Les 21, 22 et 23 avril dernier se tenait la cinquième édition du festival L’Ère de Rien, à l’initiative de jeunes Rezéens férus de musique indépendante et d’arts graphiques. Dans un cadre champêtre en bord de Sèvre nantaise, la première journée printanière a accueilli entre autres les prodiges britanniques Francis Lung (ex-WU LYF) et C Duncan ; POPnews s’est entretenu avec ce dernier.
Dans les chouchous, j’ai nommé Requin-Chagrin ! Projet emmené par Marion Brunetto, les références vont du shoegaze au rock surf, tout en rendant un hommage appuyé à Indochine dans la puissance de ses mélodies et un chant qui se déhanche. Depuis l’adoubement de références eighties dans la musique made in France et le début des années 2010 (d’Etienne Daho à Taxi Girl en passant par Elli et Jacno), Marion Brunetto est la première à assumer pleinement son goût pour les tubes de Nicola Sirkis, et cette absence d’hypocrisie est salutaire.
La présence du groupe sur scène est certainement encore à affirmer, mais les compositions enregistrées dans la chambre de Marion prennent vie en live ; mélodies aiguisées et soli de guitare chaloupés, fracas saturés et voix en retrait, poésie hantée : cette prestation confirme que le premier album homonyme de Requin-Chagrin, tout juste remasterisé, passera encore souvent sur la platine en 2016.
Mains sur le buzzer : Marion Brunetto (chant/guitare), Grégoire Cagnat (basse), Yohann Dedy (clavier) et Romain Mercier-Balaz (batterie) répondent au blind-test concocté par POPnews, et ne dépassent pas vraiment les 2 secondes d’écoute. Médaille d’or, largement méritée.
Michel Sardou – « Requin chagrin »
Le groupe reconnaît le morceau grâce aux seuls applaudissements.
Pourquoi ce nom, « Requin-Chagrin » ?
Marion : Cela n’a rien à voir avec Michel Sardou (sourire). C’est venu après avoir vu une liste de requins qui existent vraiment. Donc il y avait le « requin-tigre », le « requin blanc » et il y avait le « requin chagrin« . Je me suis dit que ça sonnait bien. Je suis allée voir : déjà la tête du requin est assez marrante, et ensuite j’ai vu que c’était aussi une chanson de Michel Sardou, et ça m’a fait marrer (rires). Je crois que ça fait rigoler les gens.
Grégoire : Ca nous suit d’ailleurs Michel Sardou.
Yohann : Oui, on nous demande souvent si le nom est en rapport avec lui.
Marion : En même temps c’est la première chose qui sort que ce soit sur Google ou même YouTube…Mais en tout cas je n’ai aucun lien de parenté ou d’affection avec Michel Sardou (sourire).
Marion, considères-tu Requin-Chagrin comme un projet solo ou un groupe à part entière ? Comment vous êtes-vous rencontrés et autour de quels goûts communs ?
Marion : On se connaissait déjà avant que je commence ce projet, sauf Romain. J’avais effectivement déjà commencé à composer et enregistrer de mon côté toute seule dans ma chambre, et quand La Souterraine nous a demandé de faire des lives, qui étaient les membres du groupe etc…, je me suis dit : « Pourquoi pas ? ». Le but était que cela sorte de ma chambre et que cela devienne un projet de groupe. C’est donc cette demande de live qui m’a fait tenter le truc alors que je n’y avais jamais pensé. Du coup j’ai contacté Yohann, Greg on s’est contacté via les internets car il n’était pas sur Paris, et Romain on s’est rencontrés suite à un concert.
Alphatra – « La fuite »
C’est Greg qui trouve en premier.
Marion, tu fais partie de plusieurs projets, dont Alphatra et Les Guillotines, comment te nourrissent-ils ?
Marion : Les projets sont assez complémentaires. Dans l’ordre, j’ai d’abord rejoint Alphatra, puis Les Guillotines, et enfin Requin-Chagrin. Dans les deux premiers, je suis batteuse, donc je ne touche pas trop à la composition. Je dois aussi adopter deux jeux de batterie différents, puisque les styles sont différents. Requin-Chagrin me permet de faire plus de guitare, car à la base je suis guitariste et j’étais frustrée de ne pas en faire. J’ai donc un rôle différent dans chaque groupe. C’était aussi un pari d’essayer de composer des chansons de A à Z et de m’y appliquer.
Halo Maud – « A la fin »
Tous : Halo Maud, « A la fin » !
Comment s’est passée la rencontre avec Benjamin Caschera et Laurent Bajon de La Souterraine ?
Marion : Cela s’est fait par les internets, vraiment par hasard. Je ne les connaissais pas et je les ai découverts au pif sur SoundCloud ; je me suis abonnée parce que j’aimais bien ce qu’ils postaient. Après ils m’ont contactée, et ça a été très rapide car c’était environ deux semaines après que j’aie posté « Adélaïde », mon premier titre mis en ligne. Il devait y avoir 10 écoutes, et ils étaient parmi ces 10. Alors qu’il n’y avait aucune info, juste un nom et un lieu, Paris (sourire).
Qu’est-ce que les initiatives de La Souterraine révèlent de la musique en France aujourd’hui ?
Grégoire : Qu’il y a de la très bonne musique chantée en français, tous styles confondus.
Romain : Cela a réveillé une curiosité que l’on n’avait plus trop, ne sachant plus sur quelle plateforme écouter, à part les grandes radios. Il y a vraiment des pépites que l’on découvre grâce à eux. La chanson française, j’avais un peu abandonné et j’y reprends goût en essayant de découvrir des trucs par le biais de la Souterraine.
Marion : On a connu plusieurs artistes via la Souterraine comme Julien Gasc, Marc Desse, Dorian Pimpernel qui avait sorti un morceau sous un autre pseudo, Forever Pavot aussi je crois. En fait ces groupes gravitaient autour d’une scène que l’on connaissait, sans savoir qu’ils étaient affiliés à la Souterraine.
Grégoire : Cela a bien élargi notre horizon de découvertes francophones. En plus il y a plein de styles différents et on va forcément trouver une chanson qui nous plaît dans ce qui sort.
Yohann : Ils mériteraient d’être plus connus auprès du grand public, parce que la manière dont ils publient et dont ils communiquent est assez restreinte. Avec l’exception culturelle, les radios se plaignent qu’il n’y a pas assez d’artistes francophones pour répondre à un certain pourcentage, alors qu’il y a finalement beaucoup de choses qui se font et qui pourraient être mises en valeur. Ça n’est pas le cas alors que la Souterraine fait un très bon boulot de défrichage.
Quel est le rapport avec les autres groupes de la Souterraine avec qui vous jouez régulièrement, notamment lors de soirées la Souterraine comme celles organisées au lieu unique ?
Marion : On aime beaucoup Rémi Parson, avec qui on a joué genre 4 fois. Thomas Pradier aussi…Il y en a tellement ! C’est un vrai réseau…
Grégoire : Titus d’Enfer.
Romain : Rémy Poncet, de Chevalrex, qui nous a fait la belle pochette, et qui tient le label Objet-Disque.
Marion : Tout est une même personne en fait (rires).
Grégoire : On vient enfin de rencontrer Corridor, un groupe de Montréal qui a fait paraître son album en numérique sur le site de la Souterraine ; on aime vraiment beaucoup ce qu’ils font. Cela a tissé des liens ou ça en a resserré au fil des dates qu’on a faites ensemble, ou des albums qui sont parus. Cela crée vraiment une nébuleuse qui s’est consolidée.
La Femme – « Nous étions deux »
Grégoire reconnaît dès les premières secondes.
Que pensez-vous de cette vague de groupes chantant en français de manière décomplexée depuis quelques années ? Comment se passe l’écriture des paroles sachant que…
Marion :…on ne comprend rien ! (rires)
C’est vrai que j’ai bien envie de chanter avec Requin-Chagrin, mais…
Marion : …il n’y a pas le livret avec les paroles.
C’est ça !
Grégoire : Ah les salauds ! (rires)
Marion : C’est pour que les gens l’écoutent beaucoup de fois.
Grégoire : Oui, c’est pour faire des vues sur YouTube (rire général).
Marion : Les paroles partent plutôt de quelque chose d’abstrait, ça n’est pas une histoire avec un point A et un point B. En fait je commence par la musique, et c’est très important pour moi, l’inverse me serait impossible. En fonction de la musique et des sonorités, je trouve des mélodies à la voix mais en mode yaourt, ce qui m’aide à trouver des ambiances, et au fur et à mesure…(rires), c’est compliqué à expliquer, mais ce sont plutôt des images, des couleurs etc…
Est-ce que le reste du groupe participe à l’écriture des chansons ?
Grégoire : Yohann et moi avons écrit des titres. On se base effectivement toujours sur des musiques déjà composées par Marion et qu’elle nous propose. Le but c’est de laisser à Marion le loisir de ne pas être trop enfermée dans un thème. On se base sur la musique et les paroles sont plus des nappes, même s’il y a un sens, la voix est un instrument parmi d’autres. Le but est de lui mettre en bouche des mots qui lui vont à la prononciation.
Yohann : On ajoute ensuite notre touche, comme pour « Poisson-lune » que j’ai composée (sur la nouvelle version remastérisée de l’album, ndlr).
Avez-vous pensé à les chanter ou vous laissez le chant à Marion ?
Yohann : Ah non, c’est très bien comme ça ! (sourire)
My Bloody Valentine – « Only Shallow »
Marion trouve rapidement.
Les paroles de Marion semblent très poétiques mais elles sont difficilement discernables sur disque en raison du mixage, un peu comme sur les morceaux des groupes du label Creation, comme My Bloody Valentine.
Grégoire : C’est cool que tu mentionnes ça car on aborde assez peu les références shoegaze quand on parle des paroles.
Marion : Je connaissais peu ce groupe avant de m’attaquer aux compos, mais c’est vrai qu’il y a des similitudes : les guitares à toute berzingue et puis les voix en retrait, que j’avais déjà entendues chez des groupes anglophones. J’ai trouvé que ça m’allait bien car je n’aime pas trop mettre ma voix en avant.
La pochette de l’album « Requin-Chagrin »
Vous connaissez évidemment la pochette de votre album…
Tous : Ah non, ça ne me dit rien. Mais pourquoi les graphistes ont mis les lettres à l’envers, on leur avait pourtant dit… (rires)
Quelle technique et quelle esthétique ont été choisis pour la pochette de l’album ?
Yohann : Au-delà de la technique utilisée ici, dont on n’est pas très sûrs, Rémy Poncet (l’auteur de la pochette, également membre de Chevalrex, ndlr), avait décrit le pourquoi de la pochette et j’ai bien aimé son idée que les caractères rappelaient le côté punk et do it yourself du style Sex Pistols.
Marion : J’aime beaucoup la vague qui a un petit côté japonais. Au début j’ai été un peu perturbée par le fait que le nom du groupe était écrit en hyper-gros, alors que les textes sont très en retrait. Mais en fait il n’y a pas trop de fioritures, c’est simple, efficace et cela résume bien notre musique.
Tu dessines toi-même Marion : as-tu pensé à réaliser la pochette ?
Marion : J’ai dû me poser la question de réaliser ou non la pochette, mais quand la proposition de l’album est venue, c’est Rémy, le responsable d’Objet-Disque, qui avait le concept du graphisme. Au final, c’est tant mieux, car je ne me voyais pas tout faire entre l’enregistrement, le mix, la pochette…c’était beaucoup de pression ! (rires). Et c’est une bonne chose que quelqu’un d’autre porte son regard sur notre projet.
Grégoire : En revanche, c’est Marion qui réalise avec brio les photos de couverture sur Facebook pour nos dates de concert par exemple.
Photo des Douze Colonnes de Dani Karavan à Cergy-Pontoise, apparaissant dans le clip d’ »Adelaïde »
Yohann : Ce sont les colonnes à Cergy…
Grégoire : L’Axe majeur !
Connaissez-vous cet endroit ?
Yohann : Non malheureusement mais on aimerait bien y aller. Nous on était sur la partie gymnase du tournage…
Marion : …et ils ont tourné trop tôt le matin ; ils étaient là-bas à 6h30.
Grégoire : C’est Simon Noizat, le réalisateur, qui a eu cette idée et ça rend super bien. Il a cartonné sur le boulot qu’il a fourni, en écriture, en tout…
Romain : Il y a un côté onirique dans le clip, c’est pour ça que l’on voit de brefs instants de cet endroit-là…
Indochine – « La machine à rattraper le temps »
Marion, dès la deuxième seconde : Indochine !
J’ai pensé à Indochine la première fois que je vous ai entendus. C’est souvent une honte de l’admettre, et pourtant je suis fan du groupe et j’ai vu que Marion l’était également.
Marion : C’est vrai qu’il y a beaucoup de similitudes. Ce qui est marrant, c’est que souvent les gens me citent des groupes que je ne connais pas en référence, et ne voient pas les ressemblances avec Indochine au premier abord. Quand je leur dis que j’aime beaucoup Indochine, ils ont l’air déçu, ils me disent que c’est nul, alors qu’ils aiment bien Requin-Chagrin ! (rires)
Etienne Daho – « Tombé pour la France »
Marion trouve encore une fois au bout de deux secondes et rigole : En fait il n’y a qu’Alphatra que je n’ai pas trouvé ! Et pourtant je l’ai enregistré ce truc, je l’ai entendu 10 000 fois !
Pourquoi le choix de ressortir l’album, et comment s’est passée cette collaboration avec Dominique Blanc-Francard (également producteur de ce titre d’Etienne Daho) pour la remastérisation des titres de votre album ?
Marion : Cette remastérisation s’est faite par hasard : à la base, Dominique et Bénédicte (Schmitt, du studio Labomatic à Paris, ndlr) ont contacté la Souterraine pour changer un peu d’air – ils en avaient peut-être un peu marre de Zaz (rires) (également produite par Dominique Blanc-Francard, ndlr). Ils avaient envie de filer des coups de pouce à des jeunes groupes dans l’ombre, et Benjamin et Laurent ont pensé à Requin-Chagrin. On a décidé d’enregistrer « Poisson-Lune », une chanson que j’avais commencé à composer et dont Yohann a ensuite écrit les paroles, et que l’on n’avait pas enregistrée pour une question de temps. On a utilisé le même procédé qu’à la maison, mais dans un super studio, avec Bénédicte qui m’a aidé à enregistrer. Etant donné que le stock de la première édition du disque s’épuisait, on s’est dit : « Pourquoi pas faire une ressortie avec des titres en plus et le faire masteriser ? ». Dominique a aussi proposé de s’occuper des autres titres par souci de cohérence avec le premier master.
Romain : Un peu comme pour les vieux groupes de rock dont les puristes préfèrent la version authentique de l’album (rires).
Y a-t-il un deuxième album en préparation ?
Marion : Oh c’est un peu tôt (sourire). Il y a quelques nouveaux morceaux, une petite maquette, mais je vais essayer de prendre mon temps.
Grégoire : On est plutôt dans une dynamique de tournée pour le moment.
Pascal Danel – « Les neiges du Kilimandjaro »
Marion trouve aussitôt, les autres se demandent pourquoi.
Marion citait cette chanson dans son panthéon sur le Tumblr de la Souterraine.
Marion : Loïc, le chanteur d’Alphatra, l’a aussi citée sur le Tumblr de la Souterraine dans une interview, à 6 mois d’intervalle avec moi (rires). C’est un titre que j’aime beaucoup et que j’ai découvert sur Nostalgie en allant à mon cours de guitare avec ma mère.
Grégoire : On se livre vraiment là, avec Nostalgie ! (rires) C’est marrant car on a aussi choisi ce titre de Pascal Danel pour une playlist éditée par un blog toulousain.
Propos recueillis par Sandrine Lesage
Photos : Mourad Ghanem