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Festivals

Villette Sonique 2015

Dixième édition pour le festival parisien Villette Sonique, entre soirées rock et psyché, entre salles obscures et scènes ouvertes au grand air, entre nouveaux noms à suivre de près et valeurs sûres internationales, une programmation qui a tenu toutes ses promesses pour passer la cap de la décennie. Récit d’une partie de la fête d’anniversaire. 

Grande Halle de la Villette 

Cela faisait un moment que l’on salivait devant la programmation. On quitte notre domicile en pensant qu’on est en automne, et surprise, en arrivant porte de Pantin, c’est déjà l’été dans la capitale. Beaucoup de monde est assis sur les rebords de la fontaine devant la Grande Halle et on aurait volontiers envie de prolonger la journée au grand air. Mais notre intérêt pour Kevin Morby, déjà évoqué ici, missionné pour ouvrir la soirée du vendredi, est l’une des raisons de notre ponctualité dès l’ouverture des portes. 

Kevin Morby

Devant un petit comité, l’Américain fait son entrée, doucement mais sûrement. Quelques minutes suffisent à capter l’auditoire à la guitare sèche qu’il troquera pour l’électrique sur « Harlem River », extrait de son premier album solo. Le public approuve par une marque de reconnaissance. Dès lors, Kevin Morby se plaira à jouer crescendo ses titres, de « All My Life » à « Motors Runnin », l’occasion d’apprécier l’intensité du jeu entre guitare et batterie, sur les passages instrumentaux.  Ils laisseront même penser à mi-chemin d’« Amen », qui compte huit minutes, que le titre a pris fin, alors qu’il repart de plus belle. C’est un peu court et on remettrait sans hésitation une pièce dans le juke-box pour deux ou trois titres supplémentaires. En attendant la suite, comme tout le monde on sort prendre une bouffée « d’air »…

Ausmuteants

Non le punk n’est pas mort et Ausmuteants vient de loin pour en faire la démonstration. Visiblement attendus, les quatre Australiens sont là pour passer du bon temps (leur second album s’intitule « Amusements ») mais les esprits s’échauffent dans les premiers rangs. Une fois la tribune Boulogne canalisée, on peut apprécier l’imparable efficacité du groupe en activité depuis 2011. A priori construits sur une base identique, les titres varient selon que Jake Robertson est à la guitare ou au clavier, qu’il chante ou laisse le batteur s’en charger, passant de l’intonation d’un Sid Vicious à celle d’un Mark Mothersbaugh. Ausmuteants n’est pas avare en commentaires, introduisant un morceau par « This song is about having sex », suivi de « le sexe, c’est dégoûtant », en français dans le texte. Puis une variante : « This song is about having sex with a police officer ». Ausmuteants ne semble pas faire particulièrement dans la chanson contestataire. Sans préavis, ils débranchent le matériel, on les recroisera un peu plus tard en civil pour Thee Oh Sees.

The Gories 

On aurait bien vu The Gories assurer la transition entre le songwriting délicat de Morby et la déferlante Ausmuteants. Mick Collins entre en scène avec un « We are the Gories » avant d’enchaîner logiquement sur « Hey, Hey We’re the Gories ». Le groupe, qui s’était séparé au début des années 90 à l’issue d’une tournée européenne, s’est reformé sans pour autant publier de nouvel album. Et même si la section rythmique est réduite à sa valeur intrinsèque, l’intérêt réside bel et bien dans le tandem de guitares tantôt rock ou blues, ou les deux en même temps lorsqu’ils revisitent « There But for the Grace of God Go I » de Machine (groupe américain disco-funk mené par August Darnell, futur Kid Creole). Plus vraiment garage, The Gories a eu le mérite de faire swinguer la Grande Halle. Sur les derniers titres, le public n’a pas la moindre difficulté à passer les crash barrières (et pour cause, il n’y en a pas) et à s’adonner au stage diving, comme pour annoncer ce qui va suivre…

Thee Oh Sees 

Ce qui suit n’est autre que le très attendu John Dwyer. On a eu l’occasion de le croiser un peu plus tôt dans la soirée, de quoi admirer les impressionnants ornements de Monsieur, on veut parler de ses nombreux tatouages. Car comme souligné en préambule, c’est déjà l’été et le leader charismatique de Thee Oh Sees arbore le combo débardeur-short. Il se présente avec un nouveau line-up. Exit la basse de Petey Dammit et la batterie de Mike Shoun remplacé sur scène par deux batteurs. Brigid Dawson est également remplacée aux claviers par le patron multi-instrumentiste. Le groupe vient défendre son récent « Mutilator Defeated at Last », neuvième album studio sous le nom de Thee Oh Sees, notamment « Web » joué ce soir. A l’exception de deux ou trois titres, la scène se voit foulée par une bonne partie du public sur la quasi-totalité du set, en plus grand nombre que le groupe ne compte de musiciens. Le staff technique se charge régulièrement de déloger ceux qui prennent racine au centre de la scène. Si John Dwyer n’est pas le dernier à se mêler au public, cela perturbe peut-être ses musiciens auxquels il se charge de faire des signes. On est partagé entre notre mise à distance de l’œil qui prend le dessus sur l’oreille et la cool attitude qui règne sur cette fin de soirée du vendredi.

Centenaire 

Le samedi, on arrive tranquillement sur le site du Village Label, prolongé de trois scènes, accessibles à tous dans les prairies et jardins de la Villette. Le soleil est toujours de la partie et toutes les conditions sont réunies pour se partager entre flânerie sur les stands de disquaires et labels et écoute distraite ou attentive des groupes programmés. C’est le trio français Centenaire, souvent évoqué ici, qui ouvre l’après-midi à quelques mètres des stands déjà bien fréquentés. 

Cheveu 

Notre attention est majoritairement retenue par un autre trio, celui de Cheveu que l’on retrouve après la précédente édition de la Route du Rock été. Les Français sont en grande forme à l’image de leur chanteur à la voix flippante distillée dans ses trois micros lorsqu’il n’arpente pas latéralement la scène. On sent les Cheveu moins rebelles pour ce concert de l’après-midi à l’ambiance champêtre. L’hyperactif David Lemoine se laisse tout de même tenter par un slam au dessus de la foule avant de la saluer debout sur son clavier. 

Village Label 

On conclut la journée entre un disquaire qui nous demande si on connaît Gomina en passant le doigt sur « Prints », l’association Rouge Vinyle qui nous propose d’écouter Bagarre et le label Influenza Records qui fait du teasing sur la seconde édition de son festival dans un lieu encore tenu secret. Une bonne journée.

King Khan And The Shrines 

Dimanche de Pentecôte, pique-nique et sorties en famille occupent massivement les pelouses de la Villette lorsqu’on arrive pour King Khan And The Shrines déclamant « la jeunesse emmerde le Front National » puis « Michel Jonasz emmerde le Front National ». Le ton est donné par Arish Ahmad Khan, Canadien haut en couleur tant par ses costumes de scènes que par son sens de la formule. Les neuf musiciens de The Shrines sont loin de se cantonner au rôle de back band, c’est plutôt l’alchimie entre le big band et son maître de cérémonie. On imagine déjà les questions des enfants sur le sens des interludes : « c’est une chanson dédicacée aux transsexuels », « vive le Québec porno », « je veux le son de l’orgasme, on peut faire ça ensemble ? » avant de finir torse nu, le micro dans le caleçon se frottant contre les enceintes. Sourire aux lèvres garanti !

Marietta 

On va ensuite se poser à l’ombre de Marietta, Guillaume de son prénom, échappé de The Feeling of Love pour ce projet solo qui réunit des contributions de personnes qu’on apprécie particulièrement. Son premier album « Basement Dreams are the Bedroom Cream » paraît tout juste sur Born Bad Records sous la houlette d’Olivier Demeaux, de Cheveu. On y croise Henri Adam à la basse, Narumi Herisson, la calviériste de Tristesse Contemporaine, le guitariste Paul Rannaud repéré dans la formation Volage chez Howlin’ Banana, Paul Ramon, batteur de la Secte du Futur, groupe qui nous a accroché avec son « Greetings From Youth » chez XVIII Records. 

Girl Band 

C’est à ce moment que la batterie de l’appareil photo déclare forfait alors qu’on attend de pied ferme un groupe qui fait pas mal parler de lui : Girl Band. Point de représentante de la gente féminine chez les Irlandais qui nous happent littéralement dès les premières notes de leur post-punk bruyant qui ne fait pas dans la dentelle. Pas assez authentique ou technique pour certains, le bottleneck du bassiste, la setlist écrite sur les mains. La musique de Girl Band n’est pas à rechercher dans l’analyse mais plutôt dans l’émotion brute d’un cri rageur. En voyant le frontman Dara Kiely, on ne peut s’empêcher de penser à la figure désespérée de Kurt Cobain. Signés chez Rough Trade, les quatre sont régulièrement comparés à The Fall mais parmi la relève noise, on les place volontiers aux côtés des Danois de Iceage. La Route du Rock ne s’y est pas trompée et les annonce sur sa prochaine édition été.

Ought 

On termine la journée avec notre valeur sûre, bien classée dans notre top albums 2014, Ought, que l’on avait (in)justement manqué à la pré-soirée estivale de la Route du Rock (décidément) à la Nouvelle Vague. On s’était empressé de réparer ce méfait dès l’ouverture du Pitchfork l’automne dernier. Même lieu, en extérieur et à la lumière du jour, ce qui permet à Tim Beeler de faire le constat en regardant au loin qu’« il y a beaucoup de monde ». En ouvrant, il annonce en français avoir dormi une heure et l’on craint un peu pour la suite en terme de justesse et d’intensité. Mais passé le petit tour de chauffe, les Canadiens se mettent en place. Signé sur Constellation, leur album « More Than Any Other Day » est une réussite tant dans sa forme studio que scénique et l’on entendra quelques propos réjouissants issus du public qui découvrait Ought pour la première fois. On saisira sans hésiter une troisième occasion de les écouter/voir. 

Morgan Delt 

Lundi, dernier jour de festival pour nous bien que celui-ci se poursuive encore pour deux soirées avec Sun Kil Moon et Shamir notamment. On conclut cette dixième édition de Villette Sonique avec l’affiche psychédélique ouverte par Morgan Delt. On passe un agréable moment en compagnie du Californien interprétant son premier album signé sur le label Trouble Mind Records. Nous plongeant dans une ambiance planante, on aurait rien eu contre le voir programmé le temps du week-end pour jouer les hippies dans les prairies et jardins. Pas toujours évident de rester d’humeur contemplative malgré les projections psychédéliques sur écran qui émailleront le set.

Chocolat 

C’est plutôt pour Chocolat que notre présence se justifie. On a été totalement séduit par le « Tss Tss » des Canadiens que le label Born Bad a ajouté à son catalogue à l’automne dernier sous la référence BB067 entre Forever Pavot et Jean-Pierre Decerf. Le groupe emmené par le Québécois Jimmy Hunt était en veille avant d’enregistrer en 2014 un huit titres concis qui donnerait l’impression que François Marry a remplacé Robert Plant aux commandes du dirigeable. Autant vous dire qu’on attendait de pied ferme la transposition du disque sur scène. Mission totalement accomplie pour le groupe qui n’a guère eu besoin de l’écran en arrière plan pour maintenir l’attention du public, suspendu aux riffs des guitares garage-psyché. Avis aux radios en quête de quotas francophones, Chocolat, c’est bon pour la santé. 

The Black Angels On termine par une valeur sûre avec les anges noirs de la cité du Psych Fest. On aime tant rouler cheveux au vent un « Sunday Afternoon », pourtant, il faut bien avouer qu’on ne retrouve pas le même enthousiasme à l’écoute des productions qui ont succédé à « Phosphene Dream ». On a tout de même le plaisir d’entendre « Entrance Song » et globalement, le public, connaisseur de la discographie, manifeste sa satisfaction à chaque première note des titres qui sont joués. Dans une configuration pour le moins statique, on distingue rarement Alex Maas qui rencontre quelques soucis de micro occasionnant la présence de techniciens sur scène. The Black Angels rejoint les coulisses de façon prématurée et le public ne semble pas totalement contenté par la durée du concert, le rappel s’apparentant plutôt à une réclamation. Le groupe revient dans un élan de générosité plus nourri et reste en place malgré une soudaine coupure de son. 

On quitte le festival sur une note plus introspective qu’il n’avait débuté avec de nombreux souvenirs en tête. La claque infligée par Girl Band, les prestations live qui dépassent les albums de Kevin Morby et Chocolat, l’insolence de Ausmuteants, le plaisir non dissimulé de retrouver Ought, resteront nos moments marquants de ces Dix Sonnant.

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