C’est un peu honteux que je me lance à vous écrire au sujet de Jérôme Minière. Voilà un artiste qui était complètement passé en dehors de mon radar et longtemps, il n’a été qu’un nom d’auteur, notamment sur le deuxième album de Françoiz Breut. Il faut dire que Jérôme Minière est discret : c’est en quasi-catimini, en auto production et même en mini édition (200 CD signés à la main) qu’il nous livre son nouvel album, depuis « Le Vrai le Faux » paru en 2012. Il est donc lâché sur le réseau depuis décembre dernier, perdu « Dans la forêt numérique » (une fois de plus en retard, j’ai quand même pu acheter mon exemplaire).
On espère que ses fans des premières heures Lithium ne le lâcheront pas. Il peut désormais me compter dans sa base car je suis plus que conquis par son mélange de genres, organiques et électroniques, passéistes et contemporains, dans une savante adéquation entre forme et contenu. Drôle d’époque où les frontières entre l’intime et le public se brouillent, où les temps se télescopent et où les échanges humains passent par un vernis glacé numérique. Jérôme Minière en tire une production léchée, pleine d’évidence pop, de refrains imparables (« Nos corps »), de naïveté aussi (« Ennemis »).
Du coup, même les textes les plus mélancoliques (« Invisible », « Duplicatas », « L’Estuaire ») se glissent en nous aisément et nous réjouissent au lieu de nous plomber (d’ailleurs, il s’en excuse par avance sur un mode drum & bass, presque acid jazz, à moins que ce ne soit du trip hop, « La Vérité est une espèce menacée » : le garçon est délicat). C’est peut-être la seule chose qu’on pourrait lui reprocher mais puisque nous sommes dans la méta-façade numérique, elle colle vraiment au sujet et à l’époque (qui ne joue pas au « Plus cool des cools » sur les réseaux sociaux ?).
Côté musique, on se régale. On passe presque sans transition de l’électro down tempo 2000, à la new wave la plus acide, en passant par Joy Division et New Order (basse hookienne sur le puissant et addictif « De vive voix », du Dominique A couillu comme jamais) mais aussi par des restes de Daniel Johnston (est-ce un lointain écho, en forme d’accident numérique, de la chanson « Loner » sur « L’Estuaire » ?). Et évidemment Diabologum, Programme et Michel Cloup (« Duplicatas »). Et JP Nataf (« Haut bas fragile »), mais aussi Silvain Vanot et Jean Bart, toujours pour le travail du texte, la ligne claire et les légers bidouillages. Si on ajoute les échos lynchiens à la Badalamenti sur « La Ville lavée s’éveille », on clôt le paysage culturel, sur lequel s’ébat Minière.
C’est pourtant à un autre Orléanais que je pense le plus en écoutant « Dans la forêt numérique » : Mathieu Malon qui nous avait laissés dans le noir « Désamour » en 2017. Le disque de Minière en est presque le versant positif. On y retrouve la même volonté de décrire son époque et soi-même, entre gris clair et gris foncé, de faire le point sur la situation du quadragénaire popeux, numérique et un peu paumé. D’où parfois le même besoin de remontée privée et organique, ici « Haut bas fragile », impressions d’enfance en film amateur, convoyant aussi de nombreuses références à la variété française au sens large (de Brassens à Sheller, en passant par Gainsbourg). Ces regards en arrière (la pochette), clairs et opaques, pleins de naïveté et d’honnêteté sont d’ailleurs très émouvants. Allez vite « Dans La Forêt Numérique » chercher votre exemplaire là en attendant le disque jumeau à paraître en vinyle chez Objet Disque cet hiver.