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Disques

The Mountain Goats – In League with Dragons

The Mountain Goats - In League with Dragons

Après le catch (« Beat the champ ») et les goths vieillissants, John Darnielle et sa bande s’attaquent à une autre marotte de l’adolescence, Donjons & Dragons. Mais, si « Goths » restait centré autour de son thème, « In League with Dragons » prend souvent des chemins de traverse et s’avère au final moins unitaire, moins réjouissant somme toute, bien que déployant un spectre musical plus large et une ambition littéraire plus affinée.

Ce qui est amusant et excitant avec John Darnielle et les Mountain Goats, c’est que comme pour David Berman et ses Silver Jews (bientôt réactivés, dixit Bob Nastanovich, source plus qu’autorisée !), leur statut de groupes cultes et de poètes indé donne des envie d’exégèses à leurs fans qui scrutent le moindre texte, décortiquent leurs ouvrages. Et dans le cas de la production pléthorique de Darnielle, sans compter ses innombrables bavardages, ils sont servis. Et nous aussi ! Le travail est pour ainsi dire prémâché pour les futurs étudiants américains en lettres qui étudieront bientôt le corpus Darnielle. Pour l’instant, en France, le sujet reste minoritaire…

Mais revenons au sujet. Au départ, un thème lié au monde de Donjons et Dragons avec un pays/une ville assiégé(e), Riversend, et un magicien vieillissant, plus vraiment au top de sa forme, et devant renouer avec l’héroïsme. Quelque chose d’assez proche de « Goths » donc. Mais Darnielle brouille les cartes (Magic) et évoque par une écriture oblique d’autres ex-magiciens de la « vraie vie », « Doc Gooden », ex héros de baseball (meilleure chanson sur le sujet avec « Walter Johnson » de Jonathan Richman, sur le merveilleux et sous-estimé « Rockin’ & Romance ») ou encore le sorcier Ozzy Osbourne sur « Passaic 1975 », figure totémique majeure de Darnielle qui lui a consacré un ouvrage (là encore, en créant une fiction tournant autour de la figure d’un fan plutôt que de parler du disque ou d’écrire une énième biographie).

Toujours sur les thèmes du changement de vie et du destin, du courage d’affronter le monde et ses dangers (le dragon, l’addiction : mêmes menaces), de tenter de rester fidèle à ses passions de jeunesse malgré le conformisme, Darnielle développe ses textes entre autofictions, décalage animalier amusant (« Possum by night », soit la métaphysique à la portée de -et vue par – un opossum) et mini récits noirs. Citons notamment « Waylon Jeenings live ! », country à souhait, avec feulements de guitares décrivant un mini road movie à la Tarantino et typique de Darnielle : avec petite frappe pas bien maline, transport de drogues vers la frontière et musique populaire (avec un chouette miroir dans le miroir car en plus d’être l’un des piliers de la Outlaw Country, Jennings est aussi le compositeur de la musique, et narrateur !, de « The Dukes of Hazzard »).

Autre vraie réussite, « Cadaver Sniffing Dog » est un mini film noir à la rythmique impeccable avec guitare hardrock mal peignée et sans laque mais avec nappes de cordes d’Owen Palett, producteur du disque. On pense à « Watching The Detective » de Costello, autre écrivain majeur de la forme mineure qu’est la popsong, pour l’esprit du texte et le côté chahuté-chaloupé de l’adéquation texte/musique.

Sinon, on retrouve une certaine occurrence des thématiques habituelles : l’usage de drogues, le milieu médical dans lequel Darnielle a travaillé, des souvenirs de la vie d’avant, souvent assez cryptiques. Dans « An antidote for Strychnine », tous les thèmes semblent se mélanger : le magicien de Riversend embastillé avant le combat, une atmosphère mélancolico-mortifère de fuite du temps, et un personnage de laborantin bricoleur pseudo-festif mais angoissant à la « Breaking Bad » (ou, plus proche de nous, « Un si beau soleil »…), la strychnine -la mort au rat-, étant une substance liée à la fabrication de l’ecstasy. Le tout dans un habillage très Spandau Ballet, dixit Darnielle lui-même, évoquant directement la sauce du précédent Mountain « Goths ».

Sur un plan strictement musical, on retrouve toute la patte classique Mountain Goats avec cette rythmique implacable et tellement caractéristique de la période « propre », 4AD (depuis « Tallahassee » rappelons-le). On pourrait gloser indéfiniment sur la rythmique qui porte en elle tout l’ADN d’un groupe, reconnaissable entre mille (notamment chez Hefner à qui on ne peut s’empêcher de penser en écoutant ce genre de songwriting humaniste anglo-saxon).

Mais ici, le retour au classicisme Mountain Goats se double souvent d’une mise en abyme : « Younger », premier single très réussi (oui chez Merge, on parle encore en singles et on offre toujours un CD sampler lors de l’achat de disques), s’appuie ainsi sur une structure mélodique rythmique ancienne de Darnielle renvoyant au titre de la chanson selon une forme réflexive (le vieux Darnielle s’adresse au Younger Darnielle en réutilisant sa musique). 

On fait tout de même du neuf avec du vieux, que ce soit avec les sax inattendus sur « Younger » ou avec la palette coloriste d’Owen (guitare picking assez fine sur « In League with Dragons » et cordes du Macedonian Orchestra sur le curieux « Cadaver Sniffing dog »).

Enfin, même si In League with Dragons est moins immédiatement accrocheur et amusant que « Goths », dans la lignée des plutôt sombre « All Eternals Deck » ou « Heretic Pride », on y retrouve toute l’humanité de John Darnielle, tout en bonté, humour (le sticker Few have luck/All have death sur le disque) et débordant de générosité avec une attention particulière et touchante pour les parias, les sans grades, les ratés (réécouter, au besoin, le splendide « All Hail West Texas » réédité en 2013 en vinyle et qui possède maintenant un compagnon de reprises « I Only Listen to the Mountain Goats : All Hail West Texas »), qualités qui outrepassent le strict cadre des chansons. On se régalera donc avec l’édition hardcore double LP, pleine de goodies : patch (Dragon avec broderies Mountain Goats /Remembering everyone), étui cartonné à peau de dragon, poster, carte collector (échangeable !) de la Ligue des Dragons, 45 tours avec titres supplémentaires…

Pas de doute : les chrétiens sont sympas.

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