Le premier album d’Aldous Harding a beau avoir été publié l’année dernière, il n’a toujours pas quitté la platine des quelques chanceux ayant eu le plaisir de tomber sous le charme de ses folk songs. Nous l’avons rencontré à l’occasion de sa tournée européenne pour discuter, avec recul, de ce premier disque et de celui à venir, dont les premiers morceaux dévoilés en concert laissent deviner une orientation plus jazz et soul. Avec la participation de Mickael Choisi.
Tu faisais partie d’un groupe, The Eastern, il y a encore quelque temps. Quel est le facteur qui a déclenché l’envie de te lancer en solo ?
J’étais au bord de l’épuisement car c’était un groupe qui travaillait vraiment dur et adoptait un style de vie rock’n’roll qui m’a lassée au bout d’un moment. J’écrivais quelques chansons dans mon coin. Je les ai fait écouter à un ami producteur et à un autre musicien. Ils y ont vu du potentiel et m’ont encouragé à enregistrer mon propre disque. J’ai donc continué à composer jusqu’à obtenir suffisamment de titres. Je n’ai vraiment commencé à envisager une véritable carrière et à tourner sous mon nom qu’une fois l’album sorti. Sans eux je n’aurais jamais franchi le cap car je ne cherchais vraiment pas me lancer en solo.
Tu as grandi à Auckland avant de déménager dans un port isolé en Nouvelle-Zélande : qu’est-ce tu écoutais quand tu étais enfant ? Te souviens-tu de ta première émotion musicale ?
Nous n’avions pas beaucoup d’argent dans ma famille. J’écoutais donc beaucoup la radio, surtout les charts. A l’âge de neuf ans j’ai demandé à mon oncle de m’offrir un CD de Jennifer Lopez que j’ai usé jusqu’à la corde. Puis un jour ma mère est rentrée à la maison avec une caisse remplie de cassettes. Une amie à elle allait les mettre à la poubelle. J’y ai découvert « Summer Breeze » de Seals and Crofts. Cela a été mon premier contact avec la musique folk. Et une révélation. Mais j’étais loin d’être obsédée par la musique quand j’étais plus jeune. J’en écoutais relativement peu et je n’étais pas dans l’optique de découvrir des nouveautés ou d’écouter de vieux classiques. J’avais des amis qui trouvaient des jobs après l’école rien que pour avoir de l’argent pour acheter des disques. De vrais nerds. Mais je suis devenue comme eux par la suite (rires).
C’est la raison pour laquelle tu as commencé à composer vers l’âge de 15 ans ?
Oui, et encore j’écrivais surtout des poèmes car je luttais pour apprendre la guitare. Je n’ai pas réussi à accompagner correctement mes textes avec de la musique avant d’avoir 17 ans. Mes premières chansons qui tenaient la route ont été composées un peu plus tard. Ce n’est pas très rock’n’roll (rire).
Il y a une facture intemporelle sur certaines chansons, comme “Merriweather” : as-tu la sensation d’intégrer une tradition de songwriters féminines ?
C’est difficile à dire car quand j’écoute mes chansons, je ne ressens pas la même chose que les gens qui les écoutent. Bien entendu, je me sens flattée quand j’entends ce type de commentaires, mais je suis incapable au fond de moi de savoir si c’est justifié ou pas. L’album est ouvertement issu d’une tradition folk, mais j’y ai ajouté un zeste de modernité et une approche plus sombre qu’à l’habitude.
Certains titres sont extrêmement épurés, quand d’autres sont très riches : qu’est-ce qui t’a dirigé dans une direction plutôt qu’une autre ?
Pour être très honnête, j’ai quelques regrets concernant ce disque. Il m’a demandé plus de temps que prévu car il a été enregistré par intermittences. Ça a clairement compliqué la tâche car je manquais d’expérience en studio. Même si j’aime beaucoup un titre comme “Hunter” qui est ma chanson la plus pop et orchestrée, au fond de moi j’ai toujours voulu que cet album soit enregistré en guitare-voix. Le plus dépouillé possible. Je ne mesurais pas à l’époque l’impact que ces quelques ajouts d’instruments pourraient avoir sur le résultat final. Je voulais juste offrir aux auditeurs quelques titres plus étoffés pour qu’il y ait une partie de l’album plus facile à écouter, en opposition à des titres très intenses et minimalistes qui nécessitent de se concentrer sur le texte. Le résultat ne sonne pas assez pur à mon goût. J’aurais du passer encore plus de temps à l’enregistrer. Malgré ces quelques imperfections, je suis malgré tout très fière de ce disque.
Tu laisses aux titres le temps de se développer, chacun tourne autour de 5-6 minutes. Voulais-tu laisser tes morceaux respirer pour prendre le temps de raconter tes histoires ?
Je n’en étais même pas consciente à l’époque. Je le suis plus maintenant. Lors de l’enregistrement en studio, tout s’est passé de façon très organique, je n’ai fait que jouer les chansons comme je les avais composées. De toute manière, j’aurais été incapable de savoir quelle partie il fallait raccourcir. Personnellement, qu’un titre dure plus de cinq minutes ne me dérange absolument pas.
Etais-tu consciente une fois l’enregistrement terminé qu’il ferait partie d’une tradition de disques qui demandent un effort d’écoute à l’auditeur avant de dévoiler ses richesses ?
J’étais consciente de son intensité, mais ce que j’avais à offrir était le reflet de mon état d’esprit de l’époque. Une fois le disque terminé, je me suis sentie soulagée rien qu’à penser que ces chansons ne m’appartenaient plus. A aucun moment je n’ai été convaincue que les gens aimeraient ce disque, je voulais juste savoir ce qu’ils allaient en penser.
Tu affirmes être dans un état d’esprit différent depuis la parution de ce premier album, beaucoup plus sereine et heureuse. Cela rend-t-il l’écriture de nouveaux morceaux plus difficile ou au contraire cet état d’esprit te rend productive ?
Même si j’ai toujours beaucoup de doutes, les nouveaux titres sont plutôt le reflet de mon nouvel état d’esprit. Mes textes sont moins intenses car j’y laisse passer un peu de lumière, je relativise. Je parle de ce que je ressens plutôt que d’écrire sur les détails intimes de ma vie. Il y a moins de confrontation.
As-tu commencé à l’enregistrer ou bien en es-tu au stade des maquettes ?
Ce ne sont que des maquettes pour l’instant. S’il fallait les définir, je les décrirais comme plus calmes et plus proches du son que j’avais en tête pour le premier album.
Tu viens justement de sortir un nouveau titre, “I’m So Sorry”. Je trouve qu’il a une approche vocale un peu plus proche du jazz. Pourrais-tu nous en dire plus sur celui-ci ?
Oui, il a été enregistré pour accompagner la tournée européenne, car je voulais offrir quelque chose qui mettrait le public dans l’ambiance de mes nouveaux titres. Il n’est pas représentatif à 100% de mon nouveau son, mais suffisamment pour en avoir une bonne idée. Il a été composé en moins de deux heures et enregistré dans la foulée. Il était temps de donner de mes nouvelles car l’album est sorti il y a déjà un moment. Effectivement, ma voix sonne jazzy. C’est vraiment quelque chose de très récent car je ne me savais pas capable d’utiliser ma voix différemment. Avoir moins d’inhibitions que par le passé m’a bien aidé. Expérimenter me donne beaucoup de plaisir. On m’a même souvent dit que ma façon d’aborder un nouveau titre, “Horizon”, était plutôt effrayante. Je le prends comme un compliment, car je ne me suis jamais considérée comme une personne effrayante, mais plutôt comme quelqu’un d’effrayé. Arriver à véhiculer des émotions autres que les tiennes et être convaincante est plutôt flatteur.
Retrouvera-t-on des titres dans la lignée du premier album ?
Oui, certains titres seront plus dans une tradition folk.