Arrêtez tout ! Quittez Instagram. Décrochez de Netflix. Abandonnez votre smartphone (enfin, sauf si vous l’utilisez pour lire cet article). Délaissez ces outils modernes d’asservissement car le moment est d’importance et le choc est grand. En effet, nous sommes ici en présence d’un des disques majeurs de ce début d’année, voire de l’année tout court. Il est l’œuvre du jeune trio strasbourgeois Sinaïve. Ce groupe, formé en 2016, est composé de Calvin Keller à la guitare et au chant, Alaoui O. à la basse et Leo Heitz-Godot à la guitare et aux machines, une vingtaine d’années chacun. Il avait déjà accroché notre oreille avec ses deux premiers EP sortis en 2018 et 2019. Mais là, avec son premier album, on est totalement conquis.
Le premier EP intitulé “Poptones” séduisait déjà par son psychédélisme bruitiste, répétitif et étiré à la Spacemen 3. Avec “Tabula Rasa”, le deuxième, le son se teintait de shoegaze, la voix souvent couverte par la guitare, comme sur “Vilain, vilain”. La présence tutélaire de My Bloody Valentine était alors patente. Malgré leurs qualités, ces deux premières sorties laissaient transparaître des influences trop évidentes, des coutures trop apparentes. Elles ne préparaient pas au choc que constitue ce premier album, toujours autoproduit comme les précédentes œuvres, toujours sans maison de disques.
Déjà, commençons par l’objet en lui-même, un CD dans une pochette cartonnée marron au timbre exotique – différent pour chaque exemplaire, apparemment – où ne figurent que les adresses mail et postale (même si « Quartier Gare », c’est plutôt vague…) du groupe. A l’intérieur, une photo type Polaroid où apparaissent de dos les trois musiciens à genoux, les mains sur la tête, en référence aux lycéens de Mantes-la-Jolie qui avaient été interpellés dans ces conditions en décembre 2018. La preuve d’une conscience politique aiguisée du trio comme l’a encore démontrée sa participation récente, à Strasbourg, à un concert de soutien à la grève contre la réforme des retraites. Quant aux paroles, elles se trouvent sur un papier en origami qu’on ose à peine déplier par crainte de ne pouvoir le replier. Le décor est planté.
Mais rien ne prépare à la déflagration musicale qui va nous tomber dessus. Dès les premières secondes de “Sinaïve (#13)”, le morceau d’ouverture de l’album, on est saisi par cette guitare abrasive, tonitruante et fière qui nous scotche sur place pendant qu’une boîte à rythmes marque un rythme simple et soutenu. La guitare ne cesse que pour laisser la place à un chant, en français, qui flotte au loin. Les deux, guitare et voix, finissent par se mêler quand approche le terme du morceau. Quand celui-ci se termine, on est déjà bien secoués.
Ce n’est pourtant pas fini. Avec “Élégie (mur du son)”, le morceau suivant, la guitare se fait plus stridente et la rythmique plus tendue, avec une basse souterraine qui marque la pulsation et un chant détaché. L’ensemble donne un rockabilly désincarné à la Suicide, mais en plus évanescent. Ensuite, “Mizutani” (sans aucun doute une référence au mystérieux musicien japonais Takashi Mizutani, membre fondateur des mythiques Rallizes Dénudés, auxquels on pense plus d’une fois à l’écoute de Sinaïve), à l’aide d’une boîte à rythmes métronomique, de quelques notes de basse et d’une voix lointaine, apparaît plus robotique, jusqu’à ce qu’une grosse guitare bien abrasive débarque et emporte tout sur son passage. Avec ce trio, on ne sait jamais à quoi s’attendre. La preuve avec “Révélation permanente” où une guitare saturée d’effets et une voix en arrière-plan nous entraînent dans un rythme dansant et enivrant qui finit par nous hypnotiser. Une hypnose également de mise pour “Esclave est maître”, longue divagation dub agrémentée d’un solo de guitare à la pédale wah-wah de près de deux minutes, l’instrument achevant la chanson noyé dans la distorsion.
La voix intervenait peu sur ce titre. Le suivant baptisé “(Vous serez les) témoins” offre en revanche le plus long texte de l’album. C’est sans doute pour cela que la voix est plus en avant mais, comme pour les précédents, nous sommes complètement emportés par le rythme, par ces chœurs qui ne sont pas sans évoquer le “Sympathy for the Devil” des Rolling Stones. Pour finir, “Velours amour”, avec son groove pernicieux, son orgue et son chant à la Damo Suzuki (chanteur du groupe allemand Can), nous transporte en d’autres temps, d’autres lieux où l’atmosphère apparaissait plus libre et permissive.
La description de chacune des sept chansons est nécessaire tant on est impressionné par cette maîtrise, cette diversité et, en même temps, cette cohérence sur ce premier long format de Sinaïve. La maîtrise est certaine, le groupe a fini par faire siennes les influences qui transparaissaient encore sur les deux premiers EP. Le trio strasbourgeois a construit sa propre identité et on est emporté dans cette vague électrique qui nous submerge totalement. A un moment, sur la chanson « “Sinaïve (#13)” précisément, Calvin Keller affirme que « Sinaïve reconnectera les siens ». Qu’il sache alors que nous sommes complètement connectés.
Sinaïve (#13)
Élégie (mur du son)
Mizutani
Révélation permanente
Esclave est maître
(Vous serez les) témoins
Velours amour
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