Qu’il est bien ce « Somewhere Safe ». Ce qui est passionnant avec Centenaire, c’est qu’ils sont surprenants et qu’on n’est jamais déçus. Lorsque nos quatre complotistes de luxe, Steph (Domotic, Egyptology), Damien (My Jazzy Child), Axel (Orval Carlos Sibelius) et Aurélien Potier (homme à tout faire) se sont acoquinés pour nous pondre un disque de prog folk de chambre (Centenaire- « st »), on s’était dit, à l’époque, qu’ils s’étaient trouvés et que la somme des quatre était plus que l’addition des individualités (mais on sait que la bande a des problèmes avec les mathématiques, genre 1=0 etc…). On ne pensait pas retrouver nos hippies barbes fleuries quelques années plus tard durcissant le ton avec un « The Enemy » tendu comme un nerf de bœuf. On attendait la suite dans le même goût, toujours abrasif, mais la fusée Centenaire, en lâchant le Saturn 5 d’Orval Carlos Sibelius, est partie encore plus loin que prévu et le Manitoba ne répond plus. C’est que notre trio ne cherche pas la sécurité : on n’est pas (plus ?) là pour boire du raplapla (ou alors avec des infus de champi). Les planches d’appel de ce « Somewhere Safe » d’anthologie sont à chercher du côté des précédents titres « Farmers Underground » et « Testosterone » qui nous avaient soufflés sur « The Enemy ». Plus de folk (ou alors à l’état de traces) ni d’atmosphère rêveuse et embrumée (on n’a plus le temps), les guitares sont acides, tranchantes, les claviers crado, la batterie ne rigole pas. Les compositions sont toujours aussi tarabiscotées, fouillées, avec des accords bizarres, des progressions en forme de montagnes russes mais il y a un côté brut de pomme toujours hyper présent, quasi démo avec l’intensité en ligne de mire pour préserver la magie de la découverte (le début de « TheUunderground » ou de « Where to go »).
Le batteur, Aurélien Potier, martèle comme Todd Trainer de Shellac sur la plupart des titres (« Somewhere safe », bon dieu quoi) et gonfle la puissance évocatrice de Centenaire. On regrette à ce propos qu’Egyptology n’ait pas voyagé jusqu’à nos terres australes pour voir la relecture live des titres de « The Skies ». On y pense d’ailleurs beaucoup à cet Egyptology à l’écoute de « Somewhere Safe » avec ce son de philicorda un peu partout et ces pistes explorées l’espace d’un instant comme le motif oriental au milieu de « Somewhere Safe » (le titre), le refrain génial et tout en contrepoint de la chanson de « Goodbye Good times » ou la fin comme suspendue et fuyante telle une brume d’encens de « Where to go ». Quelquefois on souhaiterait que ces moments, toujours inattendus, se prolongent un peu mais il y a trop d’idées dans la tête de nos gaillards pour s’appesantir ou ralentir : c’est l’urgence. Le tube « Inside War », ressemble à un titre échappé (chipé ?) aux Konki Duet de « Let’s Bonappétons », vire au Japandroids (et c’est encore une fois, un compliment) pour s’échapper finalement sur un riff de basse méchant comme une teigne, le tout à 100 à l’heure. Il n’y avait que Deerhoof qui nous faisait cet effet-là.
Ce prog-garage, s’il faut le réduire à un terme, pioche aussi dans le meilleur de l’africanisme. Les guitares répétitives et gonflées à la pédale sonnent comme du likembé sur « Maps Can’t be Wrong », et celles de « When it all fell down » pourraient être labelisées Awesome Tapes from Africa pur jus de manioc sans pour autant taper dans la récup’.
Attention, c’est un album long en bouche, fait de couches successives, de textures (ah ces guitares ! Toutes ces guitares ! Ces soli de malades mentaux dans « The truth about those who pretend to be your friends »), de rythmes syncopés à couper le souffle qui demandent une bonne attention et disponibilité pour en profiter pleinement et pourtant nous emportent et dévastent tout dès la première écoute.
On ressort de « Somewhere Safe » à la fois des étoiles plein les yeux, harassé par les retournements successifs, et pourtant chargé à bloc sur du 220 amphétaminé. Centenaire cherchait déjà la castagne sur le divin « The Enemy », cette fois, c’est la guerre et « Somewhere Safe » n’est pas la ligne Maginot : c’est une myriade d’unités de guérillas hyper mobiles en forme d’arme de destruction massive. Centenaire, la solution à l’E.I. ?
Orval Carlos Sibelius – Territoires de l’inquiétude – POPnews
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