient quelque chose pour chacun de nous. Un endroit réconfortant, dans laquelle on se sent bien.. Il y a plein de petits trucs cachés, en rapport avec le dos de la pochette [où chaque titre de morceau est associé à un objet, NDLR]. On a peint, posé du papier peint, très mal…
Maxence : … et en plein cagnard !
Margaux : C’est fait avec du placo, on ne se rendait pas compte que ça pesait des tonnes et que ce n’était pas stable. On avait pensé à un système pour faire tenir les planches mais ça ne fonctionnait pas, donc en fait elles s’appuyaient sur des râteaux ou étaient assemblées avec du gaffer… Juste après avoir pris la photo, tout s’est écroulé et les plaques se sont cassées en deux.
Adrien : On a souvent de la chance et cette séance de prises de vues en a été la parfaite illustration ! Le ciel était un peu voilé et les nuages se sont écartés juste au bon moment. Aucun de nous n’est photographe professionnel mais on en a tous pris des photos en espérant qu’il y en aurait quelques-unes de bonnes.
Margaux : Du coup, je ne sais même pas de qui est la photo qu’on a utilisée… (il s’agirait de Camille, selon la discussion un peu embrouillée qui suit).
Maxence : A une demi-heure près, on n’avait pas de pochette.
Margaux : On avait un plan B : une pochette noire avec un gros B.

On retrouve cet aspect DIY et artisanal, et aussi ce côté “bande” ou “gang”, dans les deux clips qui accompagnent l’album, “Words” et “In/Out”. Pouvez-vous nous raconter leur conception ?
Margaux : On fait toujours les trucs un peu à l’arrache, même si on a des idées super précises qu’on arrive à concrétiser. On se débrouille avec les moyens du bord, en sollicitant nos amis. “Words”, on l’a tourné dans le salon d’Adrien, qui n’était pas très rassuré puisqu’on se jette les uns sur les autres, non pas de le peinture comme on pourrait le croire, mais du liquide vaisselle et du colorant alimentaire…
Adrien : On est plusieurs à avoir chopé des plaques rouges sur la peau, après.
Margaux : On avait mis des bâches en plastique par terre, c’est vite devenu une patinoire.
Camille : Dans la vidéo, on nous voit rigoler, mais j’en avais franchement marre à la fin !
Maxence : En plus, j’avais fait la fête la veille et j’avais une gueule de bois abominable.
Adrien : Ceci dit, à 21 heures c’était plié, on est allé boire une bière au bar d’en face pour fêter ça.
Margaux : Le clip pour “In/Out” a quant à lui été tourné en Super-8 dans les rues de Bruxelles, avec le père de Camille qui nous filmait et une deuxième caméra qu’on tenait à tour de rôle. Ça n’a duré que 45 minutes, ceci dit on n’avait que quatre bobines, de quoi tourner 12 minutes de film. Le meilleur rapport qualité/prix pour un clip !
Adrien : On a les idées de départ, mais les clips doivent beaucoup à ceux qui les ont réalisés et montés, avec une grande efficacité.

Comment envisagez-vous la suite ?
Margaux : On va déjà tourner, un peu partout en France, une semaine en Angleterre et peut-être plus tard aux Etats-Unis. Il y a des morceaux du nouvel album qu’on n’a quasiment jamais joués en public, et on a hâte. On commencera ensuite à penser à l’album suivant. Même si la méthode de travail était à peu près la même, “Juillet” a été fait dans des conditions un peu plus professionnelles que le précédent : un meilleur matériel, une vraie production, la possibilité d’essayer des choses en studio, la présence de Vincent qui fait notre son depuis longtemps et qui nous a expliqué quelques trucs… Ça nous a beaucoup plu à tous et ça nous a donné des idées pour la prochain album.
Maxence : On veut s’amuser, surtout, se renouveler, mettre des idées en pratique. Je pense qu’on peut trouver des pistes intéressantes pour aller encore plus loin.

Photos : Chloé Lecarpentier.

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