Imaginez deux mains, l’une est l’orient, l’autre l’occident, les deux s’entrecroisent au Canada. C’est le pays qu’ont pour dénominateur commun les groupes Jerusalem in My Heart et Suuns. Radwan Moumneh, leader du premier est aussi l’ingénieur son du second emmené par Ben Shemie. Tourner ensemble leur a fait envisager une possible collaboration accolant leurs deux noms. Plus qu’un super-band, une nouvelle formation où le tout est supérieur à la somme des parties. Un peu comme Franz Ferdinand et Sparks indiquant pour FFS ne faire ni l’un ni l’autre, avec Suuns and Jerusalem In My Heart, un plus un égale autre chose. D’origine libanaise, Radwan Moumneh a publié, avec JIMH, “Mo7it Al-Mo7it”, un premier album electronica chanté en arabe. Une suite est d’ailleurs annoncée à la rentrée avec “If He Died, If If If If If If”. Producteur et co-fondateur du studio Hotel2Tango, proche de Constellation Records (Colin Stetson, Vic Chesnutt), il collabore avec la scène indé québécoise (A Silver Mt Zion, Godspeed You! Black Emperor). Quant à Suuns, il s’agit pour nous de l’un des projets post-rock les plus passionnants de cette demi-décennie, venu enfoncer le clou de ses Images du Futur en 2013. Cette même année, il aura fallu jouer des coudes pour les voir sur la nouvelle scène des Remparts à la Route du Rock (on remercie encore l’inconnu d’1m90 qui nous a ouvert la voie du premier rang). La tension ressentie fut telle qu’on ne s’est pas fait prier pour les revoir deux mois plus tard au Havre.
Dans cet ensemble de sept pièces de 35 minutes, Suuns et Jerusalem In My Heart convergent vers leurs univers respectifs : celui des premiers se vit comme une expérience intime proche de l’hallucination, celui des seconds comme une performance artistique. Le résultat a convaincu Secretly Canadian de mettre le disque à son catalogue. Celui-ci s’ouvre sur une boucle minimale et répétitive d’une voix robotique à peine audible qui s’éteint pour laisser place à une plage instrumentale. Tel un vaisseau venu d’une autre galaxie, “2amoutu I7tirakan” semble échouer dans une étendue désertique entre “Metal” et “Seif” où les guitares se font touarègues. On est tenté d’associer la marque de fabrique de l’un et l’autre selon que Radwan Moumneh et Ben Shemie se succèdent au micro. A ce titre, “In Touch” est le plus proche du périmètre de Suuns. Mais l’on savait à l’écoute de “Gazelles In Flight”, premier extrait dévoilé, qu’il ne fallait pas s’attendre à un troisième album. Passant d’une composition dépouillée de deux minutes (“Leyla”) à une invitation pour une transe hypnotique de près de neuf minutes (“3attam Babey”), on ne sait pas trop de quelle destination on revient après l’écoute de “Suuns And Jerusalem In My Heart”. Et comme toute contrée aux paysages multiples, plusieurs expéditions s’imposent pour en apprécier la subtilité.