Trésor le mieux gardé d’une certaine pop music à la française, le quintet parisien Dorian Pimpernel, formé dans les balbutiements du nouveau siècle, suscite dans les cercles initiés un intérêt rare. Une aura relevant presque du mythe tant leur discographie sporadique – un premier essai, « Hollandia », publié en 2006 sur un label japonais puis un 45-t, « Teorema », l’an passé sur l’étiquette suédoise Tona Serenad – relève de la quête hautement exotique.
Une possible tentative d’explication résiderait-elle dans leur revendication de créer une espèce de « moonshine pop » en opposition à l’historique « sunshine pop » telle que pratiquée à la fin des années 1960 en Californie ? Cette piste nocturne se révèle évidemment fausse au simple motif qu’immuablement au jour succède la nuit…
Plus simplement, il faudrait admettre que la formation, loin de toute tentation velléitaire ou du moindre dilettantisme, conçoit son projet musical avec une anachronique patience dans une époque plus propice à la précipitation qu’à la réflexion. Et, si l’on y ajoute une once de timidité, alors le portrait (enfin ?) se précise.
Pour autant, « Allombon » revêt l’allure du véritable premier album, soutenu par une maison de qualité d’ici, Born Bad (prouvant, si besoin est, qu’elle étend depuis longtemps sa direction artistique au-delà des rivages d’obédience garage), et dont on espère secrètement qu’il trouvera son chemin auprès d’une vaste audience.
Bien sûr, on imagine déjà l’étonnement de certains à l’écoute de ces 35 minutes en rupture totale avec les canons à la mode. À cela, il n’est qu’une seule remarque valable : Dorian Pimpernel poursuit une tradition circonscrite à tort dans le temps. En effet, ce qui se joue – ou plutôt qui s’entend – tout au long de ces dix titres, c’est une pop aventureuse et libre, expérimentale et précieuse, d’hier et de demain, psychédélique et synthétique.
La généalogie ne fait aucun mystère : « White Rabbit » de Jefferson Airplane, « Cymbaline » de Pink Floyd, « Days of Future Passed » de Moody Blues, « ‘Til I Die » des Beach Boys, The Left Banke, The Free Design… Aux anciens s’ajoutant les héritiers : Broadcast (« Paralipomonon » aurait fort bien trouvé sa place sur « Haha Sound »), Stereolab (« Condooce Melopoia »), The High Llamas (« Alephant » tel un inédit période « Cold and Bouncy »). On pense également à la splendide bande son de « La France » de Serge Bozon, composée par Fugu et Benjamin Esdraffo, aux enfants du prog’ Aquaserge et – fort souvent – à Bertrand Burgalat (la formation aurait tout à fait sa place sur Tricatel).
Riche d’influences musicales (nord-américaines, anglaises, continentales), « Allombon » dévoile un surprenant aréopage de figures (Elvis, Martin Heidegger, Alexander Graham Bell, Isaac Bashevis Singer, Kôbô Abe), ajoutant plus de complexité encore dans un ensemble en forme de palais des glaces labyrinthique à souhait.
L’ambition n’étant en l’occurrence un vain mot, s’il faut attendre 2020 pour la suite, ce ne sera pas du temps perdu.