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The Wolfhounds – Interview

Groupe britannique apparu au milieu des années 80, les Wolfhounds incarnaient une certaine tendance de l’époque : goût pour la mélodie, morceaux concis, guitares sonnantes et trébuchantes. Ils apparaissaient d’ailleurs sur la fameuse cassette C86 du “NME”, instantané devenu culte de la scène indépendante. Mais ces jeunes Anglais n’étaient pas du genre à se couler dans un moule, quel qu’il soit. Derrière leur apparente légèreté, leurs premiers singles (dont les géniaux “Me” et “The Anti-Midas Touch”) cachaient épines et lames de rasoir ; leur énergie était souvent celle du désespoir. Au fil des ans, la musique des Wolfhounds se fera d’ailleurs plus dure, plus sombre, plus radicale, comme en écho aux sons de l’underground américain, mais aussi au post-punk britannique le plus intransigeant.

Séparé au début des années 90, le groupe s’est reformé quinze ans plus tard, pour le plaisir. Depuis, il publie régulièrement des singles ne montrant aucun signe d’assagissement ou de perte d’inspiration, et donne des concerts féroces pour des fans anciens ou nouveaux (dont un à l’International, à Paris, l’an dernier). Alors que le premier album, “Unseen Ripples from a Pebble” (1987), est réédité par le label Optic Nerve, et qu’un nouveau disque, “Middle-Aged Freaks”, est disponible en digital et en CD, nous avons longuement conversé avec l’affable David (ou Dave) Callahan, chanteur, songwriter à la “Midas touch” et guitariste acrimonieux des Wolfhounds. L’occasion pour lui de regarder le passé avec une distance amusée, mais sans rien renier, et d’envisager tranquillement un avenir hors de l’industrie musicale (ou ce qu’il en reste).


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Quelle est la composition du groupe aujourd’hui ?

Il y a deux membres qui sont là depuis le début, le guitariste Andy Golding et moi-même, qui formons le noyau de songwriters du groupe. Le petit frère d’Andy, Richard, est à la basse. Pete, le batteur, est nouveau, si l’on peut dire : il est dans le groupe depuis 2005, soit une durée aussi longue que le batteur d’origine des Wolfhounds.

Qu’est-ce qui a motivé votre reformation ?

Sûrement pas l’argent, sinon ce serait totalement stupide. Comme tous les vieux groupes dans notre catégorie, nous essayons de faire de la musique sans trop en perdre, nous ne sommes pas dans l’idée d’en gagner… En fait, on nous a proposé de donner un concert en 2005, pour fêter les 20 ans de la sortie de notre premier single, “Cut the Cake”. Je n’envisageais pas de suite, d’autant que je partais le lendemain pour un séjour de deux mois à Madagascar… Et puis nous avons reçu un e-mail de Bob Stanley, du groupe Saint Etienne. Il montait une soirée de concerts à l’Institute of Contemporary Art à Londres pour célébrer l’anniversaire de la compilation C86 (sortie en 1986 par le NME, sur laquelle figuraient entre autres les Wolfhounds, ndlr), et nous demandait si nous voulions y participer. Comme nous avions pris beaucoup de plaisir à rejouer ensemble, nous avons dit oui. Et depuis, nous continuons, nous avons écrit de nouvelles chansons dont certaines sont déjà sorties en single, même si sur scène nous jouons surtout les anciennes – que la plupart des spectateurs n’ont pas entendues depuis longtemps, de toute façon. Même moi, j’avais perdu l’habitude de les interpréter, et je fais sans doute plus d’erreurs sur les vieux morceaux que sur les nouveaux ! (sourire) En fait, nous devons avoir de quoi remplir deux ou trois albums, une quarantaine de chansons que nous avons répétées mais que nous n’avons pas encore eu l’occasion d’enregistrer, ce qui est un peu frustrant. Nous avons des métiers, des familles, et n’avons donc pas tellement de temps à y consacrer.

Etes-vous encore dans l’industrie musicale ?

Moi, non. Je suis aujourd’hui journaliste spécialisé dans les animaux, la vie sauvage et la préservation de la nature. Une activité qui ne paie pas très bien non plus, d’ailleurs. (rires) Andy et Pete ont des activités en lien avec la musique, mais ils ne font pas vraiment partie de l’industrie musicale, eux non plus.

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Vous étiez originaires de Romford, une lointaine banlieue de Londres. Penses-tu que cela a influencé votre musique et votre attitude ?

C’est possible. Bon, on était à 45 minutes de Camden, ce n’était quand même pas si loin de Londres. Ce qui était sans doute important, c’était d’être proche de la campagne, plutôt qu’en centre-ville. Quand on a commencé à jouer, au milieu des années 80, c’est vrai qu’on se sentait un peu comme des outsiders. Les autres musiciens de groupes indie venaient souvent d’un milieu plus bourgeois, ils avaient des diplômes… Ils avaient les moyens de se payer des instruments chers et connaissaient des gens dans l’industrie du disque. Ce qui n’était pas notre cas. Le système de classes est sans doute plus rigide en Grande-Bretagne qu’en France. Les autres membres du groupe avait quitté l’école à 16 ans pour travailler à l’usine ; moi, je pointais au chômage pour essayer d’éviter ça (rires). Pour faire vivre le groupe, on travaillait sur des chantiers. On n’était pas particulièrement amers ou en colère, mais on se sentait différent de la plupart des autres groupes, même si on jouait dans les mêmes salles.

Sur votre page Wikipedia, vous êtes décrits comme un « slightly askew pop/rock band » (un groupe pop-rock légèrement tordu). Cette définition te convient ?

Même nos chansons les plus classiques en apparence ont un aspect un peu étrange, c’est vrai… Je pense que les Wolfhounds sont plus “idiosyncratic” que “quirky on purpose” (originaux plutôt que bizarroïdes, en gros). On fait une musique très personnelle, qui peut être assimilée à du rock ou de l’indie, mais qui ne pourrait sans doute pas être faite par d’autres. Un peu comme du folklore, ou de l’art brut. (rires) Une musique faite par des autodidactes.

Quelle musique écoutiez-vous quand vous avez commencé le groupe ? Vous ne jouiez pas vraiment de la jangle pop à la Byrds comme beaucoup de groupes de la compilation C86…

Mais j’aime beaucoup les Byrds, c’est un groupe brillant ! (Les Wolfhounds avaient d’ailleurs repris “I See You” à leurs débuts, ndlr) Et ils pouvaient être assez expérimentaux. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, j’écoute sans doute plus de punk et de new wave aujourd’hui qu’à l’époque. Ce dont j’étais vraiment fan il y a trente ans, c’était Captain Beefheart et Tim Buckley. Je n’avais pas l’intention de faire une musique aussi expressive que la leur, mais leur étrangeté m’a influencé. Sinon, on écoutait des choses “normales” comme les Beatles et les Kinks, mais les accordages inhabituels que nous utilisions venaient sans doute plus de Sonic Youth, de Lou Reed et du Velvet Underground. Et puis des choses plus anciennes, du folk, John Martyn, des guitaristes arabes, même, dont on essayait justement de retrouver les accordages… J’ai toujours écouté des genres de musique très variés.

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Durant les cinq ans d’existence du groupe, votre musique a évolué vers davantage de radicalité sonore. C’était lié là aussi à ce que vous écoutiez ?

Sans doute, mais nous n’étions pas assez bons pour copier les autres ! Même si ça ne s’entend pas forcément, nous avons été influencés par les disques de hip-hop sortis dans les années 80. On trouvait que cette façon de faire de la musique avec simplement une boîte à rythmes et quelques bruits ouvrait de nouvelles perspectives. Du coup, on a utilisé des samples sur nos deux derniers disques. Les groupes noise américains de cette époque ont aussi été importants, autant que les autres groupes d’indie pop. On essayait de garder l’esprit ouvert.

Te voyais-tu à l’époque comme un « angry young man », un jeune homme en colère ?

En colère, non, pas vraiment, plutôt perplexe (rires)… Mes textes étaient souvent écrits en réaction à la situation politique de l’époque, ou critiquaient des aspects de la vie quotidienne, mais j’étais sans doute moins en colère qu’aujourd’hui – il y a tant de raisons de l’être. Sur scène, j’essayais plutôt d’entrer dans un état de transe, en quelque sorte, de plus en plus haut, comme sous l’effet d’une drogue. Sans doute l’influence de Tim Buckley dont je parlais, ou même des Doors que j’aimais beaucoup quand j’étais plus jeune. Nous n’essayions pas de faire la même musique qu’eux, mais nous leur avons sans doute emprunté quelques idées. Pour en revenir à mes textes, ils étaient plutôt impressionnistes, je ne disais pas « c’est comme ci », ou « c’est comme ça ». Ce n’étaient pas des tracts politiques, je ne m’adressais pas directement à l’intellect, j’essayais plutôt de provoquer une émotion. Je pense que mes paroles sont beaucoup plus directes aujourd’hui. A l’époque, j’essayais de faire en sorte qu’elles aient deux ou trois significations possibles, c’était assez pervers au fond… Je me faisais souvent « l’avocat du diable ». Ah, vous avez aussi cette expression en français ? Souvent, ce que je chantais était l’inverse de ce que je pensais, c’était sarcastique. Malcolm Eden – qui vit à Paris aujourd’hui, il me semble – faisait souvent ça dans ses textes pour McCarthy. Pourtant, j’aime bien les chanteurs folk aux textes très simples, du genre « Je suis pauvre et j’ai faim », mais je suis incapable d’écrire comme ça.

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Aujourd’hui, c’est encore davantage du do it yourself ?

Oui, nous payons nous-mêmes les séances d’enregistrement. Avec la technologie, on peut facilement avoir un bon son, et de toute façon le nôtre reste plutôt brut. Mais nous passons beaucoup de temps pour obtenir le son qui nous convient. Nous contrôlons davantage le résultat aujourd’hui que dans les années 80, et c’est bien. Je regrette que nous ayons manqué de confiance en nous à l’époque. Heureusement, nous avons quand même pu collaborer avec de bons ingénieurs du son et producteurs comme Ian Caple (qui a ensuite travaillé avec les Tindersticks et Bashung notamment, ndlr).

Avec le recul, quel regard portes-tu sur tous ces groupes de la période “C86”, dont beaucoup sont devenus cultes ?

Musicalement, on a souvent réduit ce mouvement à une caricature, mais si on écoute vraiment, il y avait quand même beaucoup de variété et d’imagination. Beaucoup plus que dans ce qu’on appelle l’indie pop aujourd’hui, où les groupes semblent souvent de simples et jolies photocopies, avec chez chacun un peu de Strokes, un peu de Libertines, voire un peu de Dinosaur Jr, par exemple… A l’époque, il y avait beaucoup d’influences, et de différences entre les groupes. Outre ceux que j’ai déjà cités, il y avait The Membranes, The Dentists, et bien d’autres… Et tous ne sonnaient pas pareil, ce n’était pas que de la jangle pop. C’est arrivé un peu plus tard, avec Sarah records, où il y avait une unité esthétique et sonore au sein du label. A l’époque des Wolfhounds, j’aimais bien des groupes comme Talulah Gosh, les Field Mice, les Sea Urchins, mais beaucoup se sont contentés de les copier par la suite. Ce qui ne me touche pas, ce sont tous ces groupes d’indie pop du nord de l’Europe, avec leurs instruments impeccables et leurs chansons mignonnes : ça manque tellement d’angles, de fragilité aussi. Ils ont trop confiance en eux, au fond. Ce que j’aimais chez un groupe comme Big Black (avec Steve Albini, ndlr) dans les années 80, c’est que même si leur musique était très dure, elle gardait quelque chose d’humain, une certaine faiblesse.

Tu n’as jamais pensé à reformer Moonshake, ton groupe suivant, plus expérimental ?

Je sais que beaucoup de gens le souhaiteraient, ce qui me rend fier. Mais il n’en a pas été question jusqu’ici, et je ne suis plus trop en contact avec les anciens membres. Il me semble d’ailleurs que la plupart ont arrêté de faire de la musique. Ça paraît donc improbable, mais pourquoi pas, si on nous propose un gros chèque… (rires) Enfin, je doute que ça arrive.

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