Il n’est jamais aisé de suivre quelqu’un d’aussi prolifique, et surtout dans des champs aussi divers, que Kyle Field. On avait à peine commandé share avec l’autre Stakhanoviste, et témoin de Jehovah, double capé, Tori Kudo, qu’on apprenait la possibilité de pré-commander People directement auprès de Field sur son site Little Wings Arts and Hobbyist. Plus de label, plus d’intermédiaires, une offre au catalogue débordant sur les arts plastiques : la démarche n’est pas sans rappeler celle de Phil Elwerum de Mount Eerie (au passage une news gossip trash : c’est fini avec Michelle Williams… mais vous le saviez déjà grâce à votre grand-mère à moustache toujours très au courant), en plus dilettante quand même et beaucoup moins rigoureux dans les délais. Chez Phil, c’est du solide, une vraie petite entreprise qui ne connaît pas la crise (oups… blasphème).
Ce People, on l’a attendu pendant des mois sans la moindre info sur un site de plus en plus gelé et suscitant nos plus folles interrogations. Le site de Kyle avait-il été piraté par un hacker ukrainien désireux de se faire un énorme (très petit/minuscule) paquet de pognon en proposant un faux album sur un site déserté par le plus folkeux des plus gros fumeurs de joints de sa génération ? La procrastination était-elle encore plus forte que d’habitude ? Etait-il seulement enregistré ce disque ?
Toujours est-il qu’on n’y croyait plus et qu’on avait classé le montant acquitté dans la colonne des pertes sans profit bien connues de notre service compta.
Et puis le voilà. Et accompagné, comme le précédent « Share », d’un petit cadeau, soit un dessin à l’encre de chine, gouache et crayon. Kyle est généreux. Notre collection personnelle de Field s’enrichit presque sans le vouloir, on frôle l’accumulation.
Et ce disque ? Un peu poussif à vrai dire, sans véritables reliefs hormis les deux premiers titres. « Who should know » qui fait surfer guitares Fieldiennes sur des nappes bien vues de claviers. C’est un beau titre et c’était une belle piste à explorer. « Scratchers » rejoint une autre piste qui restera celle privilégiée par l’album, du rock bouseux, countrysant à souhait, dans la lignée des derniers Silver Jews mais qui sur ce titre pratique le grand écart avec le post r n’b de la dernière grande réussite en date, dans le genre (relativement) très produit, « Black Grass ». Un peu partout, on trouvera une propension à laisser s’inviter des soli de guitares hippie psyché, avec beaucoup de wah wah, un peu trop propres et sages à notre goût.
Est-ce la bande de copains en roue libre qu’il faut blâmer ? Notons tout de même, une belle récurrence de « frères de » : le frangin Oldham à la technique et l’artiste peintre, frère du patron de Dirty Proj’. On apprécie les quelques gravures ajoutées sur le vinyle : Roughten, Haunted Autumn ou Wake o Woolsey. La première édition tirée à 500 LP a été vite vendue mais un pressage est en cours et on peut d’ores et déjà commander la version japonaise CD sur 7ep, avec comme de bien entendu, en bonus, un album de reprises country, « Ropes in Paradise », sorti initialement sur la maison de micro éditions PIAPTK (People In A Position To Know). On en reparle bientôt.
En tout cas, on est loin de l’esprit feu de camp, farfelu et échevelé des premiers albums (bon allez, « Let them Talk » a quand même un bel arrière-goût chlorophilé de White Green Leaves). Reste que Kyle Field est un excellent conteur et un poète habile au flow white trash avec un rythme à se damner qu’on écoutera moins pour les textes que pour leur musicalité qui, sans concurrencer tout à fait Bill Callahan ou David Berman (« No Suicide »), pour ne compter qu’avec les grands retours de cette année, reste dans la cour des plus passionnants songwriters de ces dernières années malgré cet album, à mon sens, plutôt mineur mais que je réévaluerai sans doute à la hausse plus tard, lorsque j’aurai mariné assez longtemps dans la sauce barbecue country que nos idoles nous imposent chaque année un peu plus. Courage, le « Paradise » n’est plus très loin.