On était un peu en froid avec Phil Elwerum, la « Clear Moon » de miel avait pali. On avait été dévasté par le décès de son épouse, Geneviève, dont on appréciait tant les disques (écoutez « Courses », le dernier…), les illustrations (un dessin d’elle trône au-dessus de notre lit) et la personne, qu’on avait croisée à plusieurs reprises. « A Crow Looked at Me », album de deuil, était si difficile à écouter… Tant et si bien que quand Monsieur Elwerum s’est mis à faire la une des tabloïds américains lors de son remariage avec une starlette de New York, un an après, on n’a pu s’empêcher de crier à la trahison. Pouvions-nous reconnaître le chantre du vent, des montagnes (SA Montagne), de la solitude, de la discrétion dans les journaux de Mamie ? Un coup à la Dylan virant sa cuti à l’électrique. Judas, trahison, on connait la chanson. Je n’ai pas voulu écouter « Now Only »… Et j’étais presque prêt à ne plus vouloir entendre le moindre disque de la petite entreprise PW Elwerum & Suns.
Oui, mais voilà, Phil donne une suite à « Lost Wisdom » enregistré avec Julie Doiron, dix ans plus tôt. Et évidemment, on fond. C’est qu’on l’a furieusement aimé ce « Lost Wisdom ». C’est peut-être même notre préféré du garçon (toutes périodes confondues) et de l’éternelle jeune fille. Et tout est pardonné. Allez, enfonçons le clou à mi-chronique, « Lost Wisdom Pt. 2 » surpasse même le premier.
On retrouve la même magie de deux voix en accord parfait, instruments chauds sur voix blanches qui sont véritablement présences. Ces voix imparfaites, toujours en équilibre précaire, avec cette musique toujours sur les ruptures de ton et de rythme ici ou là, ces titres qui s’abiment en longueur, ou finissent abruptement et qui vivent de leur vie propre tels des pages de journaux intimes.
Contrairement aux Mount Eerie d’avant la tragédie, on y trouve une délicatesse et une légèreté peu commune pour un répertoire plutôt ombragé et Phil s’y livre peut-être comme jamais. Un deuil qui s’estompe (un peu) dans la rupture d’une relation mal engagée pour ne pas dire impossible, un Phil perdu entre deux abîmes, entre les deux côtes, NYC et le Mount Eerie (« Enduring the Waves »). Et une petite fille orpheline au milieu. Pas simple, mais dans ce gâchis, on trouve même des traits d’humour sur cette relation aussi sincère que presque ridicule. Et la présence de la vieille copine Doiron illumine tout.
On est prêt, « Désormais », à tout croire (« Belief »). Et à retrouver la lumière, que ce soit par un accord de piano aigrelet, ou le surgissement noise introduit par une batterie pleine d’écho hyper présente. On est prêt à accepter ce nouveau credo, « Love Without Possession, avec la voix brisée de Julie jusqu’à l’épiphanie de l’orgue et au final lourd et charbonneux. Dire qu’on pense à Simon Garfunkel, et même mieux, aux Kings Of Convenience, c’est l’évidence. Et on est prêt, à ramasser Phil, une fois de plus à la petite cuillère le jour de la fête des mères, sur un « Widows »d’anthologie, avec des éclats punk digne des Microphones ou de l’écoute adolescente d’Eric’s Trip, feu la formation de Julie.
Pour autant, « Lost Wisdom Pt. 2 » est lumineux et léger, plus même que le premier, comme si le malheur avait régénéré Phil Elwerum. On pense à Nick Cave, dans un registre plus grandiloquent, avec son « Ghosteen ». Si on croyait au bouddhisme, on pourrait imaginer que ces deux-là ont flirté avec leur malheur avant que celui-ci ne leur tombe franchement sur la tronche. On ne remue pas certaines énergies en vain sans un gros retour de karma dans le shawarma…Et bien sûr, Julie est simplement magique. Elle est aussi passionnante et attachante que sur « Goodnight Nobody » (le disque, les tournées) avec Herman Düne… il y a plus de quinze ans ! C’est la grande sœur tutélaire, celle qui se met à la hauteur de ses camarades pour les épauler (la réciproque était diablement vraie : Herman Düne encore !). Ici elle se glisse dans les textes d’Elwerum, lit les citations (de Joanne Kyger), le seconde, comme une guitare rythmique (l’électrique ?), une âme sœur.
Notons aussi que dans ce disque de peu, hyper frontal (les voix, les guitares), toutes les ponctuations sont divinement efficaces comme cet espace presque irréel donné par la batterie qui apparait par moments.Oui, ce disque est miraculeux. C’est l’apaisement, c’est l’amour encore et toujours (« Belief pt. 2 »).
Quant à la photo de la pochette, elle m’évoque encore une fois « Le Miroir » de Tarkovski, tout comme celle de « Lost Wisdom », dessinée, 10 ans auparavant. Rappelons que « Le Miroir » est, aussi, une ode à la mère, à la femme. Karma caméléon, disait-on. On ne peut que brûler de vous le recommander.
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