La dernière PIAS Nites a été l’occasion pour le label de présenter trois de ses signatures françaises : Le Noiseur, Radio Elvis et, en tête d’affiche, Aline, venu jouer quelques extraits de son deuxième album attendu pour la fin août. Une bien belle soirée.
C’est Le Noiseur, alias Simon Campocasso, qui ouvre cette soirée à la Maroquinerie vers 20 heures. Ce dandy aux faux airs de Tomer Sisley, qu’on verrait bien bruncher le dimanche dans l’Est parisien, a sorti récemment un premier album coréalisé avec Dominique Blanc-Francard, « Du bout des lèvres », qui lui a valu des comparaisons flatteuses avec Benjamin Biolay, Gainsbourg et Daniel Darc (on pourrait aussi citer Jean Bart et Alex Beaupain, notamment pour les références à l’univers du cinéma). C’est un peu la limite de l’exercice : les compositions sont soignées, et leur interprétation délicatement désabusée ne manque pas de charme, mais elles peinent à échapper à ces références écrasantes. Sauf peut-être quand Campocasso, sur « Amours gothiques », s’essaie avec succès à un phrasé rap.
Reconnaissons aussi que ce genre de musique « intimiste » est plutôt difficile à porter à la scène (Biolay lui-même a mis des années avant de trouver ses marques, Julien Baer semble pour sa part avoir renoncé…), et que le groupe dans son ensemble, précis et impliqué, s’en sort plutôt bien. Belle idée d’ailleurs que ce duo avec le talentueux photographe et adepte du parlé-chanté Nicolas Comment (fun fact : l’un des deux auteurs de ce compte rendu était à la fac avec lui, saurez-vous dire lequel ?) sur un morceau de ce dernier, le beau Coquelicot sur la falaise. On se sera en revanche interrogé sur la présence-absence d’une choriste dont tout le monde aura noté la troublante ressemblance avec Carla Bruni jeune. Souvent désœuvrée, elle s’occupera en servant des gobelets de Campari aux premiers rangs – excellente initiative, même si on aurait préféré un Spritz – ou en prenant des Polaroid des musiciens et des spectateurs et en les jetant dans le public. So chic, so décalé.
Radio Elvis, groupe déjà considéré ici et là comme l’une des plus belles promesses du rock français, lauréat des Inouïs du Printemps de Bourges 2015, succède au Noiseur. D’emblée, le trio parisien emmené par Pierre Guénard, premier de cordée, guide les voyageurs que nous sommes dans la traversée des grands espaces. Malgré des références évidentes – une voix puissante rappelant Bertrand Cantat, des rythmiques et des arpèges de guitare exotiques, la sinuosité des chemins empruntés par Louise Attaque –, et une inscription dans une veine lyrique qui irait, disons, de Léo Ferré à Feu! Chatterton, l’empreinte est personnelle, à commencer par une présence scénique impressionnante. L’alchimie entre les (excellents) musiciens se traduit par des regards, des duos et des rapprochements entre le guitariste et chanteur Pierre Guénard, le deuxième guitariste (parfois à la basse) Manu Rambo, et Colin Russeil, batteur qui joue par moments du clavier de la main gauche.
Et puis cette envie d’ouvrir de longues plages plutôt atypiques – jusqu’à 7 minutes –, inspirées par les romans de Jack London, Antoine de Saint-Exupéry ou John Fante, sur les continents et les océans du globe (« La Traversée », « Goliath »), en multipliant les fausses fins et les breaks, en posant l’ambiance vague après vague. Points d’orgue avec « Le Continent » qui voit un Pierre Guénard émouvant chanter a capella le débarquement de Cook sur les terres sud-américaines en 1768, et une reprise inspirée et somme toute évidente du « Haïti » d’Arcade Fire. Dans le rétroviseur, le 4-titres « Juste avant la ruée », dans le viseur, l’EP « Les Moissons », à paraître le 10 juillet, avant un album, quelque part, à l’horizon.
Chauds pour les sets du Noiseur et de Radio Elvis, les spectateurs de la Maroquinerie sont carrément bouillants pour celui d’Aline : le public des PIAS Nites est tout entier dévoué à la cause des chouchous de la nouvelle scène pop française, qui publieront fin août leur deuxième opus « La Vie électrique« , après l’acclamé « Regarde le ciel » en 2012.
Les membres d’Aline surfent avec joie sur cet engouement : le chanteur Romain Guerret se montre tout le long du set loquace, espiègle, multipliant les blagues plus ou moins potaches. On se souvenait de prestations scéniques plus timides, moins assurées, en retrait derrière des lunettes noires. Mais ça, c’était avant : aujourd’hui, c’est chemise bariolée pour les uns, et habituels maillots rayés pour les autres. On est de plus tout à fait d’accord avec les choix techniques du groupe (« Plus de voix ! Autant de voix qu’il y a de personnes dans la salle ! », exige Romain de l’ingénieur du son, avant de demander davantage de basse pour Romain Leiris « à la casaque rayée vert et noir »). L’énergie déployée ce soir-là par le quintette marseillais rend justice aux morceaux urgents des deux albums, bien que la part belle soit faite à de nombreux inédits à paraître, accueillis avec autant de ferveur que les anciens tubes.
C’est après les nouvelles « Avenue des armées » (second single extrait de « La Vie électrique »), « Les Angles morts » et « Chaque jour qui passe », que le groupe insère un familier « Voleur » dans sa setlist. Le public n’est pourtant pas dépaysé par le son typiquement Aline : guitare claires, rythme enlevé, langue poétique, parties chantées/parlées, mais aussi davantage de synthés et de batterie électronique maîtrisés par « le Portugais » Jérémy Monteiro (notamment sur le quasi-instrumental à la lancinance reggae, « Plus noir encore », sorte d’écho aux « Copains » de « Regarde le ciel »).
Puis « La Vie électrique » nous entraîne : gimmick sautillant de guitare suivi de rythmiques lascives et de paroles dégoulinant de désir. Le groupe dit avoir besoin de femmes sur scène pour se stimuler : la scène est envahie par quatre muses dont deux blondes au numéro que l’on soupçonne d’avoir été répété (incluant coups de griffes et de poings, comme l’amour vache de la chanson). C’est presque un finale avant l’heure sur la scène, tandis que les mesures se répètent sans qu’on veuille les stopper : « Prends bien ton temps, la vue est belle », chante Romain. Et puis, malgré une intro déguisée, on découvre bien assez tôt que le groupe enchaîne avec « Je bois et puis je danse », les « ah » éructés par Romain appuyés par des dizaines de voix – un peu trop tôt dans le set peut-être, le groupe semblant utiliser ses deux plus belles cartouches sans pour autant en manquer par la suite.
Restent en effet les accords mineurs beaux à chialer d’ »Elle m’oubliera », mais aussi la surprise du chef, à savoir la présence sur scène de Stephen Street. Le producteur des albums des Smiths, logiquement aux manettes du nouveau disque d’Aline, prend la guitare le temps de jouer la chanson cachée « Mon Dieu, mes amis ». Romain introduit le producteur : « Stephen sait tout faire : de la guitare, de la basse ; il est non seulement talentueux, mais aussi patient, gentil, bref, extra ! » On sent une collaboration qui a dépassé les frontières du studio ICP à Bruxelles, pour donner naissance à une véritable complicité.
En guise de rappel, place au brûlot anti-rock’n’roll rageur « Promis juré craché » (« J’arrête tout, plus de pop, j’en ai plein les bottes… Il est trop tard pour me pendre, j’ai cassé mes cordes »), qui se fond dans la basse sautillante de « Teen Whistle ». Pour clôturer le concert, les chœurs et la flûte du guitariste Arnaud Pilard sont accompagnés du murmure de toute la foule, qui penche, qui penche… pour entraîner la fosse de la Maroquinerie dans un joyeux bordel lors du déchaînement final du morceau. Couvre-feu oblige, on devra se passer du titre « Les Copains » pourtant prévu sur la setlist. Simplement se satisfaire, et c’est déjà tellement bon, de s’être frottés à de nouvelles couleurs électriques, et d’avoir vu jaillir l’étincelle.
Il est possible de revisionner le concert sur Arte Concert.