Ami, attends et prends le temps d’écouter « Snow » de The New Year. C’est l’album de l’année, on ne t’en parlera pas au Figaro, ni même aux Inrocks… Laisse tomber ton abonnement Spotify et les fichiers compressés qui te grignotent les tympans, prends le vinyle, prends le temps de le sortir de son bel étui de carton gris, de le poser, de le nettoyer. Prends le temps de siroter un alcool puissant dans ton canapé IKEA défoncé (le canapé hein) devant ta chaîne audiophile de qualité. Un album comme ça, qui a pris sept ans de maturation dans les fûts de l’Electrical Audio d’Albini, ça se respecte. Les frères Kadane, pas des joyeux lurons hein, ont pris leur temps pour nous pondre dix titres intemporels et qui ne dépareront pas leur collection de merveilles accumulées sur les trois albums de Bedhead et les maintenant quatre de The New Year. On n’est pas dans de la gestion de carrière, on est dans l’orfèvrerie rock et nos artisans préférés ont, peut-être, réalisé leur meilleur album sous l’alias The New Year. Oui, Ami très cher (tu l’es puisque tu as et chéris l’intégrale Kadanienne chez toi en double, évidemment, puisque tu as racheté le coffret Bedhead), allez soyons fous, « Snow » pour The New Year, c’est l’équivalent de « Transaction de Novo » pour Bedhead.
Avec cette question, terrible !, comment font-ils pour ajouter d’autres merveilles à tant de sommets, comment parviennent-ils à se renouveler en restant strictement les mêmes ?
Un embryon de réponse : « Snow » est plus rock, plus direct que les précédents. Un je ne sais quoi de guitare hyper brut, rêche, qui surnage un peu dans le mix pendant que la mécanique implacable de ce post rock de lignes claires se met en place. Ecoute un peu cette merveille de « Myths » ! Prends le temps de suivre ces lignes qui s’entrecroisent, s’empilent, se mêlent puis foutent le camp ! Ecoute cette batterie, pas ce rythme, ces cymbales, ces toms. Elle est aussi bavarde que discrète.
Pas besoin de Van Dyke Parks pour nous illuminer la pop de mille irisations, ces quatre gars-là, font chanter l’habituel guitare/guitare/basse/batterie (allez, claviers) comme des moines grégoriens. Mais il faut prêter l’oreille. Plus que jamais, écoute au casque et, j’insiste, sans rien faire d’autre. Même pas marcher. Cela te sera rendu au centuple.
Autre nouveauté, le tube, presque club (du moins club, comme on l’envisage) « The Party’s Over », pince sans rire, mes seigneurs, avec une batterie divine, Chris Brokaw, rien que lui : imaginez-le en train de jouer ça, c’est du cinémascope.
On aimerait détailler tout mais s’il faut choisir quelques moments marquants dans cette odyssée, je prendrai la guitare rocailleuse qui accompagne (et ferraille avec) le délicat « Snow », surtout lorsqu’elle se fait grésil (à 2’33, impatients !).
Signalons aussi « The Beast » : voir « 18 » de l’album bleu. Sans commentaire donc. Beauté.
Signalons encore ces paroles récurrentes, un peu amères, l’insistance sur la distance, entre soi et les évènements, entre le corps et l’esprit, à l’image de ce « Homebody » ( « No one can see me, I left my body home »). Il y a quelque chose de brisé, dirons-nous. Peut-être qu’avoir quitté le Texas pour des terres plus froides y est pour beaucoup mais c’est certainement plus profond.
« When it snows, God only knows. Why I feels so dead and alive. »
Parfaite conclusion alcoolisée d’un disque parfait avec ce son de guitare électrique nonchalant, essentiel et divin.
Le disque de l’année : pliez les gaules, pauvres pécheurs.