Quand, six mois auparavant, les places du concert automnal de Bill Callahan sont mises en vente, on n’hésite pas une seule seconde. Même au prix prohibitif de 400 couronnes suédoises, tarif assez habituel de la salle (dans laquelle on a vu, notamment, une autre star du songwriting, version outremanche et comique troupier, Elvis Costello) mais tout de même assommant. On comprendra plus tard, sans doute, l’autre raison, la vraie, en écoutant, lors de sa sortie, « Sheperd in a Sheepskin »: le coût (coup de bambou) des couches-culottes pour notre jeune papa papy, Bilou, enfin marié, enfin heureux et, en famille.
Car, finalement, c’est tout le problème. Non pas la paternité mais le bonheur chez Bill Callahan. Ce soir-là, mais c’est sans doute vrai pour toute la tournée, Bill est heureux d’être là, de jouer pour un public nombreux, béat, aux anges. Et qui plus est assis confortablement. « I sing for answers. I sing for good listeners and tired dancers », chantera-t-il sur « Call Me Anything », avec, d’ailleurs, un je ne sais quoi de tendu sur la fin, un petit pas de deux sur le côté qui acidifiera le côté tout sucre tout miel délivré pour sa multitude (public choisi de musiciens et de voisins de bon goût, que l’on classera suivant leur degré d’endoctrinement selon leur placement, numéroté, dans la salle).
En tout cas, il parle. Et même, souvent. Et remercie ! Nous a-t-on changé le glacial Callahan (pas un mot au Kägelbana, huit ans auparavant, à part peut-être un vague merci au moment du rappel) ? L’arrogant Bill, seul (contre tous ?) sur la scène du Poble Espanyol de Barcelone , période « A River Ain’t much too love », se serait-il apaisé ? Sans parler du mutique frontman du Café de la Danse, post « Woke On a Whaleheart », période pourtant amoureuse…
Le problème n’est pas vraiment là mais dans un certain relâché du Callahan. Certes il est toujours droit comme un i, chemise bien rentrée dans son pantalon, terrible dans son assurance, mais ce n’est plus le même Bill. Un peu moins précis dans son jeu, forçant ses camarades, guitariste et batteur surtout, à l’observer avec une certaine tension pour le suivre car rigueur (ou plutôt rigorisme ?) il y a malgré tout. On est loin du Captain Amerika Callahan qui devait tenir hautement la barre lors de la période Tortoise/ »Dongs of Sevotion »dont ma compagne me parle toujours avec les yeux brillants et un certain tremolo dans la voix.
D’ailleurs, impossible de ne pas faire de comparaisons (défavorables) avec les prestations précédentes de Callahan. Un groupe, honnête mais sans plus, de requins de studios indé accompagne Bill et tente de reproduire ce qui s’est fait sur album et sur scène dernièrement. Le guitariste est astucieux et techniquement irréprochable, tout comme le batteur (pas un mot du contrebassiste électrique, tendance Hillbilly, sosie du fermier du tableau American Gothic de Grant Wood, et typique des derniers concerts de Lou Reed) mais on ne se sort pas des souvenirs du groupe qui accompagnait Callahan la dernière fois et dont celui-ci n’est que le pâle reflet. On se replongera (avec délices) dans le compte-rendu de Pierre. On avait à l’époque le groupe et le son de la sublime période Joanna Newsom/Callahan. Ce n’était peut-être pas Tortoise mais c’était sans doute encore meilleur. Pour prolonger le souvenir de cette période bénie des deux artistes, on se replongera dans « Have one on me », merveille de Newsom… qui doit tellement à Callahan.
Autre problème : une setlist un peu poussive dans laquelle les titres du dernier album ne sortent pas grandis. « 747 », « Watch me get married », « Camels », « Circles », tout cela tourne un peu en rond (hum…) et sonne un peu plat (et heureusement pas de “Writing” !) sans les petites accidents lo-fi de la production du disque, tout comme son écriture, très ligne claire et, pour une fois, sombrant un peu trop dans la facilité.
Il y a tout de même un bonne ouverture, « Angela »(évidemment…), pendant laquelle sa voix, un peu forte mais tellement profonde, nous emporte. On est venu pour ça et elle efface toutes nos réticences. C’est ce qui fait qu’on reviendra, qu’on se laissera prendre à nouveau et qu’on achète même le pourtant très moyen « Dream River » au merch… (entendre « Seagull », hors tournée promo, était-ce réellement nécessaire ?).
On apprécie évidemment « Ballad of the Hulk », son humour potache, ses guitares électriques colériques très illustratives. On se contentera d’une version moyenne de « Drover » et, une plus heurtée, de « America ! »(bien heureusement sobrement introduite et conclue sans les attendus Trumpismes), mais rien des folies scéniques passées, post « Apocalypse ». Tout repose ici sur les écarts que Bill initie seul… et seulement suivi par ses camarades. Quelque fois, nous sommes tous dans la perplexité, avec des changements de tonalités assez inattendus qui bouleversent les chansons (était-ce vraiment « One Fine Morning » ou une version abrégée de « Ride for the feeling » ? Ni l’une ni l’autre, hélas), prises presque exclusivement dans le répertoire de Bill Callahan, le groupe. Seules incartades chez Smog : « Say Valley Makers », perle impérissable de « A River Ain’t much too love » et « Move to the country » tiré de « Knock Knock », de circonstance (cul-cul) donc.
Bref, où sont les tubes ? Où sont nos chansons favorites à pleurer d’hier (rien de « Dongs Of Sevotion », ni de « Red Apple Falls » ! même si on commence à se résigner à leur absence…) et d’aujourd’hui, ou presque (le minimum syndical d’« Apocalypse », rien de « Sometimes I wish we were an eagle » !!,) ? Est-ce un complot ? Un sabotage en règle ? Finalement, Bill est toujours dans la défiance, sinon la maltraitance, à l’égard de ses fans.
Mais Bill parle, Bill sourit. Bill nous comble, nous oint d’un improbable (et impossible ?) dialogue avec ses ouailles. Bill nous raconte ses problèmes de vans de tournée (où on apprend que Bill Callahan tourne -en van !- en Scandinavie), son amour pour la beauté de la ville de Stockholm (deux fois) avec, devant le parterre acquis se pâmant silencieusement dans l’idolâtrie, un « You take it for granted ? » un peu sec, qui lui ferait presque reprendre son ton cassant d’autrefois.
On se love tout de même dans sa voix de basse veloutée, dans son jeu de guitare nylon portée haute, raide et minimal, un peu bouseux par moment pour bien rappeler son extraction et on ne se lasse pas de ses mimiques tiraillées, de son jeu de jambes bien connu (et inchangé lui) de marche sur place, de gamin bien peigné mais grisonnant, qui trépigne. Par moment il se place sur le bord de la scène pour écouter ses comparses ou scanne, l’air mauvais, la salle. Petits moments inquiets:
« There is no love if there is no obstacles ».
Pour la dernière chanson, le groupe est rejoint par les Dallas Acid qui ouvraient. Sur le papier, tout, ou presque, pour plaire (mais détesté dans les faits) : deux bien belles barbes derrière des synthés (forcément) modulaires et une chanteuse susurrante à percussions fines (dont un gong) et à belle robe longue. Et comme il y a six ans, on a pensé, avant toute considération, notamment musicale, au plaisir de Bill…
Petite pirouette à la Callahan. La dernière chanson, annoncée, fut vraiment la dernière. Sans rappel. De l’art de maltraiter son public chéri.
On en restera donc sur nos frustrations, cette setlist en demi-teinte, sur l’absence de reprises. On attendait -fous !- « Trains Across the sea »de Silver Jews, de (bien amères) circonstances et qu’un ami cher n’avait pas manqué de filmer et de nous envoyer lors du concert parisien. Peu importe, la messe était dite et il a mollement prêché pour les impénitents convaincus.
Le faussement mielleux Callahan nous a douchés écossais pour notre plus grand plaisir. Comme à chaque fois.