Molina c’est la famille. Que voulez-vous… Tenez, lorsque je vois ma petite belle-sœur, une des premières choses que l’on se demande souvent c’est : « t’en es où avec Molina ?” »On se parle de nos dernières lectures (la bio d’Osmon), du prochain racket de Secretly Canadian auquel on va succomber (Les reprises de Black Sabbath tout de même…), ou auprès de quel album on revient un peu plus ces temps-ci. Voilà. C’est pire qu’une maladie, c’est une mélancolie entretenue.
Mon nouvel ami, mon frère, c’est Stéphane Martin qui, à la suite de la lecture d’un top hors du temps de Pascal Bouaziz (dans les Inrocks), dans lequel figurait « Ghost Tropic », contacte Mendelson pour lui proposer de bosser sur une compilation hommage à Molina. La suite, la voilà : un double album vinyle contenant des contributions franco-belges, le volume 2 (inavoué ?) de l’anglo-saxon « Weary Engine Blues ».
Comme le glorieux précédent, « Riding with The Ghost » tient bien la route. À l’orée du bois, Michel Cloup, Moliniste tardif rend un bel hommage en se fendant d’une chanson chassant sur les terres arides et nocturnes de l’album « Didn’t it Rain », une presque reprise donc qui fait un pont entre Michel et Jason. Disons pour faire vite, que Michel Cloup réalise le temps d’une chanson ce que j’attendais vainement de lire dans la biographie Jason Molina, « Riding With The Ghost ».
Les plus audacieux prennent cette route là : le chant en français, qu’on sait si casse-gueule, le choix de ne pas « couvrir » vraiment la chanson. Thomas Mery, comme Sheller en solitaire, dont on appréciait « Les Couleurs, Les Ombres », risque tout sur « Le Corps, il se consume », émanation de « Body Burns Away ». Entendre l’échappé de Purr, qui reprend un titre de l’album sur lequel joua Shane Aspegren, comparse de Lori Sean Berg dans Berg Sans Nipple et ex Purrien, ça a son prix.
Il fallait oser (Josephine) se frotter à l’intouchable « Coxcomb Red » en français ! Kärlek (l’amour en Suédois, ça me touche) le tente et rajoute même guitares aigrelettes new wave, grésillements, et toms basses. Hommage aux techniques d’enregistrement rapides de Molina, on entend jusqu’à un ”Putain !” impromptu qui trouve lui aussi tout à fait sa place dans la production chiadée.
Autre grande réussite, là aussi très naturelle, Mendelson reprenant « No limits on The Words », toujours de Ghost Tropic. Dans la lignée de « Sciences Politiques », Bouaziz et ses camarades reprennent en un peu plus mat, une des plus belles compositions de Molina, avec piano à pouces s’il vous plaît comme dans l’original. C’est du Molina et c’est vraiment du Mendelson.
Ces quatre-là œuvrent dans le champ avec les mêmes matières que Molina et justifient pleinement l’achat du disque.
On n’oublie pas non plus les talentueux autres, notamment H-Burns, et son impeccable et touchant « Hold On Magnolia », qui joue la carte électro, pas si facile et pourtant souvent gagnante, tout comme V.O. qui pare « Not Just A Ghost’s Heart », pourtant ascétique à l’origine, de couleurs et sonorités ondoyantes. C’est une véritable évasion : accidents numériques, vents, rythme motorik. Là encore, il fallait le faire.
Fantascope prend le même chemin de traverse sur la très Arab Strap, « Being In love », avec un son de sirène d’alarme inquiétant qui gonfle la chanson de manière étonnante.
On aime aussi les reprises très proches de l’original avec June Moan sur « John Henry Split My Heart », explosif, grondant, épique, métalo country comme il le f(a)ut, ou Last Of the Albinos a la voix Will Johnsonienne. Loic B (avec Kiko), eux, prennent la tangente « Impala » pour sortir du carré magique « The Lioness »/ »Ghost Tropic »/ »Didn’t It Rain »/ »Magnolia Electric Co » tout en gardant les mêmes tons DIY du folk répétitif Molinesque. Bien joué, car il faut pouvoir tenir les 8´46.
Ignatz prend le parti du fantôme pour une reprise hantée de « I’ve been riding with the ghost » tout comme he died while Hunting sur la trop méconnue et pourtant impérissable « The Big Game is Everynight » (un des morceaux les plus touchants réinterprété par Will Johnson, brisé et à tomber, sur « Weary Engine Blues »).
Comme sur « Weary Engine Blues », on sent que personne ici ne cherche à tirer la couverture à soi mais que les chansons de Molina font partie de leur vie. De là cette impression de réussite et de cohérence générale malgré des univers musicaux et des moyens différents.
En tout cas, bravo à l’ami Stéphane Martin, et en attendant le volume 2, je sais d’ores et déjà quoi offrir à ma petite belle-sœur pour les fêtes de fin d’année. On verra comment cette puriste prendra les relectures en français. Ça promet des discussions passionnantes au pied du sapin ou ailleurs.