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Disques

A Girl Called Eddy – Been Around

Etre fan d’Erin Moran, alias A Girl Called Eddy, exige une certaine patience, pour ne pas dire une patience certaine. Depuis 2004 et la sortie d’un premier album sans titre encensé par la critique, produit par un Richard Hawley pas encore consacré comme crooner suprême, l’Américaine s’était faite extrêmement discrète. Fin 2018, surprise : la voilà qui réapparaît en compagnie du Français guère plus prodigue Mehdi Zannad sous le nom de The Last Detail. Si cette collaboration déclinée sur un album et un EP s’avérait indéniablement brillante, elle donnait aussi et surtout envie de retrouver de nouveau Erin seule aux commandes, sous son nom de scène. Cette très longue attente s’achève enfin, et ne tournons pas plus longtemps autour du pot : “Been Around” est bien le chef-d’œuvre qu’on était en droit d’espérer, et le baume qui permettra de supporter ce début d’année tout sauf réjouissant.

Le risque avec les disques qui ont beaucoup mijoté (peut-être pas quinze ans dans le cas qui nous occupe, mais sans doute longtemps, au moins dans la tête de son auteure qu’on imagine ultra-perfectionniste), c’est qu’ils soient servis trop cuits, ayant perdu tous leurs arômes et toutes leurs vitamines. Ce n’est heureusement pas le cas ici. Bien sûr, “Been Around” ne sonne pas vraiment comme un brûlot garage-punk né dans l’urgence, ce qui n’est de toute façon pas le genre de la maison. Mais il n’est pas non plus de ces œuvres dont les auteurs semblent avoir oublié en cours de route pourquoi ils tenaient tant à le mener à terme. Tout ici éclate de fraîcheur et d’envie.


La première qualité de “Been Around” c’est sans doute son caractère atemporel. Comme Weyes Blood ou Drugdealer l’an dernier, ou Joan as Police Woman il y a quelques années, Erin Moran n’a pas cherché à donner des gages en tentant de coller au son du moment – lequel, d’ailleurs ? Ce deuxième album aurait pu sortir deux ou trois ans après le premier, ou, à quelques détails près, dans les années 70 ou 80. Pas d’AutoTune – une chanteuse de cette classe n’en a vraiment pas besoin –, pas de déconstruction electro, pas de clins d’œil hip-hop ou r’n’b. Les références sont plutôt à chercher du côté du songwriting sophistiqué de Burt Bacharach, Carole King, Laura Nyro ou Rickie Lee Jones, avec quelques incursions sur les terres sunshine pop de Curt Boettcher ou Roger Nichols. Du classique, le type de chansons qu’auraient pu interpréter en leur temps les Carpenters ou Everything But the Girl. On signalera aussi que le morceau le plus rock (tout est relatif…), “Someone’s Gonna Break Your Heart”, rappelle à la fois le meilleur des Pretenders – c’est même un hommage revendiqué à Chrissie Hynde – et les titres des New Pornographers chantés par Neko Case. Enfin, pour en finir avec le petit jeu des références, le disque fait plus d’une fois penser à Prefab Sprout – “Jody”, qui par ailleurs n’est pas sans rappeler également Steely Dan, offre même, à 3 minutes et quelques secondes, un passage où l’on jurerait entendre la voix séraphique de Wendy Smith.


S’il est plus richement arrangé, avec notamment la présence de cuivres et des chœurs soul sur de nombreux morceaux, et plus rythmé que son prédécesseur qui était pour l’essentiel une collection de ballades intimistes, “Been Around” distille la même mélancolie. C’est ce qui en fait bien davantage qu’un impeccable exercice de style rétro à l’américaine, plein de belles trouvailles mélodiques et harmoniques et joué à la perfection.
Les textes, d’une nostalgie déchirante, peuvent se lire comme la chronique douce-amère des quinze dernières années de la vie d’Erin (“Been around enough to trace the years upon my face”, sur le morceau-titre en forme de portrait), avec des réminiscences plus lointaines (“Ghosts of a teenage summer”), entre New York et la Californie. Amis perdus de vue (“Jody was a friend of mine/I miss him so”), amours impossibles (“If I can’t find a way to win your love/I’ll wait for you”), nécessité de s’endurcir (“I thought I was but maybe I’m not that sentimental anymore”), difficulté à s’extraire du passé (le bouleversant “Charity Shop Window”, comme une nouvelle de quelques lignes)… Les mots sonnent ici aussi juste que les notes, portés par une voix sublime capable de faire passer toutes les émotions sans jamais s’appesantir.
On tient peut-être déjà là le plus bel album d’une année qui ne fait pourtant que commencer. Oui, vraiment, cela valait la peine d’attendre.

Been Around
Big Mouth
Jody
Charity Shop Window
Someone’s Gonna Break Your Heart
Not That Sentimental Anymore
Two Hearts
Lucky Jack (20-1)
Come to the Paslisades!
Finest Actor
NY Man
Pale Blue Moon

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