« Ti odio e… ti amo ». Comme avec la chanson d’Eros, j’ai un rapport ambivalent avec Phoenix. Question de conflit de classes, pourrait-on dire. Disons que j’ai du mal avec leur profil de punks propres versaillais toujours le cul entre deux chaises Louis XV (relisons la chronique de Gildas au sujet de leur premier album). Ce n’est pourtant pas l’envie de les aimer qui manque depuis « If I ever feel better ». Car Phoenix, c’est surtout une incroyable machine à tubes. Avouons que c’est pour le moins suspect. Quelquefois, Phoenix atteint le sublime en mariant les contraires, soient l’efficacité pop et la cohésion de la visée artistique. C’est l’anglo-viennois « Wolfgang Amadeus Phoenix ». Énorme. Straussien. Entre temps, la méfiance reprend ses droits (« Bankrupt ») et on s’interroge sur le bien-fondé de tant de dithyrambes passés.
« Ti Amo », placé sous la sainte protection de Ramazzoti, nous a fait peur et une fois de plus, on n’a pas laissé sa chance à Phoenix. Certes « Ti Amo » n’a pas la maestria de « Wolfgang Amadeus Phoenix » mais c’est un album attachant et finement troussé. On a pu lire çà et là que Phoenix se vautrait dans les clichés sur l’Italo-pop, voire que l’album était tout simplement moyen. Je pense au contraire que c’est un album des plus malins abordant plusieurs niveaux de lectures. Evidemment, il baigne dans les couleurs les plus criardes de l’italo pop, du moins n’en fait pas l’impasse puisqu’il s’agit d’un album du souvenir, des amours d’été passées lors de vacances adolescentes et italiennes (bande de gros bourges) et des amours actuelles au futur visiblement très conditionnelles entre Mars et Coppola (sur-bourges, le peuple aura votre peau). Point d’Eros en fait, c’est Héra qui est appelée au secours tout au long de cet album. Le petit cœur de Mars est mal en point car la belle Hélène s’appelle Sofia et vit au loin dans cette Troie virtuelle qu’est Hollywood. Je n’ai point le goût maternel voire grand-maternel pour « Point de Vue » et « Voici » mais voilà que je suis touché par les émois de Mars, pleurant sa belle, éperdu au « Telefono », essayant de la faire revenir par l’achat d’un bateau (oui, de bien pauvres riches….), ou encore réduit à faire n’importe quoi pour attirer son attention, tel un gamin, comme piquer un objet et se faire sauver la mise par Maman Sofia devant les vigiles (J-Boy soit Just Because Of You ?). L’image de la Santa Mamma (et un peu celle de la lupa…) est omniprésente.
Je sais, je suis sans doute un peu givré comme un cornet de Tutti Frutti ou une granita bien chimique mais, oui, je m’intéresse aux textes de Phoenix. C’est peut-être pourquoi les anglo-saxons, eux, les aiment tant.
« Ti Amo », disque de la distance et de l’écart donc. Et, je le répète, ce thème se reflète jusque dans la forme et les langues utilisées : anglaise et italienne bien sûr mais aussi, plus rare, française (l’amour, l’amouuuur… Ce satané enfant de Bohème Lisztien). On y croise Franco Battiato, Lucio Battisti, nommés, et présents corps et âme un peu partout évidemment mais aussi d’autres voyageurs pop qui nous entraînent vers d’autres ailleurs. « Goodbye Soleil » est ainsi le pendant florentin et Michel-Angelesque du « Week end à Rome » de Daho, lui-même réflexif de la variet’ ritale (ce petit clavier rythmique bien senti). On les imagine bien manger une glace tous ensemble après une visite rafraîchissante dans les caves médicéennes de San Lorenzo ou partager une galette complète au bar VIP du Fort (de ?) Saint-Père.
Osera-t-on dire qu’il y a toute la suprême « Technique » New Orderienne dans « Telefono » mais aussi la facilité et l’efficacité des mots (maux ?) de Barney ? La mélancolie et les peines de cœur se diluent mieux, on le sait, sur le dance floor.
Oui, il y a de tout dans ce « Tutti Frutti » musical, où comme le dit Mars, on passe du « unsophisticated soft rock to a Beethoven Concerto » (ah ce quasi clavecin électronique convoqué sur le crémeux « Fior di Latte », un des préférés de la maisonnée), où on invoque un disque des Buzzcocks sur un riff des plus punks, sur un titre, « Ti Amo », ouvert pourtant (e perché no ?) avec une boîte à rythme cheapos à tomber. C’est aussi ça, la magie de Phoenix. Allez, s’ils étaient des crève-la-faim, on les adorerait sans réserve. Car Phoenix, c’est le petit groupe de branleurs de banlieue doués qui enregistrent dans la Gaîté Lyrique de Benoît ex-Mains D’Œuvres (total respect). C’est aussi cette facilité à produire du tube dément. Si vous ne sortez pas les Raybans et que vous ne sentez pas le monoï tiède sous les aisselles à l’écoute des basses sourdes et des claviers/guitares acides sur « Goodbye Soleil », c’est que vous n’avez pas d’oreilles. Idem si vous n’avez pas envie de sorties en Mazzerati, même sans permis, à l’écoute de « Ti Amo ». Peut-être le clip, vous donnera-t-il envie d’une orgie de Chianti et de Sole Mio. En fait, pour résumer, « Ti Amo » te fait aimer l’Italie comme Fassbinder l’Allemagne. Malgré tout, mieux : à cause de tout.
Quant à « J-Boy », le Battiato (Santo Battiato subito !!!) new wave n’aurait certainement pas renié ce titre y compris pour les textes (ah ces conséquences morales…). Et je me damnerai (je me damne d’ailleurs) pour ces guitares et claviers finauds, break putassier inclus (surtout).
Et puis allez, direction « Via Veneto », toute douce, aux claviers épinettes, susurrante et pleine d’allitérations : « Sensa Te. It’s a sin » : on y trouvera contenue aussi la Dolce (ma malinconia) Vita de Fellini.
Je ne sais pas où en sont Thomas et Sofia mais, cet été, je pense à eux, à Battiato et Lucio et je dis Phoenix, ti amo pure.
« Ça y est c’est fini
Je veux croire que le meilleur est à venir
Je sais que que le pire l’est aussi
Alors laisse-moi compter les moutons
Chanter nos chansons à l’unisson ».
La voie du patron : Hommage à Franco Battiato (1945-2021) – POPnews
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