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Disques

Ryuichi Sakamoto – Async

Ryuichi Sakamoto - Async

Lors du rattrapage de lecture des Cahiers du Cinéma en ce mois de décembre, nous apprenons avec stupeur que Ryuichi Sakamoto a sorti un disque pensé comme la bande son d’un film imaginaire de Tarkovski, dont il aurait rêvé. Personne ne nous a donc rien dit ? À nous qui sommes allés fidèlement en pèlerinage dans l’abbaye de San Galgano au fin fond de la Toscane en plein cagnard pour voir de nos yeux les ruines finales de « Nostalghia » ( et jusqu’à souhaiter une pluie orageuse la veille pour laisser apparaître une flaque d’eau ? Oui et pourquoi pas un clébard aussi). À nous qui possédons les saints poèmes d’Arseni Tarkovski dans les étagères, en hommage au fils. Et je ne parle pas de l’île de Fårö où « Le Sacrifice » fut tourné : là-bas je peux faire le guide les yeux fermés, tour Bergman inclus. Notre sang ne fait qu’un tour et amazon empoche la mise rapidos.

Nous ne sommes pas déçus avec « andata » : choral majestueux dérivé de Bach, brouillé par une gaze opaque générée par la planète Solaris sans doute, en tout cas avec l’aide de l’ami Christian Fennesz aux guitares et traitements. On revoit les images, d’un film à l’autre, qui se mélangent, les sons (importants ! Primordiaux !) de Tarkovski aussi.

Dans « Ubi » on croit entendre Satie, puis Chopin, non Bach, à moins que ce ne soit les dernières sonates de Schubert… ou celles de Mozart. Bref, ils sont tous là et c’est Sakamoto. Où sommes nous ? Dans la Zone ? En observation satellitaire près de Solaris (l’écho suraigu qui se déplace) ?

« Walker » est une promenade forestière mais on y entend des gongs aussi. Sont-ce les cloches et la boue d’Andrei Roublev évoquées ici ? À moins que les pas et les sortes de hurlements/sirènes n’évoquent la fin de journée de marche de « Stalker » et le repos dans la terre et l’eau entouré de cet énigmatique chien (encore un, ils sont nombreux). Ou le chemin qui mène à la maison du « Miroir » ? D’autres images nous viennent en tête comme le journal sonore que Sakamoto pourrait enregistrer et inclure ici. On pense à la phrase de Godard sur les apprentis cinéastes qui viennent lui demander comment filmer, que faire, etc. et auxquels il répond : filmez votre vie, prenez une caméra et filmez/montez une journée de votre vie. Sakamoto, lui, répond par un disque et en utilisant des sons provenant des impressionnantes sculptures sonores créées par Harry Bertoia (designer entre autres de la chaise Diamant et dont les disques fascinants sont réédités par Important Records) ou glanés ici ou là.

Collecte de sons, re-créations donc. En tout cas, dans async, l’organique et le synthétique sont liés tout comme le brut et le lissé.

On apprend dans les notes de pochette que Sakamoto, sortant d’une longue maladie, a voulu réaliser un disque contenant la musique qu’il souhaitait entendre sans trop la polir pour ne pas en gâter les arrangements. Disque in-fini donc, disque de fin de vie et de renaissance, réunissant les amis de toujours tels David Sylvian récitant du Arseni Tarkovski sur « LIFE, LIFE », ou encore Bernardo Bertolucci, l’artiste Shirin Neishat (à la biennale de Venise l’an passé), Carsten Nicolai (lire le compte rendu du concert Alva Noto/Sakamoto), entremêlant leurs voix et langues diverses sur « Full Moon », d’après un texte de Paul Bowles tiré du film « The Sheltering Sky ».

On entend du piano préparé sur disintegration et on croit entendre du col legno et des pizzicati sur « async » même si la piste du piano préparé est plus plausible (qu’importe, en fait, mais on ne peut s’empêcher de chercher). Là encore d’autres images et sons surgissent : celles de « Pola X » de Carax avec un Scott Walker en bruitiste acharné. Le shamisen est aussi de la partie sur honj. Pour les puristes et ceux qui aiment la pluie et le vent.

Un projet on le voit un peu plus complexe que le simple hommage à Tarkovski et qui maintenant est doté d’images suite au concours organisé sur Vimeo par Sakamoto et Apichatpong Weerasethakul. Et c’est l’idée de Godard qui gagne.

In a Happy Place from San19 on Vimeo.

Parmi les meilleurs titres de ce double LP passionnant pour qui prendra le temps de s’immerger, citons « Tri », et son trio de percussionnistes de l’International Intercomporary Ensemble au(x) triangle(s) donc, tout en scintillements et matité finale, les ambiant pur jus de « ff » et « water state 2 » où se déploie toute la richesse du minimalisme, ou encore « Zure » avec ses nappes de claviers synthétiques, son piano préparé, ses collages sonores et ses perturbations numériques. Rien de neuf, certes, mais beaucoup d’élégance.

Sakamoto est bien fort, il nous a pris par les sentiments avec Tarkovski et gentiment ramené chez lui par la main, dans son monde de fureteur curieux, un monde varié et sensible. Longue vie à M. Sakamoto !

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