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Big Thief – Two Hands

Big Thief - Two Hands

« Two Hands » est un disque de jouvence, l’œuvre juvénile et rajeunissante d’un groupe en pleine maturité. Ses membres jouent comme au premier jour, comme émerveillés de découvrir la musique qui naît de leur rencontre, habités par l’enthousiasme et le sérieux des commencements. C’est pourtant leur 4e album, et même leur deuxième cette année, après « U.F.O.F. », subtil et acclamé, tendance folk-rock maîtrisé. Mais avec « Two Hands », Big Thief passe du feu de bois au brasier.

C’est d’abord une affaire de son : un enregistrement en prise directe (quelques retouches et pistes supplémentaires seulement), des instruments sans fioritures et comme au plus près d’un unique son nu, qui souligne par contrecoup l’inventivité de leur jeu. Hors solos hérissés de larsen, les guitares tout au long du disque emmaillotent accords et arpèges d’une distorsion légèrement pelucheuse, la basse ronde nourrit les mouvements de l’ensemble, et c’est la voix d’Adrianne Lenker qui les guide – toute en avant, adolescente, pressée, libre et souveraine jusque dans ses approximations. Mais peut-être est-ce la batterie de James Krivchenia (également en charge du mix) qui est décisive : enregistrée dans sa gangue de réverbération, elle magnifie ce qui ailleurs serait faute de goût – des cymbales un peu métalliques, aux contours sonores flous, un caisse claire prise au plus près, une grosse caisse qui bave et, le temps de son imprécision, suspend et syncope le jeu, achevant de donner à l’album son atmosphère de répétition du début des années 1990.

Mais si « Two Hands » peut être considéré comme la vérité de toutes les cassettes homemade de cette décennie et leur justification, c’est parce qu’il en est la transfiguration, et cela tient aussi aux choix sûrs qui le parsèment. On croit redécouvrir la magie du mariage entre arpèges acoustiques et accords électriques, on se love dans les soupirs et les silences de tel ou tel instrument, on goûte la simplicité d’un break de batterie, l’à-propos d’une incartade de basse, et même l’enthousiasme un peu bavard qui fait chanter une phrase de plus, sonner un accord supplémentaire, repartir sur un autre refrain. Il y a enfin ces divines failles que l’on n’entendait plus guère : une voix qui s’étrangle sur les hauteurs, un sanglot de rage, une basse qui ronfle et sature sur un glissando. De sorte que la musique paraît à la fois prise dans un élan infini et sur le point de s’arrêter.

Cette apparente instabilité, savamment dosée, est rendue plus sensible encore par la puissance de compositions aux mélodies évidentes, aux textes inspirés, précis et aux arrangements subtils – il ressort de l’ensemble l’impression que la grâce peut surgir à chaque seconde et saisir d’autant plus violemment qu’elle s’effacera dans l’instant. Et si « Not » est sans doute le centre du disque, malgré la qualité de titres comme « Two Hands » ou « Shoulders » par exemple, c’est parce qu’elle persiste, tout au long de ses six minutes, dans le miracle prophétisé par les titres précédents, et dont les suivants ne pourront être que l’écho apaisé. Il fallait sans doute tout un album pour faire entendre cet hymne-là.

« Two Hands » fait rejaillir le feu de formes et d’instruments qu’on croyait trop vieux – comme si malgré tout, malgré l’histoire de la musique des vingt dernières années, malgré l’épuisement de l’écoute, malgré la fatigue de nos oreilles usées par des gimmicks et des sonorités indie sans cesse reconvoqués, c’était seulement dans l’alliance de ces trois instruments et d’une voix à vif que pouvaient se dire la colère et l’émotion – à moins que ce ne soit l’inverse, et que seules celles-ci puissent véritablement faire entendre ceux-là. Ni album « post » ni revival, « Two Hands » fait sentir l’intemporalité de tout ce qui fusionne dans son creuset, et c’est en cela qu’il tient du classique. Pas mal pour une œuvre de jeunesse.

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