Plus sûrement qu’il n’était alors permis de le penser – de mémoire, ce singulier et tellement attachant single « Tour de France » alors venu de Bristol aiguiser la curiosité et piquer au vif l’intérêt presque perdu pour une éventuelle relève pop hexagonale –, Fránçois and The Atlas Mountains asseoit sans coup férir son pouvoir sur la potentielle concurrence. Grande toutefois était la crainte d’un impossible renouvellement après le remarquable « E Volo Love » (2011), mais autant l’avouer sans détour : « Piano Ombre » dépasse l’attente tant le groupe se dépasse lui-même. En effet, si son prédécesseur creusait avec une belle ampleur le sillon de « Plaine Inondable » (2009) – album de la révélation, signé chez l’indépendant bordelais Talitres – cette livraison presque printanière se débarrasse sans regret du moindre motif high life ; une réorientation fort bienvenue tandis que se profilait la menace d’une éventuelle formule.
De même, “La Vérité” – évident premier extrait à l’indéniable efficacité, susceptible de convaincre nouveaux venus comme derniers sceptiques, et mis en image par Mathieu Demy avec plus de marins que dans “Les Demoiselles de Rochefort” – agit en trompe-l’œil sur l’humeur générale ici à l’œuvre. Soit un recueil en dix mouvements, fidèle au bilinguisme ; jouant d’ailleurs avec gourmandise de son accent comme d’une espèce de geste “frenchy but chic”, osant et assumant un rare maniérisme jamais outrancier. Pour autant, l’élément moteur, offrant l’indiscutable cohésion à ce disque long en bouche, c’est bien l’instrument évoqué dans le titre, révélant à chaque composition son incroyable ampleur.
Qui plus est, les vertus du jeu collectif irriguent indéniablement ces chansons où la douceur le dispute à l’amertume. Or, saurait-il en être autrement pour une formation – où brille le prometteur Pierre “Petit Fantôme” Loustaunau à la guitare –, à sa tâche attelée dans un studio reclus du Sud-Ouest sous la houlette de Ash Workman (ingénieur du son de “The English Riviera” de Metronomy) ?
Tout à la fois fluide et ambitieux, “Piano Ombre” ose le psychédélisme hédoniste (“The Way to the Forest”) et revêche (le saxophone free striant le final de “Bois”), le raffinement d’un orchestre de chambre (“Bien sûr”) et l’incursion en territoire electro-pop (“Fancy Foresight”, “Réveil inconnu” au pays de Field Mice ; Sarah Records n’est jamais si loin).
Ainsi, chaque livraison confirme l’évidence : Fránçois and The Atlas Mountains est bien ce groupe à nul autre pareil, contemporain et sans âge, délicat et primitif, français et sans frontière, fier et humble, fulgurant et apaisant. Dans un pays plus prompt au perpétuel dénigrement, musique hélas incluse, ne pas savoir reconnaître en eux un réel motif de fierté relève de la plus pure malhonnêteté. Ni plus, ni moins. Tant de classe et de talent confinent au-delà du ravissement. Qui a parlé d’éblouissement ?